Reportage. Le théâtre itinérant Transvaldésia promène les mots de Chessex, qui aurait eu 80 ans cette année, entre Ropraz, Pully, Montricher et Yverdon.Un petit miracle de poésie et de réincarnation.
Devant, les champs du Jorat embrumés, en fond, les Préalpes, du Moléson aux Dents de Morcles. Derrière, la chapelle blanche de Ropraz, là où à l’automne 2009 ses amis disaient adieu à Jacques Chessex avant de l’enterrer au cimetière à côté. Au centre, une roulotte, des tréteaux, trois tabourets de bois, deux jeunes comédiens en jean et gilet, une jeune femme à la longue chevelure brune. Lorsque la nuit tombe, que la lune se lève, les mots de Chessex s’élèvent et c’est ainsi: il est parmi nous.
Après Gustave Roud en 2012, Blaise Cendrars en 2013, le théâtre itinérant Transvaldésia, imaginé par la fondation L’Estrée à Ropraz, son patron Alain Gilliéron et François Landolt, directeur de l’école de théâtre Les Teintureries à Lausanne, s’empare de l’auteur de L’ogre ou du Vampire de Ropraz avec une gourmandise non feinte. Les lieux de représentation ont été choisis avec soin: Ropraz, bien sûr, où le Goncourt 1973 a trouvé son ancrage dès l’année suivante, Fribourg, fief catholique dont il est tombé amoureux lors de ses études au collège Saint-Michel, Pully, lieu de la maison familiale et du suicide de son père, la Maison de l’écriture à Montricher, qui fait écho à son intense réflexion sur la création littéraire, Yverdon enfin, où Chessex s’est écroulé à l’issue d’une rencontre à la bibliothèque municipale.
Cette «mise sur scène» s’ouvre sur la rumeur d’un bistrot qui pourrait – et qui est – celle du Café Romand à Lausanne, fief de Chessex, où il a écrit, bu, aimé, tenu salon, engueulé ses pairs. François Landolt, à qui l’on doit la mise en scène et le choix des textes d’Ecoutons Jacques Chessex, y a emmené un soir une bande d’amis, l’écrivain Marius Popescu en tête, reproduire et enregistrer une discussion animée autour de Chessex, de ses jalousies, du vin blanc dans les verres et des femmes que l’on voudrait. «On n’a pas fini de juger Jacques Chessex, de se disputer à son sujet. Pour lui, pas de circonstances atténuantes. D’ailleurs, il n’en revendique pas. Il est ce qu’il est, il est comme il est. Pourquoi Chessex ne serait-il pas un frère? Ecoutons-le sans a priori. Ses mots simples, ses émotions si proches des nôtres.»
Place aux mots
Du coup, après quelques notes de jazz signées Oscar Peterson – une des inspirations préférées de Chessex –, place aux mots, tirés de romans ou poèmes comme Feux d’orée, La tête ouverte, Portrait des Vaudois, Jonas ou de la correspondance avec Jérôme Garcin, dits par les impeccables et sanguins Richard Vogelsberger, Sébastien Gautier et Alexandra Moia, sur laquelle Chessex se serait sans nul doute retourné. «Mon bien cher Jérôme, je suis entré en écriture. Je me force à tenir le coup plusieurs heures, chaque matin, dès l’aube.» Plus loin: «Je le sais maintenant, il n’y a pas de résurrection.» Ou: «Mère, ce sont les oiseaux qui parlent le mieux de toi.» A la fin, en voix off: «J’ai longtemps été le fils coupable d’un père coupable. Lorsque j’ai gagné le Goncourt, j’ai cessé d’être uniquement un imposteur, un salopard. J’ai entendu: «Ah, Chessex n’est pas qu’un voyou!» Rideau.
Transvaldésia est né de l’envie commune de François Landolt et d’Alain Gilliéron de faire quelque chose pour et avec de jeunes comédiens. Roud, grand marcheur devant l’éternel, était un premier candidat idéal. Les actualités Cendrars, à commencer par La Pléiade, inspirent la tournée Cendrars l’an dernier. Alain Gilliéron, qui rêve d’un espace Chessex permanent à Ropraz, espère que cette tournée 2014 contribuera à sortir Chessex de son «purgatoire» post mortem.
«Les mots de Chessex sonnent bien partout, admire François Landolt. Moi qui le connaissais peu, j’ai découvert un homme passionnant, complexe, faible devant les femmes, honnête, d’une humanité profonde, haïssant la médiocrité. Je veux que les spectateurs repartent en disant: «Chessex, c’était cela aussi? On ne savait pas!»
«Ecoutons Jacques Chessex». Conception et mise en scène: Françoit Landolt et Isabelle Vallon. Avec Richard Vogelsberger, Alexandra Moia et Sébastien Gautier. Ropraz du 20 au 22 juin, collège Saint-Michel de Fribourg du 24 au 26 juin, Maison de l’écriture de Montricher les 28 et 29 juin, Prieuré de Pully du 1er au 3 juillet, place Pestalozzi à Yverdon les 5 et 6 juillet. Réservations: 021 903 11 73.