Festival. Le Belluard, à Fribourg, décape la virilité et les affres de notre quotidien en invitant 60 artistes. A découvrir dans un marathon artistique jubilatoire de neuf jours.
«Het KIP», en flamand, veut dire «le poulet». Mais peut tout aussi bien signifier «institut royal des arts vivants». Ce collectif de cinq gaillards originaires de Gand explore la virilité dans Chicks for Money and Nothing for Free, spectacle dansé déjanté, mélancolique et profond.
D’abord nos «poulets» roulent les mécaniques comme des paons font la roue. Les corps-baudruches semblent à la limite de la suffocation. On se compare, on cherche sa place. Voilà qu’Elvis Presley chante Can’t Help Falling in Love. L’humour glisse vers une violence extrême, stylisée, un peu grotesque, genre combat de Bioman, avec mêlée et écartèlement. Le jeu tourne mal, jusqu’au viol mimé. Les rapports de groupe se reconfigurent sans cesse, instables, puis c’est la régression dans une sorte d’utérus en verre, embué, où tous veulent entrer de force, convaincus de trouver leur place dans un moule trop petit pour eux. Alors le spectacle évolue vers un magnifique, autant que drôle et émouvant, ballet amoureux d’hommes-faunes recouverts de mousse à raser. Comme si la tendresse était à réinventer. S’ensuit une orgie de bières, chacun essayant d’ingurgiter le plus de canettes possible. Sans cesse, les cinq lascars essaient de repousser les limites du corps, cette virilité n’étant qu’une absurde compétition permanente. Il en ressort une mélancolie puissante, comme si l’on ne pouvait plus croire à cet idéal masculin enfantin.
Renverser le quotidien
Cette proposition originale, ce concentré de testostérone, on le doit au Belge Cis Bierinckx, qui signe pour la première année la programmation du festival fribourgeois Belluard (Bollwerk en allemand, nom de la forteresse construite à la fin du XVe siècle qui abrite le festival). C’est l’un des nombreux spectacles à découvrir dans cette 31e édition, du 26 juin au 5 juillet, entre films, performances, danse et théâtre.
Avec notamment une évocation de la guerre civile libanaise par Rabih Mroué. Ou cet hommage à Marguerite Duras, Le coupeur d’eau (avec l’acteur belge Dirk Roofthooft). Côté suisse, le «théâtre policier» Pflege und Verpflegung raconte une tragédie familiale dans un home médicalisé. Autant de spectacles qui répondent au souhait du directeur: parler du quotidien dans des formes narratives originales, exigeantes et contemporaines.
«Chicks for Money and Nothing for Free», Belluard, Fribourg, 3 juillet, 22 heures. www.belluard.ch