«Jersey Boys». Alors qu’il espère toujours réaliser un remake d’«Une étoile est née» sur lequel il a longuement travaillé, Clint Eastwood se console avec un biopic musical sur The Four Seasons.
Grand mélomane devant l’Eternel, amateur de blues et pianiste à ses heures, Clint Eastwood avait envie de s’offrir un nouveau film musical, genre qu’il avait exploré à deux reprises dans les années 80, d’abord avec Honkytonk Man, sur un guitariste country en quête de reconnaissance, puis avec Bird, belle et sombre évocation du saxophoniste Charlie Parker. Pendant plusieurs années, il a travaillé sur un remake du classique de William A. Wellman, Une étoile est née (1937), qui avait déjà inspiré George Cukor en 1954 et Frank Pierson en 1976. Il a longtemps espéré que Beyoncé reprenne le rôle naguère tenu par Janet Gaynor, Judy Garland et enfin Barbra Streisand. Las, la star du R’n’B jetait l’éponge à l’automne 2012, quelques mois avant le début supposé du tournage.
Eastwood pensera alors à la chanteuse de jazz Esperanza Spalding pour la remplacer, avant de se résoudre à mettre le projet en stand-by mais de rester dans la musique pour réaliser Jersey Boys, adaptation ciné d’une comédie musicale créée à Broadway en 2005, et racontant l’histoire du chanteur Frankie Valli et des Four Seasons.
Illustration appliquée
Tout commence, en 1951 dans le New Jersey, par une adresse au spectateur. Tommy DeVito traverse la rue, fixe l’objectif et se fait narrateur. On se croirait chez Woody Allen. Dernier grand cinéaste classique, Eastwood surprend avec un pur effet de mise en scène, lui qui a toujours cherché à s’effacer derrière son sujet. Proche des milieux mafieux, Tommy introduit alors Frankie Valli, un jeune garçon à la voix haut perchée qu’il va recruter dans son groupe. Puis viendra la rencontre avec le compositeur Bob Gaudio, qui permettra au quatuor, rebaptisé The Four Seasons, de connaître le succès dès la seconde moitié des années 50 avec une musique mélodique à la croisée de la pop, du doo-wop et de la soul. Parmi les tubes des Four Seasons, December, 1963 (Oh, What a Night), qui sera adapté en français pour devenir Cette année-là, un des nombreux tubes de Claude François piqués à la culture populaire américaine.
Débuts dans les bars, premiers succès, conflits d’ego, grandeur et décadence: Jersey Boys obéit à un programme classique et déroule son récit de manière chronologique. Eastwood est sur des rails et ne sort jamais du programme qu’il s’est fixé, à savoir raconter l’histoire de Frankie Valli et des Four Seasons sans jamais chercher à dépasser le stade de l’illustration appliquée, peut-être pour mieux rappeler qu’elle est née sur les planches.
Jersey Boys est assurément le film le plus léger jamais réalisé par Eastwood, à l’image du personnage de Gyp DeCarlo, un parrain que Christopher Walken incarne avec une totale décontraction. Il manque souvent d’épaisseur, comme si le réalisateur avait voulu laisser la vedette aux seules chansons des Four Seasons. Paresseux, l’ami Clint? Peut-être, si ce n’est que le film est traversé par une mélancolie diffuse qui rend ses faiblesses, au final, profondément attachantes.