Evénement. Le cinéaste américain, oscarisé pour «Voyage au bout de l’enfer», présente à la Cinémathèque suisse la version longue et restaurée de «La porte du paradis», film maudit mais flamboyant chef-d’œuvre. Interview exclusive.
Michael Cimino n’a réalisé que sept longs métrages. C’est peu. Mais il a signé deux incontestables chefs-d’œuvre, Voyage au bout de l’enfer (1978) et La porte du paradis (1980), ce qui est beaucoup plus que la plupart de ses confrères. C’est ce dernier titre, connu pour avoir coulé la United Artists et avoir été démoli par la critique lors de sa sortie dans une version charcutée, que l’Américain s’apprête à présenter à la Cinémathèque suisse dans une copie neuve et un montage inédit de 3 h 36.
Lors de sa sortie en 1980, quelques mois après que «Voyage au bout de l’enfer» vous a valu les oscars du meilleur réalisateur et du meilleur film, «La porte du paradis» est taxé de néomarxisme, voire même d’anti-américanisme alors qu’il dépeint des faits historiques. Avez-vous été surpris, voire choqué, par ces critiques?
Lorsque mon premier film est sorti, Le canardeur, avec Clint Eastwood et Jeff Bridges, j’ai été traité d’homophobe. On m’a ensuite décrit, pour Voyage au bout de l’enfer, comme un fasciste de gauche. Puis, avec La porte du paradis, j’étais un marxiste de gauche, et enfin un raciste avec L’année du dragon. Et ainsi de suite… Les journalistes semblent avoir besoin d’un label pour qualifier votre travail. Ces associations faciles leur permettent d’une certaine manière de ne pas devoir faire un vrai travail critique, de ne pas proposer un vrai discours sur le contenu du film.
En Europe, votre cinéma a au contraire toujours été parfaitement compris, et aussi apprécié…
Absolument, et c’est pour cela que je n’accorde plus aucune interview, encore moins au téléphone, comme nous le faisons en ce moment, en Amérique. Lorsque j’ai écrit mon premier roman, Big Jane, je l’ai publié en 2001 en France, puis en Italie et en Allemagne, mais bien qu’il ait été écrit en anglais, j’ai décidé de ne pas le sortir en Amérique. J’aimais trop les personnages pour les soumettre à des analyses stéréotypées, je voulais les protéger. Les Américains, et c’est valable dans tous les domaines, n’aiment plus travailler. Il fut un temps où notre société tirait de la fierté de son travail. Ce n’est plus le cas. Or, quand vous perdez cette fierté, vous êtes fini. Il y avait un vrai sens de l’artisanat dans ce pays, et ça a disparu, si ce n’est dans l’industrie aéronautique. Nous faisons encore d’excellents avions, mais c’est à peu près tout.
Pensez-vous que si le film a été si mal compris aux Etats-Unis, cela vient peut-être du fait qu’il est basé sur des faits réels, la guerre du comté de Johnson de 1892, et qu’il ne perpétue pas le mythe de la conquête de l’Ouest tel qu’il a été popularisé par le cinéma de l’âge d’or d’Hollywood?
Je ne me souviens d’aucun film parlant de la conquête de l’Ouest de façon littérale. On voit bien dans de nombreuses productions des meurtres d’Indiens et des cow-boys à cheval, mais très peu de gens ont pris en compte tous les aspects de cette problématique. Même John Ford, que j’adore, ne parle pas véritablement du massacre des Indiens d’Amérique lorsque dans ses dernières années il réalise Les Cheyennes. La vraie histoire de l’Ouest n’a encore jamais été filmée. Malgré tous les films qui ont été faits sur cette période, l’histoire de ce peuple magnifique et de sa culture n’a jamais été racontée. Or il faudrait, pour que l’Amérique puisse évoluer, que les Blancs se réconcilient avec le génocide perpétré contre cette population. Notre pays aurait tant à apprendre, mais il se détourne de cela. Même si dans La porte du paradis on ne voit aucun Indien, le film parle de l’avidité des Blancs en se basant sur des événements historiques. Plus tard, pour L’année du dragon, on m’accusera de la même manière d’avoir inventé des éléments sur les gangs chinois. Disons que les journalistes américains ne semblent pas avoir de problème lorsqu’il s’agit de nier la vérité.
Le film symbolise la fin du Nouvel Hollywood, une décennie de liberté pour de jeunes auteurs ayant proposé de nouvelles manières de raconter des histoires. Avez-vous eu l’impression de faire partie de quelque chose de nouveau aux côtés des Scorsese, De Palma, Coppola et autre Spielberg?
Ils faisaient tous des films avant moi. Quand je réalisais Voyage au bout de l’enfer, Coppola avait déjà tourné les deux premiers Parrain. Je ne sais pas ce qu’ils ressentaient, mais pour ma part j’aurais préféré vivre à l’époque de Ford et Hitchcock, lorsqu’ils pouvaient faire trois films par année, alors qu’aujourd’hui la moyenne c’est un tous les trois ans. Or vous n’êtes jamais aussi prêt à faire un film que lorsque vous venez d’en finir un. Cette idée que les réalisateurs prennent de longues vacances après avoir tourné est un non-sens. Tout ce dont vous avez besoin, c’est d’une bonne nuit de sommeil. Un cinéaste est comme un athlète professionnel. Victor Fleming a fait Autant en emporte le vent et Le magicien d’Oz durant la même année. A bien des égards, j’aime l’ancien Hollywood, le Hollywood d’avant moi, d’avant les réalisateurs que vous avez cités.
A-t-on une chance de voir un jour un nouveau film de Michael Cimino?
Allez dans une église ou un temple et priez!
«La porte du paradis» en présence de Michael Cimino, le 19 juin à 19 h 30 au Capitole, Lausanne. Billetterie: www.cinematheque.ch Master class le 20 juin à l’ECAL, 18 h.