Rencontre. Huit ans après le somptueux «Lady Chatterley», la rare et précieuse Pascale Ferran émerveille avec «Bird People», une réflexion entre réalisme et onirisme sur
le monde contemporain.
«Nous savons bien qu’à l’impossible nul n’est tenu, mais ce serait merveilleux si vous arriviez à ménager la surprise des premiers spectateurs comme nous sommes arrivés à ménager la vôtre.» Reçu à Cannes, où le film concourait dans la section Un certain regard alors qu’il aurait mérité les honneurs de la compétition officielle, le dossier de presse de Bird People contenait ce message de la réalisatrice, Pascale Ferran. La démarche peut surprendre, mais on ne peut qu’accéder à sa requête. Ce long métrage construit comme un diptyque nous emmène en effet si loin, dans sa surprenante seconde partie, qu’il vaut mieux en révéler le moins possible. Il y a des films qui doivent se vivre et ne sauraient être réduits à – mot atroce – un pitch.
Disons simplement que, dans Bird People, on rencontre Gary, un ingénieur américain fatigué des incessants voyages d’affaires qu’il effectue à travers le monde. On rencontre aussi Audrey, une jeune femme de chambre qui travaille dans l’hôtel impersonnel où il loge à Roissy. Elle a brutalement arrêté ses études et rêve de lendemains meilleurs. On rencontre encore des moineaux, symboles évidents de cette liberté à laquelle rêvent Gary et Audrey.
Monde étouffant
Bird People marque le retour sur les écrans de la trop rare Pascale Ferran, qui signe là son quatrième long métrage seulement depuis Petits arrangements avec les morts en 1994. Huit ans après sa lumineuse adaptation de Lady Chatterley, césar du meilleur film en 2007, ce film ancré dans le XXIe siècle la voit s’intéresser à des personnages qui, à l’instar de la romantique héroïne de D. H. Lawrence, semblent étouffés par le monde qui les entoure, ont un irrépressible besoin de changement, du moins d’une salutaire respiration.
«Même si je m’efforce de faire chaque film en opposition au précédent, pour reprendre une phrase de Truffaut, je suis évidemment toujours rattrapée par mes propres obsessions, explique la cinéaste rencontrée à Cannes. Si j’aime autant Lady Chatterley, c’est justement parce qu’il s’agit de la plus belle histoire d’émancipation du monde, de la plus belle histoire de libération par la relation à l’autre, ce qui est doublement utopique.»
Pascale Ferran tourne peu, donc. Parce qu’elle a besoin, après un tournage, de revenir à une vie normale. «Lorsqu’on réalise, on est dans le dépassement de soi. J’ai alors besoin de m’oublier, de me rendre de nouveau disponible aux choses qui m’entourent. Un peu comme le personnage de Gary.» Alors que Lady Chatterley était «un film en costume mais avec des sentiments actuels», la cinéaste a cette fois ressenti l’envie de «décrire le monde d’aujourd’hui, un monde en pleine mutation, qui est arrivé avec les nouvelles technologies à un point de bascule». Le décrire d’un point de vue réaliste, mais aussi en s’appuyant sur l’imaginaire. «Comme je savais que la peinture du monde proposée allait être par moments assez sombre, j’ai essayé de tout faire pour que les spectateurs se sentent plus libres en sortant de la salle, qu’en partageant l’expérience des personnages ils regagnent une forme d’humanité, ou du moins une impression d’émerveillement devant le monde.»
Pascale Ferran peut se rassurer, c’est réussi. Bird People est même l’un des plus beaux films découverts à Cannes. A la fois littéraire et réaliste, poétique et philosophique, la dramaturgie mise en place par la Française fait de tous petits riens de très grands moments de cinéma.
De Pascale Ferran. Avec Anaïs Demoustier, Josh Charles et Roschdy Zem. France, 2 h 08.