Création. Le jazzman Erik Truffaz présente à Mézières et à Neuchâtel «Avant l’aube», un poème symphonique à la croisée des genres, pour lequel il a fait appel à Franz Treichler, des Young Gods.
Ils se sont rencontrés pour la première foisà Bruxelles, au milieu des années 2000, à l’occasion d’une soirée organisée pour l’anniversaire d’une radio. Trompettiste aventureux toujours en quête de nouvelles collaborations, Erik Truffaz avait ce jour-là joué sur une pièce composée par Franz Treichler, leader depuis près de trente ans des Young Gods. L’entente est parfaite, le jazzman se fond parfaitement dans le magma sonore du rockeur, pionnier avec son groupe des musiques industrielles. Il faut dire que les deux hommes ont la même formation. Classique, forcément.
Français né à Genève, Erik Truffaz a étudié au Conservatoire de Lausanne. Fribourgeois exilé au bout du Léman, Franz Treichler a effectué son cursus dans celui de Genève. Les retrouver aujourd’hui autour d’un projet commun, accompagnés qui plus est par l’Ensemble symphonique Neuchâtel et l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté, n’est dès lors pas aussi étonnant que cela en a l’air.
Entre romantisme et minimalisme
Projet transfrontalier créé à Besançon avant d’être joué en Suisse, Avant l’aube est une commande de la salle La Rodia. Ami d’Erik Truffaz, son directeur, Manou Comby, a eu l’idée un peu folle de proposer au trompettiste d’écrire une symphonie. Si le souffleur avait déjà travaillé avec des artistes indiens, des rappeurs, des rockeurs et des chanteurs, il ne s’était jamais véritablement frotté au classique. Il accepte, enthousiaste. «Il fallait que j’écrive environ une heure de musique, explique-t-il. Dès le départ, j’ai alors cherché à utiliser des sons exprimant plusieurs périodes, avec cette idée que Franz pourrait symboliser le présent. Comme la commande stipulait qu’il s’agissait d’une composition avec un soliste, j’ai donc écrit des passages sur lesquels je pouvais improviser, un peu comme si l’orchestre était mon quartet. Finalement, Avant l’aube est une pièce dynamique qui a un pied dans le romantisme; j’ai composé quelques ballades, un pied dans le minimalisme américain à la Steve Reich, avec des rythmiques très serrées, et un pied dans l’électronique.»
Franz Treichler a très vite trouvé sa place au sein de ce «poème symphonique pour orchestre, trompette et électronique», comme le qualifie son auteur. Depuis qu’il a fêté en 2005 le quart de siècle de ses Young Gods en compagnie du Sinfonietta de Lausanne, il a un sérieux tropisme cordes, au point que, sur scène, il les entend encore. «C’est une aubaine, ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit une telle proposition, s’enthousiasme-t-il. Mais la situation est ici différente. Pour le concert avec le Sinfonietta, il s’agissait de rajouter des cordes sur des morceaux des Gods. Là, les rôles sont inversés. C’est moi qui rajoute des sons derrière l’orchestre. Disons que je suis plus tranquille, je me fonds dans la masse.»
De Brian Eno à Schubert
«Il n’y a qu’une musique!» Pour Franz Treichler, ce projet protéiforme a le mérite, au-delà de toute tentative forcément vaine de le décrire, de prouver qu’on ne peut opposer classique, jazz et électro. Erik Truffaz abonde, en soulignant que de toute manière, il ne joue pas du jazz. Et d’égrener ce qu’il aime, des expériences de Brian Eno avec Jon Hassell à la musique grégorienne, en passant par Pierre Henry, Stravinski et les quatuors de Schubert.
Son complice helvétique lui glisse alors que l’écriture classique l’intéresse aussi, mais qu’il n’a jusque-là composé «que quelques petites choses, trois ou quatre quatuors, justement». Le trompettiste semble stupéfait: «Mais c’est énorme! Ils durent combien de temps, ces quatuors?» Franz Treichler nuance en expliquant qu’il s’agit en fait de modules extensibles. «Je te les ferai écouter», promet-il. «Franz est peut-être un monstre compositeur classique et je ne le sais pas…» On laisse les musiciens en se disant que ces deux-là vont encore assurément travailler ensemble.
«Avant l’aube». Poème symphonique pour orchestre, trompette et électronique. Mézières, Théâtre du Jorat, 8 juin à 17 h. Neuchâtel, Festi’Neuch, 15 juin à 14 h.