Eclairage. Alors que le Conseil fédéral planche sur l’instauration de quotas d’immigrés après le vote du 9 février dernier, le Conseil national se penche sur un texte encore plus radical qui établit un lien explosif entre croissance démographique et protection de l’environnement. Mais le Parlement se donne-t-il vraiment les moyens de terrasser ce type de propositions? L’UDC veille en embuscade.
La Suisse a décidément très mal à son immigration. Après l’initiative de l’UDC, voici celle d’Ecopop, soumise au Conseil national ce 10 juin, puis au peuple en fin d’année. Cette fois, l’enjeu est plus clair, plus radical aussi. Le mouvement écologiste Ecopop veut limiter la hausse de la démographie à 16 000 personnes seulement par an. Une démarche qui plonge le conseiller d’Etat vaudois Pascal Broulis dans un abîme de perplexité: «Si on l’interprète à la lettre, cette initiative conduit à la paralysie de la Suisse. Elle est tout simplement inapplicable dans les faits», tranche-t-il, partagé entre l’incompréhension et une pointe d’irritation.
Pression
Théoriquement, cette initiative a peu de chances de passer l’écueil du peuple. Aujourd’hui encore, peu de gens connaissent les buts de l’Association écologie et population (Ecopop), créée en 1971 par un collectif dont le but est de sensibiliser les gens au lien entre la protection de l’environnement et la démographie.
Mais cette initiative survient dans un contexte tendu, pour ne pas dire explosif. Après sa victoire du 9 février dernier, l’UDC entend maintenir une forte pression sur le Conseil fédéral. Même si la tête du parti rejette l’initiative, il n’est pas impossible que cet automne son assemblée générale la soutienne pour des raisons tactiques. Le conseiller national Luzi Stamm (UDC/AG), qui a récolté des signatures pour elle, l’explique ainsi: «Si cette initiative est balayée, vous pouvez être sûr que le Conseil fédéral prétendra que le peuple ne veut pas d’un contrôle trop rigoureux de l’immigration.»
Unité de la matière
Ecopop vise deux buts: limiter la hausse du solde migratoire à 0,2% par an et consacrer 10% des moyens de l’aide à la coopération à des mesures de planning familial dans le monde entier. Deux objectifs qui sur le fond ne convainquent pas grand monde sous la Coupole, à l’exception de l’électron libre schaffhousois Thomas Minder. Le sénateur fribourgeois Urs Schwaller aurait même préféré invalider l’initiative, estimant qu’elle ne répondait pas à «l’unité de la matière», ses deux buts étant trop divergents.
Dérapages verbaux
Rarement une initiative aura été si vertement critiquée par l’establishment. Ses auteurs se sont fait taxer tout à tour de «colonialistes», d’«écofascistes», voire d’«eugénistes». Autant de dérapages verbaux qui incitent ses partisans à se montrer désormais méfiants envers la presse. «Les médias ne veulent pas écouter nos arguments sur le fond», se plaint Benno Büeler, le militant d’Ecopop le plus en vue en Suisse alémanique.
Pour comprendre Ecopop, dont le véritable titre est «Halte à la surpopulation - Oui à la préservation durable des ressources naturelles», il faut accepter son postulat de base, à savoir le lien entre démographie et environnement. Ces douze dernières années, la population mondiale est passée de 6 à 7 milliards, tandis qu’elle augmente en Suisse de 1% par an depuis la pleine entrée en vigueur de l’accord sur la libre circulation des personnes en 2007. «Une croissance aussi effrénée détruit le paysage suisse et contribue à la diminution toujours plus rapide des espaces naturels sur notre planète», résume Benno Büeler.
Cet agronome, mathématicien de formation, désormais indépendant après avoir été chef des finances d’une assurance-vie, s’y entend pour abreuver ses détracteurs de chiffres. Lorsqu’on lui demande si la démarche d’Ecopop, qui fixe un solde migratoire à 16 000 personnes, ne risque pas de briser l’essor économique du pays, il ne se démonte pas.
«Même avec notre initiative, l’immigration brute pourrait atteindre 100 000 personnes, ce qui permettrait largement d’accueillir les 20 000 spécialistes et leur famille dont la Suisse a besoin chaque année», rétorque Benno Büeler. Trop radicale, Ecopop? «L’UE affiche une croissance démographique inférieure à 0,2% en moyenne. C’est laisser la démographie exploser à un rythme de 1% par an qui est irresponsable», ajoute-t-il avant d’interroger: «Connaissez-vous d’autres pays au monde que la Suisse qui se laissent dicter leur politique migratoire par l’économie? Moi pas!»
Sur un plan purement technocratique, cela se défend. Mais la réalité du terrain est très différente. Le 9 février, le peuple a approuvé une initiative dont les auteurs de l’UDC se sont volontairement abstenus de citer le moindre plafond migratoire. Or, le solde actuel est cinq fois plus élevé que celui fixé par Ecopop. Comment résoudre cette équation à inconnues multiples? Impossible, selon de nombreux praticiens, alors que les gouvernements des cantons qui ont voté oui – le Tessin par exemple – sont les premiers à réclamer des contingents généreux ne pénalisant pas leur économie!
Villes frontières
«La Suisse qui gagne est celle qui est libérale. La Suisse bureaucratique, nationaliste et repliée sur elle-même est celle qui va tout perdre», s’irrite Pascal Broulis. Dans l’arc lémanique, l’inquiétude est vive. Le canton de Genève a calculé qu’il aurait eu besoin de 37 000 permis l’an dernier sous le régime des contingents. «En extrapolant, cela fait 55 000 permis pour Vaud», note encore Pascal Broulis.
En admettant qu’on cherche à l’appliquer rigoureusement, l’initiative aurait des effets pervers notoires. «Elle provoquerait une forte hausse de la population illégale, étant donné que les besoins en main-d’œuvre de l’économie ne seront plus couverts», avertit Cesla Amarelle (PS/VD).
Le sénateur Robert Cramer (Verts/GE) craint quant à lui un autre scénario: «Comme elle ne touche pas les frontaliers, l’initiative Ecopop susciterait à terme l’éclosion de petites villes tout au long de la frontière helvétique. Ce développement massif de la mobilité transfrontalière serait catastrophique pour l’environnement», prophétise-t-il. Pour lui, établir un lien entre démographie et environnement est «absurde». «Ce qu’il faut faire, c’est travailler à réduire notre empreinte écologique.»
«Hearings» publics?
Tout comme plusieurs initiatives de l’UDC, la démarche d’Ecopop pose le problème d’un texte qui fixe un objectif irréaliste tout en se taisant sur sa mise en œuvre. Ne serait-il pas temps d’organiser des hearings publics lors desquels les initiants seraient sommés de s’engager sur la portée concrète et la mise en œuvre de leur texte?
De fait, des hearings ont bien lieu, mais à huis clos face aux Commissions. En janvier dernier, la Commission du Conseil des Etats a par exemple auditionné trois représentants d’Ecopop, dont l’ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement Philippe Roch, mais sans obtenir la moindre réponse précise. «L’important, c’est le message du texte: beaucoup de gens ne veulent pas que la Suisse devienne un grand Singapour en bafouant des valeurs de qualité de vie et de préservation des paysages qui leur sont chères. Ensuite, c’est aux politiciens de se débrouiller pour l’appliquer», estime Philippe Roch.
«Il faudrait effectivement exiger des initiants un message officiel sur la mise en œuvre de leur texte», suggère la socialiste Cesla Amarelle. Car l’absence de toute option à ce sujet constitue aussi la force de l’initiative. «En Suisse alémanique, il y a un risque qu’elle passe. Ceux qui ont voté oui à l’initiative de l’UDC se sont sentis confortés dans leur position par la victoire des antieuropéens lors de l’élection au Parlement de l’UE le 25 mai dernier», redoute-t-elle.
On n’en est pas encore là. Le 10 juin prochain, il est déjà clair que le Conseil national, comme le Sénat en mars dernier, balaiera l’initiative sans y opposer de contre-projet. En votation – en novembre prochain probablement –, le Conseil fédéral jouera une fois de plus sa crédibilité face à l’Union européenne. Optimiste, Isabelle Moret (PLR/VD) croit à un sursaut des forces de l’ouverture: «Je souhaite un rejet le plus massif possible pour démontrer que la victoire de l’UDC du 9 février n’était qu’un signal au Conseil fédéral sur sa politique migratoire, et non un désaveu de la voie bilatérale.»
Ce que veut vraiment l’initiative
Halte à la surpopulation - Oui à la préservation durable des ressources naturelles
La Constitution est modifiée comme suit:
Art. 73a (nouveau) Population
1. La Confédération s’attache à faire en sorte que la population résidant en Suisse ne dépasse pas un niveau qui soit compatible avec la préservation durable des ressources naturelles. Elle encourage également d’autres pays à poursuivre cet objectif, notamment dans le cadre de la coopération internationale au développement.
2. La part de l’accroissement de la population résidant de manière permanente en Suisse qui est attribuable au solde migratoire ne peut excéder 0,2% par an sur une moyenne de trois ans.
3. Sur l’ensemble des moyens que la Confédération consacre à la coopération internationale au développement, elle en affecte 10% au moins au financement de mesures visant à encourager la planification familiale volontaire.
4. La Confédération ne peut conclure de traité international qui contreviendrait au présent article ou qui empêcherait ou entraverait la mise en œuvre de mesures propres à atteindre les objectifs visés par le présent article.
Les dispositions transitoires de la Constitution sont modifiées comme suit:
Art. 197, ch. 92 (nouveau)
9. Dispositions transitoires relatives à l’art. 73a (Population)
1. Après acceptation de l’art. 73a par le peuple et les cantons, les traités internationaux qui contreviennent aux objectifs visés par cet article seront modifiés dès que possible, mais au plus tard dans un délai de quatre ans. Si nécessaire, les traités concernés
seront dénoncés.
2. Après acceptation de l’art. 73a par le peuple et les cantons, la part de l’accroissement de la population résidant de manière permanente en Suisse qui est attribuable au solde migratoire ne peut excéder 0,6% au cours de la première année civile, 0,4% au cours de la suivante. Ensuite, et jusqu’à l’entrée en vigueur de la législation d’application relative à l’art. 73a, la population résidante ne peut s’accroître de plus de 0,2% par an. Au cas où elle s’accroîtrait plus vite, la différence devra être compensée dans un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de ladite législation d’application.