«La chambre bleue». Mathieu Amalric a dévoilé à Cannes son adaptation du roman de l’écrivain belge, qui reste l’un des préférés des scénaristes. Le point avec son fils, John Simenon.
Julien est allongé avec sa maîtresse dans la chambre bleue d’un petit hôtel de province. Le cadre est resserré, belle utilisation du format 1:33 (image carrée), la séquence vaporeuse, comme dans un rêve. Julien regarde par la fenêtre, aperçoit le mari cocufié, prend peur et s’enfuit. «Elle vous mordait souvent?» demande alors un juge d’instruction. La coupe est brutale, voici Julien, angoissé mais aussi angoissant, en bien mauvaise posture. On le soupçonne d’avoir tué. Qui? Pourquoi? Et, surtout, est-il coupable?
Les lecteurs de Georges Simenon reconnaîtront là l’intrigue de La chambre bleue, écrit en Suisse en 1963 et publié au début de l’année suivante. Douze ans après une adaptation mexicaine, ce roman qui entremêle intrigue policière et thriller psychologique est mis en images par Mathieu Amalric qui, pour sa deuxième réalisation après le brillant Tournée (2010), s’approprie de belle manière – et avec une grande fidélité – la prose de l’écrivain belge, et surtout Julien, un personnage ambigu comme il les aime.
Le Français a dévoilé sa version de La chambre bleue au dernier Festival de Cannes. Fils aîné du romancier, John Simenon était sur la Croisette. Il figure même au générique du film en tant que producteur associé. Car c’est lui qui gère les droits liés à l’œuvre abondante de son père, à travers la société Georges Simenon Ltd., sise à Londres. Autant dire qu’il ne chôme pas: le romancier et créateur de l’insubmersible commissaire Maigret, décédé en 1989 à Lausanne, reste un des auteurs les plus adaptés au monde.
C’est finalement à l’issue du festival, alors qu’il s’apprête à s’envoler pour le Brésil, que l’on joint John Simenon. Le film d’Amalric? Il a aimé qu’il soit à la fois très personnel et très proche du roman. Les droits? Il les a négociés avec le producteur, Paulo Branco. «Comme ils étaient disponibles, tout s’est passé très vite; à peine plus de douze mois entre le moment où le contrat a été signé et la première à Cannes.»
Questionnaire d’évaluation
«La chambre bleue était un roman qui m’obsédait depuis longtemps, signé Simenon, un type qui écrit à toute vitesse. Ce qui m’invitait ainsi à tourner vite moi-même, précise Amalric. Ce qui m’attire aussi dans cette histoire, c’est l’alliage du chaud et du froid, et ce qui peut rendre les hommes fous: une femme illisible.»
Sa connaissance préalable du roman a forcément dû jouer en sa faveur au moment de convaincre John Simenon qui, pour sa part, explique avoir mis au point une méthode d’évaluation des plus rationnelles: «Pour chaque demande d’adaptation, il existe un questionnaire couvrant un certain nombre de paramètres et permettant de mieux appréhender le projet. A partir des réponses, on décide alors si oui ou non les droits sont accordés.»
La fidélité au texte est-elle déterminante? Le Lausannois nuance: «Vous ne savez jamais vraiment si le film sera fidèle, et cela dépend en outre de ce qu’on appelle la fidélité. Dans le meilleur des cas, le cinéaste s’approprie le texte, en fait quelque chose de personnel et à travers ce travail retrouve l’œuvre de départ, du moins l’essentiel, ce qui faisait son intégrité. A chaque fois, c’est une aventure entre le réalisateur, le scénariste et un des romans de mon père, qui sont pour moi comme des partitions que les interprètes doivent s’approprier pour en faire un peu leur chose.»
C’est en 1932, alors que le cinéma vient d’apprendre à parler, qu’un roman de Simenon est pour la première fois transposé à l’écran. Pour La nuit du carrefour, Jean Renoir confie le rôle de Maigret à son frère, Pierre Renoir. Depuis, on compte à travers le monde quelque 300 adaptations d’un ouvrage de Simenon, et plus de 30 interprètes de Maigret, de la Russie au Japon. John Simenon a son explication lorsqu’on lui demande les raisons du formidable attrait qu’exercent les récits de son père. «Je pense que c’est lié aux personnages, qui offrent des rôles exceptionnels parce qu’ils touchent chacun à la vérité humaine. Chaque personnage est la représentation d’une étape ou d’une expérience que la plupart d’entre nous vivrons à un moment ou à un autre de notre vie.»
Ecriture cinématographique
Simenon a participé aux deux premières adaptations de ses romans: La nuit du carrefour, donc, puis Le chien jaune, réalisé, en 1932 également, par Jean Tarride. «Il a ensuite voulu travailler sur La tête d’un homme, de Julien Duvivier, mais cela s’est très mal passé et il a cessé, se souvient son fils. S’il regardait les films adaptés de ses romans? Il a souvent dit que non, mais ce n’est pas totalement vrai. Il les regardait, mais ce n’était pas systématique.»
On dit parfois que l’écriture de Simenon était cinématographique, dans le sens où elle génère dans la tête du lecteur des images très fortes. «C’est vrai mais, dans le même temps, la plupart de ceux qui ont adapté mon père vous diront que ces images immédiates qu’évoquent les romans demandent énormément de travail pour être retranscrites à l’écran. Cela dit, quand c’est réussi, comme avec La chambre bleue, c’est remarquable.»
«La chambre bleue». De et avec Mathieu Amalric, Léa Drucker et Stéphanie Cléau. France, 1 h 16.