Il ressasse ses obsessions, ses figures tutélaires, de livre en livre, mais il le fait merveilleusement bien. Jean-Jacques Schuhl, sorte de décadent égaré en plein XXIe siècle, revient dans ces onze nouvelles visiter ses fantômes (de Baudelaire à Warhol, en passant par le cinéaste Jean Eustache).
Expert dans l’art du collage, il continue de mêler tragique et bouffonnerie. Par exemple lorsqu’il évoque la mort tout en racontant la pénible dégustation d’un pied de porc insipide dans une lugubre auberge parisienne… C’est comme si un Théophile Gautier morbide et flamboyant parlait du Paris d’aujourd’hui. L’humour en plus. Ou cette femme-cheval qui se met à quatre pattes dans une chambre aux miroirs et qu’il faut cajoler, cravacher, monter… à la fois excitante et risible. L’œuvre continue de mettre à l’abri de la mort et de l’oubli «des êtres disparus aux regards familiers» (Obsession, de Baudelaire). Elle se répète, sans lasser, parcimonieuse (cinq livres publiés en quarante-deux ans), continue d’invoquer le passé pour mieux éclairer le présent, lui donner sens et épaisseur. Parce que nous en avons besoin, plus que jamais. Parce que notre époque semble avoir perdu l’art de relier les vivants et les morts.
«Obsessions», de Jean-Jacques Schuhl, Gallimard, 147 p.