Les existences ne se déroulent pas toutes à la même vitesse en Europe. Certaines semblent prises dans un autre rythme, plus lent, plus silencieux, plus collectif aussi. Comme autrefois. Cette qualité temporelle trame le travail personnel de la jeune photographe Lea Kloos, également rédactrice photo à L’Hebdo. Elle présente sa première exposition à la Pinacothèque de Genève, dans deux salles aux angles tantôt ouverts, tantôt fermés comme le huis clos qui se joue dans la série d’images, pour l’essentiel des portraits et des natures mortes. Lea Kloos s’est rendue à plusieurs reprises dans un village rural du sud de la République tchèque. Là vit, dans un logement d’une pièce et demie, une famille de quatre femmes. L’arrière-grand-mère, la grand-mère, la mère et une petite fille métisse nommée Lea, comme la photographe venue observer ce gynécée intergénérationnel.
Lea Kloos connaissait Eva Nováková, la mère de la petite fille métisse. Eva a étudié à Genève, où elle est devenue traductrice. Puis elle est partie, notamment en Afrique. Elle y est tombée enceinte. Revenue seule dans son village de Rípec, en Bohême, avec une enfant à la couleur de peau différente, Eva s’est fondue dans le microcosme solidaire de sa famille, sans homme aucun. Avec sensibilité, Lea Kloos rend les liens serrés mais aussi complexes entre les quatre générations. En lumière naturelle ou au flash, la photographe met en scène le quotidien de cette famille refermée sur elle-même. Les rituels de l’habillement, de la toilette, des soins. Les moments de complicité. L’ennui, le repos, le doute, l’attente. Des objets personnels, des matières, un environnement qui pourrait dater d’il y a un siècle si l’époque contemporaine ne s’y glissait par touches, comme cette balançoire en plastique rouge arrimée à une poutre de la grange. Le temps lent qui s’écoule dans la maison a une épaisseur presque visible. Seule la photographie, seule une femme photographe sans doute, et de talent de surcroît, pouvait rendre ainsi la dimension de la durée dans une intimité familiale si étonnante. Et une photographie contemporaine attentive à la narration, à la mise en scène, à cet espace de plus en plus exploré entre documentaire et geste artistique, entre réel et accent onirique.
«Nováková». De Lea Kloos. Genève, Pinacothèque. Jusqu’au 13 juin. www.pinacotheque.ch