Zoom. Daniel Wilhem lance, aux nouvelles Editions Furor, trois volumes qui sont de vrais météores littéraires et philosophiques.
Yves laplace
«Agis de telle façon que les anges aient quelque chose à faire.» Cette phrase de Walter Benjamin mise en exergue par Françoise Proust dans Feu la souveraineté, l’un des trois magnifiques essais* qui paraissent ce printemps aux nouvelles Editions Furor – dont le siège est à Genève et la diffusion en France, en Suisse et au-delà –, pourrait s’appliquer à l’aventure critique et esthétique que ravivent, aujourd’hui, Daniel Wilhem et Sabine Kaufmann. Françoise Proust écrit encore: «L’histoire n’est pas solaire (diurne) mais étoilée (nocturne). Les événements brillent au ciel étoilé de l’histoire. Purs éclats de lumière, ils ne revivent que lorsque l’histoire se réveille de son sommeil dogmatique.»
Ce moment serait-il arrivé, au tournant du siècle, pour Furor? On se souvient en effet de la revue fondée par Daniel Wilhem, Geneviève Roulin et Anne Sauser-Hall, qui accueillit vingt ans durant, jusqu’en 2000, artistes, plasticiens, philosophes et écrivains de la modernité. Quelques titres parurent aussi en collection, dont un maître livre de Wilhem, L’ironie viennoise (1989); il réunissait des textes sur Schnitzler, Zweig, Roth, Musil, etc. Puis l’auteur poursuivit son travail personnel en publiant à Paris, chez Lignes, deux livres vifs, batailleurs et profonds: Maurice Blanchot. Intrigues littéraires (2005) et Bibliomanies (2006). Sans oublier le récent Médiasphère (Uqbar, 2011).
Impostures dénoncées
Après la revue, voici les Editions Furor. Et leurs trois premiers volumes. Deux inédits d’écrivains qu’on croyait disparus: Dominique Laporte (1949-1984), l’auteur chez Bourgois d’une Histoire de la merde qui marqua les esprits en 1978, nous revient donc, avec Le deuil la nuit, comme l’un de ces météores lumineux qu’évoque Françoise Proust (1947-1998). Les cinq méditations tissées par Laporte sont autant de fulgurances sur la voix, sur l’ombre, sur l’opprobre – où l’on croise Flaubert, Rimbaud, Freud, Laure… Françoise Proust, de son côté, traverse et troue le temps, avec Benjamin, en compagnie de Nietzsche et Kafka. Dans une écriture cristalline, parfois foudroyante.
Celle de Daniel Wilhem est chatoyante, dense, limpide, également parsemée de trouvailles et d’éclats: «On a interprété la neuvième symphonie en orchestre de brasserie pendant les événements de mai; on a rejoué la même sur les ruines du mur de Berlin. Les interventions tonitruantes ont leurs perroquets.» En explorant le kitsch, de ses premières manifestations viennoises – le culte de l’ornement combattu par Loos, les impostures dénoncées par Kraus, le «style d’une époque incapable de créer un style» épinglé par Broch –, jusqu’à son apogée, d’abord saignant dans le kitsch colonial et bientôt purement sanglant dans le kitsch nazi, cette Querelle fait événement. Et polémique? Ce n’est pas sa visée, car Wilhem se garde toujours de trancher trop vite.
On ne trouvera pas sous sa signature un réquisitoire contre le kitsch, ni un éloge farfelu. Il préfère éclairer la dispute en traitant les pièces du dossier, jusqu’au moindre tire-bouchon pneumatique, grattoir dorsal électrique ou loup à barbe de dentelles noires. Il signale la fortune du kitsch dans les expositions coloniales, puis dans le bazar fasciste, mais observe «qu’à chacune des périodes de son évolution continue le kitsch est resté, de manière certes désordonnée, une résistance aux innombrables transactions».
* «Feu la souveraineté».
De Françoise Proust.
Editions Furor, 128 pages.
«Le deuil la nuit». De Dominique Laporte. Editions Furor,128 pages.
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