Zoom. Le 67e Festival de Cannes a retenu dans sa sélection officielle deux longs métrages en relief: le film d’animation américain «Dragons 2» et «Adieu au langage», du sorcier rollois Jean-Luc Godard.
A chaque nouvelle invention technologique, il y en a toujours pour crier au loup. Mais si le son a terrassé le cinéma muet, avant que la couleur supplante le noir et blanc, la 3D ne va pas faire disparaître des écrans le cinéma en deux dimensions. Cela n’a pas été le cas lors des deux premières tentatives d’imposer les projections en stéréoscopie, dans les années 50 puis 80. Et cela ne sera pas le cas non plus au XXIe siècle.
Lorsque, dans la deuxième moitié des années 2000, la 3D a refait son apparition de manière prégnante, elle était avant tout défendue par des sociétés telles Disney et Pixar, qui voyaient là un nouveau mode d’expression artistique en même temps qu’une manière de rediriger vers les salles obscures les spectateurs qui préféraient rester chez eux, derrière leur écran plasma. Les professionnels se montraient alors sceptiques quant à ses débouchés commerciaux, tandis qu’une partie du public craignait qu’elle ne devienne la norme. Or, on constate aujourd’hui que ni les uns ni les autres n’avaient raison. Car si d’un côté les films en relief sont de plus en plus nombreux, et qu’ils réalisent d’excellents résultats au box-office, il est de l’autre évident que le relief n’a pas – et ne va pas – contaminer le cinéma à grande échelle.
A l’exception de quelques rares films d’auteur mais à visée grand public – comme Hugo de Martin Scorsese ou Gravity d’Alfonso Cuarón –, on constate même qu’en matière de troisième dimension il existe depuis quelques années une nette bipolarisation, avec en haut de l’échelle des blockbusters aux budgets souvent surdimensionnés, et à l’autre extrême des expérimentations formelles ou narratives qui sont le fruit de maîtres confirmés, comme lorsque, en 2010, Werner Herzog partait filmer les grottes de Chauvet.
David contre Goliath
Ce printemps, ce postulat est incarné par le Festival de Cannes qui, pour sa 67e édition, a retenu en sélection officielle deux films en 3D: Dragons 2, deuxième volet d’une série d’animation plutôt plaisante, et Adieu au langage, du Rollois Jean-Luc Godard. Un cinéaste qui a toujours été aux avant-postes de la technologie et qui signe là sa deuxième réalisation en stéréoscopie après Les trois désastres, court métrage conçu dans le cadre du film à sketchs 3x3D. Une production des puissants studios DreamWorks et un bricolage artisanal, c’est un peu comme si Cannes revisitait à sa sauce la légende de David et Goliath. Car si, sur la Croisette, c’est bien le Godard nouveau qui est attendu avec ferveur et curiosité – appréhension aussi, parfois – par la critique mondiale, c’est évidemment Dragons 2 qui va dans les salles attirer les foules.
Peut-on réellement parler d’une bipolarisation de la 3D? Directeur de la Cinémathèque suisse, Frédéric Maire préfère parler d’une opposition entre des productions spectaculaires dans lesquelles la 3D est intégrée à la dramaturgie. C’est notamment le cas des films de superhéros, et des expérimentateurs qui réfléchissent à une autre manière de raconter une histoire. «Il est naturel que le nouveau Star Wars que prépare J. J. Abrams soit en 3D, de même que l’on n’imagine plus les films de Peter Jackson sans relief. Au contraire, beaucoup de films, comme Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu?, qui marche bien actuellement, ne gagneraient rien à être en 3D. Mais dans le cas de Godard, il n’est pas surprenant de le voir s’intéresser à cette technologie, lui qui a tout expérimenté dans le champ du cinéma classique.»
Même s’il ne fait plus cette fois œuvre de pionnier – à la fin des années 60, il fut le premier cinéaste du monde à acquérir la caméra vidéo Portapak de Sony –, le Franco-Suisse ne se contente d’ailleurs pas de jouer au suiveur. Avec son chef opérateur Fabrice Aragno, qui se qualifie d’«apprenti sorcier» pour définir sa collaboration avec son illustre aîné, Godard a en effet mis au point différents équipements lui permettant de filmer en 3D, notamment à l’aide de deux appareils photo Canon. La 3D passe par un filmage à l’aide de deux caméras, à moins que le relief ne soit ajouté a posteriori de manière artificielle.
Mutation du parc des salles
A un journaliste de Libération venu le voir l’été dernier à Rolle, Godard se disait étonné que si peu d’auteurs confirmés ou d’étudiants se lancent dans la 3D, que le procédé soit l’apanage des gros studios américains. «Les jeunes ne s’intéressent pas à la technique, ils savent à peine ce qu’est une caméra, alors deux… Ils ne réfléchissent pas au fait qu’une caméra, elle voit.» Qu’elle est un œil avant d’être un outil, donc. La nuance est un peu imperceptible, mais elle a son importance. La caméra n’est pas que l’extension du regard du réalisateur, elle possède son propre regard.
Alors que Frédéric Maire dit apprécier le relief, même s’il espère que, dans le futur, la narration s’adapte mieux aux possibilités qu’il offre, Edouard Waintrop se montre plus réservé. «Jusqu’à présent, seuls Hugo de Scorsese et Pina de Wim Wenders m’ont convaincu», souligne celui qui est à la fois délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, section parallèle du Festival de Cannes, et directeur des Cinémas du Grütli, à Genève. «La 3D s’est imposée parce qu’elle a permis de précipiter la mutation du parc mondial des salles, le passage de l’analogique au numérique. Pour le reste, même les boîtes américaines comprennent aujourd’hui que ce n’est pas si simple de faire de la 3D, qu’il faut des idées. Personne n’a encore réellement prouvé que le relief était un avantage du point de vue narratif. Prenez le roman, qui reste la forme la plus aboutie de récit. Eh bien, il n’y a même pas d’images!»
Le Français, qui, dans le cadre de son mandat cannois, n’a reçu qu’un seul film en 3D parmi les 4500 titres soumis à son regard critique en trois ans, imagine en tout cas mal que la technologie quitte un jour le champ des blockbusters ou des expérimentations marginales. A l’instar du directeur de la Cinémathèque suisse, il est néanmoins curieux de découvrir Adieu au langage, un film dont on ne sait finalement pas grand-chose, si ce n’est qu’on y découvrira un couple, un chien et des aphorismes. «Tout ce que je peux vous dire, nous glisse Fabrice Aragno, c’est que vous allez découvrir de la 3D artisanale et poétique.»
Retrouvez l’actualité du 67e Festival de Cannes, du 14 au 25 mai, sur le site de «L’Hebdo». www.hebdo.ch
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