Essai. Et si le succès du film de Philippe de Chauveron «Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu?», montrant un bourgeois de province confronté aux mariages successifs de ses filles avec un Chinois, un juif, un Arabe et un Noir, montrait la voie d’une nouvelle réponse au racisme?
Marcela Iacub
Rien ne semble plus inefficace pour combattre l’hostilité des majorités envers les minorités que les accusations de racisme dans les débats publics. Tout est si répétitif et si facile! Et ceux qui pointent du doigt les énergumènes qui se plaignent d’être envahis par les minorités religieuses, ethniques et par les étrangers sont pathétiques. Ils sont si fiers de prendre le rôle de justiciers sans courir le moindre risque que l’on ne peut s’empêcher de les soupçonner d’avoir trop de péchés à blanchir. Comme si l’antiracisme était le paradis fiscal de la morale.
Ce faisant, même les comédies qui exploitent ce double travers ne font plus rire. Sauf quand elles deviennent allégoriques et qu’elles s’appuient sur les discours racistes et sur les accusations dont ils font l’objet pour faire réfléchir à d’autres problèmes plus subtils et inexplorés.
C’est le choix qu’a fait Philippe de Chauveron dans Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu? Voici un couple de bourgeois catholiques de province dont trois des quatre filles ont épousé un Arabe, un Chinois et un juif. Quand la quatrième leur annonce qu’elle va épouser à son tour un Ivoirien, la tolérance méprisante dont ils avaient fait preuve jusqu’alors se transforme en désespoir et menace de faire exploser aussi bien leur propre couple que leur santé mentale.
Or, il suffit d’avoir été marié une fois dans sa vie pour comprendre comme il est facile de se sentir un étranger, un Noir, un juif, un Arabe lorsqu’on est confronté à sa belle-famille. Si ces tensions ont toujours existé, elles sont devenues beaucoup plus violentes depuis quelques décennies. Les couples sont si éphémères et, en fin de compte, si dévalorisés dans la société qu’on dirait que les belles-familles n’attendent qu’une chose: qu’un enfant naisse et que le conjoint, cette «pièce rapportée», s’éclipse.
Le problème que cherche sinon à résoudre tout au moins à poser le réalisateur de ce film est celui de savoir comment faire pour dépasser la violence que produisent ces «étrangers» dans les belles-familles d’aujour-d’hui. Que faire pour rester civilisé, voire pour construire une famille qui puisse inclure réellement les conjoints de ceux qui sont attachés entre eux par des liens de sang?
L’idée de Philippe de Chauveron n’est heureusement pas de revenir en arrière pour rendre les séparations impossibles, et donc pour apaiser par la contrainte le désir qu’ont les belles-familles d’éjecter les intrus. Bien au contraire. Il propose quelque chose de beaucoup plus intéressant: faire en sorte que l’amitié, ces «affinités électives», ces relations singulières entre individus prennent le devant sur cette violence structurelle.
Comme si la famille et ces tares terribles que sont la fermeture sur elle-même, la mesquinerie et l’égoïsme au regard des tiers, et le formalisme des rapports entre ses membres, pouvaient être surmontées par cette chose qui est à maints égards sa négation même: l’amitié. Mais il est dommage que le réalisateur ne soit pas allé plus loin dans cette voie révolutionnaire. Car, si ce bourgeois de province – si merveilleusement incarné par Christian Clavier – réussit à devenir ami du père de son futur beau-fils, il n’entretient avec ses propres filles aucun rapport d’amitié. Et il en va de même des liens que son épouse cultive avec elles. L’un et l’autre se contentent d’être leurs parents et les rapports sont donc formalisés, contraints et indissolubles.
Une autre perception
Des rapports qui ne semblent plus correspondre aux idéaux relationnels du monde contemporain, ces idéaux qui expliquent que les couples soient devenus si éphémères. En effet, si les liens de filiation et les autres liens de sang devenaient eux aussi électifs, comme ceux du couple, l’amitié serait la forme du lien social la plus valorisée dans le monde privé. On pourrait divorcer de ses parents et de ses enfants, de ses frères et sœurs, aussi bien pendant l’enfance que notre vie durant, et en adopter d’autres.
Cette transformation pourrait avoir des effets considérables sur la manière dont une société perçoit ses étrangers, ses Noirs, ses Chinois, ses juifs, ses musulmans. Parce que, dans un monde dans lequel l’amitié, avec la liberté, la curiosité, l’ouverture et aussi les responsabilités qu’elle entraîne, et non pas le sang, chaque individu serait une sorte de minorité ethnique ou religieuse à part entière.
Plus encore. Ce serait une société constituée uniquement par des individus étranges, bizarres, énigmatiques les uns envers les autres, qui ne cesseraient de tisser des liens entre eux sans qu’aucun ensemble ne soit considéré comme groupe majoritaire. Peut-être que, dans les années à venir, de nouvelles avant-gardes s’inspireront des idées de ce type pour contrer le familialisme actuel. Elles ne sortiront plus dans les rues pour avoir le droit de se marier ou de faire des enfants mais pour clamer, en paraphrasant le célèbre slogan de la révolution d’octobre: «Tout le pouvoir aux amitiés.»
L’auteure
Marcela Iacub
La juriste, essayiste et chercheuse franco-argentine publie chaque mois dans L’Hebdo un essai sur un film d’actualité.