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Pierre Monnard, l’autre cinéma suisse

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Jeudi, 1 Mai, 2014 - 05:58

Portrait. Le réalisateur fribourgeois signe avec la comédie «Recycling Lily», tournée en suisse allemand, un premier long métrage réjouissant.

«Je sais, je suis complètement maso!» Lorsqu’on demande au Fribourgeois Pierre Monnard pourquoi il a choisi de réaliser son premier long métrage, Recycling Lily, en suisse allemand, il commence par se marrer. Car ce n’est ni la première fois, ni la dernière, qu’on lui pose la question. «Lorsqu’en 2006 j’ai eu l’idée de réaliser un film qui allait s’articuler autour d’un inspecteur des poubelles, embraie-t-il, j’ai passé une semaine à sillonner les rues de Bâle avec un agent de la voirie. Naturellement, l’histoire que j’avais en tête devait dès lors se raconter en Suisse alémanique et en suisse allemand. Sans faire de raccourcis faciles, disons que les Alémaniques ont plus le sens de la responsabilité civique et des règles. J’avais en outre très envie de travailler avec Bruno Cathomas et Johanna Bantzer, deux comédiens que j’aime beaucoup. Lorsque le film est sorti outre-Sarine, on m’a dit que c’était un film qu’il fallait faire, mais qu’un Alémanique n’aurait pas pu faire…»

Tant par ce qu’elle raconte que par la façon dont elle le raconte, Recycling Lily est une œuvre atypique, dont le premier mérite est de ne ressembler à rien de connu. On y trouve donc un inspecteur des poubelles et des villas bien alignées derrière leurs jardins d’agrément, mais aussi une serveuse syllogomane et sa fille en crise d’adolescence, une barre d’immeubles terne, un diner à l’américaine très pop, un restaurant chinois forcément kitsch et un bar de motards en plein air.

Un peu comme un enfant face à une pile de boîtes Lego, Pierre Monnard s’est inventé un monde improbable dans lequel il fait évoluer des personnages ultratypés mais aussi profondément attachants, à l’image de ses trois protagonistes, mais aussi de M. Denis, ce Welsch perdu en terres alémaniques et magnifiquement interprété par Claude Blanc, voix mythique de la radio romande (Oin-Oin) et pilier de Bergamote aux côtés de Claude-Inga Barbey et de Patrick Lapp.

Quelque chose de magique

Recycling Lily est à l’image de Pierre Monnard, un réalisateur encore inconnu du grand public mais qui a déjà pas mal roulé sa bosse, rebondissant au gré de ses envies et des possibilités qui s’offrent à lui sans se préoccuper de ne pas être étiquetable. Né en 1976, il grandit à Châtel-Saint-Denis, à deux pas du cinéma Sirius, où ses parents l’emmènent régulièrement. Un souvenir fondateur? L’espion aux pattes de velours, dit-il sans réfléchir. «Une comédie sixties et funky, très colorée et avec un chat espion. Je sais, ça fait un peu cliché, mais quand les lumières se sont éteintes et qu’on a commencé à me raconter cette histoire, il s’est passé quelque chose de magique. Lorsque, plus tard, j’ai compris que des gens gagnaient leur vie en tournant des films, je me suis dit que c’était ce que je voulais faire.»

Ado, Pierre Monnard filme ses potes lors de leurs virées aux Paccots. La mode est au skateboard, au snowboard et aux délires vidéo. Mais comment faire pour devenir cinéaste? «En bon Suisse, je me suis dit qu’il devait bien y avoir une formation. Après mon bac, j’ai alors passé un concours pour entrer à l’ECAL, mais cela n’a pas marché. Idem à la Fémis, à Paris, puis en Belgique. En parallèle, j’ai obtenu une demi-licence en histoire et esthétique du cinéma à l’Université de Lausanne.»

L’atelier de bournemouth

Finalement, le Fribourgeois se retrouve dans un art college anglais à Bournemouth. «Ils avaient une section film en animation. J’ai alors tenté ma chance. Je suis arrivé là-bas avec toute ma cinéphilie et, lorsque j’ai découvert que mon colocataire ne connaissait pas Scorsese, j’ai été outré. Il n’y avait aucun cours théorique, le concept était plutôt celui d’un grand atelier où on nous met à disposition du matériel et on nous incite à nous lancer, quitte à commettre des erreurs. Pendant deux ans, on a tourné des films terribles.»

Les élèves ont alors tous un but: réaliser des clips et des pubs. Leur modèle absolu est le Londonien Jonathan Glazer, clippeur avant de passer au cinéma en 2000 avec le film de gangsters Sexy Beast. En 2002, Pierre Monnard réussit un joli coup avec son film de diplôme, Swapped, qui remporte l’année suivante le Prix du cinéma suisse du meilleur court métrage.

Deux ans plus tard, un second court tourné en anglais, Come Closer, assoit sa réputation et lui permet de tourner, comme en rêvaient ses camarades de Bournemouth, de petits films de commande. Il s’installe ensuite à Zurich, puis part deux ans à Paris, où il réalise des vidéos pour Grand Corps Malade, Calogero et Sliimy, tout en développant un projet de long métrage avec le duo Omar et Fred, juste avant que le premier n’explose grâce à son rôle dans Intouchables. «Ils étaient partants, mais la production était un peu pressée, le projet a finalement été abandonné. Je pense que le scénario n’était pas suffisamment abouti. Mais cela a été une belle expérience, et j’ai heureusement pu rebondir grâce à Recycling Lily, dont l’écriture fut mon école de scénario.»

Pierre Monnard aime le vintage, les comédies de l’âge d’or hollywoodien et la bande dessinée. Avec son coscénariste André Küttel, il a mis un peu de tout cela dans son premier long, une production entièrement helvétique qui fait sa fierté. «Car je l’ai imaginé comme cela dès le départ. Je voulais un film 100% suisse, avec une histoire 100% suisse, des thèmes et des personnages 100% suisses. J’ai d’ailleurs envie de continuer sur cette voie et prouver que l’on peut partir de nos spécificités pour toucher à quelque chose d’universel. Avec André, on est d’ailleurs en train de finir l’écriture d’une comédie sur le röstigraben, un thème que je connais bien pour l’avoir vécu au quotidien.»

On a déjà hâte de voir le résultat, tant, avec Recycling Lily, le Fribourgeois s'impose comme une voix essentielle, car à part, singulière, du cinéma suisse.


Film
un«feel good movie» qui s’assume

Le premier long métrage de Pierre Monnard réussit l’exploit d’être à la fois très suisse et pas du tout. Très suisse, il l’est à travers son héros, un inspecteur de la voirie traquant ceux qui ne sortent pas leurs poubelles à l’horaire prévu. Cet homme, Hansjörg, est méticuleux, coincé. Il est aussi secrètement amoureux de Lily, une mère célibataire dont il ignore qu’elle est syllogomane, une collectionneuse compulsive qui entasse chez elle des tonnes d’objets. Alors que Lily devrait être un peu plus ordonnée, Hansjörg devrait, lui, apprendre à être moins rigide.
A partir de cet argument minimal, Pierre Monnard signe une comédie romantique excellemment rythmée et très intelligente dans sa façon de brocarder doucement la Suisse des quartiers de villas kitsch et sans âme, métaphore évidente du repli sur soi. L’univers filmique qu’il met en place tranche avec le cinéma helvétique dominant, où le gris est de mise et les thématiques sociales abordées sous un angle documentaire. On pouvait craindre de Recycling Lily qu’il ne soit qu’un objet arty et prétentieux. Or, il assume son côté feel good movie et son artificialité, tout en parvenant à atteindre son objectif: divertir. Là où d'autres ne verront que de la naïveté, on voit de l'honnêteté.

stephane.gobbo@hebdo.ch

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Darrin Vanselow / L’Hebdo
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