Lors de la dernière cérémonie des oscars, début mars, l’apparition de l’actrice Kim Novak, 81 ans, a consterné les spectateurs. Des tweets cruels ont fusé pour moquer ses abus de chirurgie esthétique. L’actrice vient de répondre qu’on avait le droit d’être belle, et de tout mettre en œuvre pour le rester, relançant la polémique. Dans Vertigo d’Alfred Hitchcock (Sueurs froides en français), elle était le modèle de la blonde énigmatique à l’élégance racée.
Son visage continue de fasciner, mais pour d’autres raisons. Mystérieux parce que mutique, il est devenu aujourd’hui bavard. La bouche ressemble à une cicatrice: celle du Joker de Batman; elle dessine la trace d’un mors et évoque l’asservissement. Ironiquement, celle dont la chair est «gelée» par les injections, a attribué un oscar au film d’animation Frozen. On dit que Kim Novak ne se ressemble plus, et pourtant. Vertigo, le film auquel elle doit sa renommée, a inventé un effet de caméra, le «vertigo». Il permet d’exprimer le vertige. Le visage de Kim Novak a dorénavant cette faculté. Il est sublime parce qu’il crée l’effroi. Son abîme fait peur, tout en attirant, comme un précipice montagneux. Il n’est ni du présent ni du passé, mais suspendu dans les limbes.
Or, dans Sueurs froides, l’actrice incarne Madeleine, une femme obsédée par l’une de ses aïeules. Son chignon en spirale est une mise en abyme du film entier, qui ne cesse de revenir sur le passé. Après son suicide, Madeleine réapparaît, se dédouble: à la fois morte et vivante, elle rend fou le détective chargé de la protéger, joué par James Stewart, tétanisé par le vertige. Désormais défiguré par des chirurgiens faussaires, ce visage est pourtant plus que jamais fidèle à lui-même. Si Hollywood le moque, c’est parce qu’il lui renvoie son propre reflet. Le visage de Kim Novak est un miroir: regardez-vous dedans.