Lucas Belvaux aime les oppositions. Après avoir mis en scène d’intenses confrontations entre un riche industriel et son kidnappeur (Rapt, 2009), puis entre une journaliste, un policier et le témoin d’un meurtre (38 témoins, 2012), il s’intéresse dans Pas son genre à un duel d’ordre sentimental. Ecrivain et professeur de philosophie, Clément est à son grand désespoir muté en province, à Arras, où il est contraint de passer une partie de la semaine. Prototype à la limite de la caricature de l’intellectuel parisien, il va décider de combler le vide de ses soirées en compagnie d’une jeune coiffeuse, Jennifer, qui va éperdument s’éprendre de lui. Alors que de son côté il restera d’une froideur toute réfléchie.
Se rêvant en Pygmalion, Clément va tenter de faire de Jennifer son Eliza Doolittle (l’héroïne de Bernard Shaw si sublimement interprétée par Audrey Hepburn dans My Fair Lady), de la sortir de sa condition de pauvre prolétaire en l’initiant à la grande littérature et à la philosophie. Il sent qu’elle a en elle plus de profondeur que ne le laisse supposer sa passion pour le karaoké. Mais l’aime-t-il réellement ou ne cherche-t-il dans le fond qu’à s’encanailler? La question va évidemment tarauder Jennifer, comme elle interpelle le spectateur. Que veut Clément, qu’attend-il? Ses motivations resteront ambiguës et confèrent au film une belle tension psychologique. Lorsque l’intellectuel manipule les sentiments de la coiffeuse, on se croirait chez De Palma; lorsque le couple semble filer le parfait amour, on dirait du Truffaut.
Douze ans après la trilogie qui l’avait révélé (Un couple épatant, Cavale et Après la vie), Lucas Belvaux transcende une nouvelle fois une histoire des plus banales – voir la bande-annonce, qui vend très mal le film – pour en faire une vraie réflexion sur les jeux de l’amour et du hasard.
«Pas son genre». De Lucas Belvaux. Avec Emilie Dequenne, Loïc Corbery et Sandra Nkaké. France, 1 h 51.