Le premier centre d'archives consacré au patrimoine et à la culture des Noirs au Royaume-Uni s'est ouvert à Londres, dans le but de mettre en lumière une histoire longtemps ignorée. Durée: 01:12

Le premier centre d'archives consacré au patrimoine et à la culture des Noirs au Royaume-Uni s'est ouvert à Londres, dans le but de mettre en lumière une histoire longtemps ignorée. Durée: 01:12
Roman Polanski donnera une leçon de cinéma ouverte au public le 15 août à Locarno. Invité à présenter le lendemain son dernier film et à recevoir un prix spécial au 67e Festival du film de Locarno, le réalisateur franco-polonais sera accompagné de son épouse Emmanuelle Seigner.
Directeur artistique du festival, Carlo Chatrian se déclare "particulièrement fier que Polanski ait accepté de participer aux initiatives de formation du Festival". Il s'agit là de la Locarno Summer Academy, accessible à tout le public du festival, écrivent ses organisateurs dans un communiqué publié samedi. Un millier de places sont disponibles.
"Le festival est aussi une transmission de savoirs", se félicite Carlo Chatrian, cité dans le communiqué. "Aux grands maîtres, nous ne demandons pas des leçons qui tombent du ciel, mais un partage d'expériences", ajoute-t-il. Et le directeur de se dire "certain que la rencontre avec un cinéaste qui refuse tout dogmatisme constituera l'un des moments les plus forts de ces dernières éditions".
La veille de sa leçon, Roman Polanski présentera la projection de "La Vénus à la fourrure", accompagnée de son épouse Emmanuelle Seigner. Invité d'honneur de la manifestation tessinoise, il se verra remettre un Léopard spécial.
La dernière fois que le réalisateur, acteur, producteur et écrivain est venu en Suisse pour recevoir un prix, à Zurich en 2009, il avait été arrêté pour une ancienne affaire de viol de mineure aux Etats-Unis.
L'artiste avait alors été la vedette d'un feuilleton qui avait tenu en haleine le public pendant plus de sept mois durant lesquels il est resté enfermé aux arrêts domiciliaires dans son luxueux chalet de Gstaad. Finalement, la Suisse avait refusé le mandat d'extradition des Etats-Unis.
La météo capricieuse n'a pas terni la 39e édition du Paléo Festival: les pieds dans la boue, les 230'000 spectateurs ont applaudi artistes confirmés et découvertes. Evénement de cette année: le concert de Stromae. Le chanteur belge a joué devant 50'000 personnes, du jamais vu à Nyon (VD).
Le concert de Stromae était très attendu: il n'a pas déçu. Cet "artiste complet" a donné un concert "hors du commun. Il a tout: la musique, les paroles, le look, l'humour", a commenté dimanche Jacques Monnier, programmateur, à l'heure du premier bilan.
Les huées des spectateurs lorsque le Belge a parlé des frontaliers français ? "Une réaction anecdotique, un épiphénomène monté en épingle" et qui aurait pu s'adresser à d'autres types de population, selon Daniel Rossellat, patron du festival.
Autre tête d'affiche de cette 39e édition: Elton John, en "belle forme", a assuré son show. Le blues de Seasick Steve a ému par sa simplicité et Skip The Use a assuré sous la pluie, a ajouté le programmateur, Jacques Monnier.
La chanson française s'est assuré une place de choix cette année, avec Julien Doré et son "show impeccable", Maxime Le Forestier qui revenait à Nyon pour la septième fois - un record - ou encore Bernard Lavilliers et Grand Corps Malade.
Deux révélations devraient éclore ces prochaines années: les Ecossais Young Fathers avec leur hip-hop métissé et les Londoniens de Jungle.
The National, Placebo et Woodkid devaient clore dimanche soir les six soirées de concerts. Autre moment très attendu: le retour de Bertrand Cantat, ex-membre de Noir Désir, avec son nouveau groupe Detroit.
Le Paléo a vécu cette année au rythme des caprices du temps: "La météo était totalement imprévisible. Durant la semaine, il est tombé 56 millimètres de pluie. Qui se sont ajoutés aux fortes précipitations qui se sont abattues durant le montage et juste avant l'ouverture.
Pour rendre praticable le terrain gorgé d'eau, les organisateurs ont répandu 350 tonnes de paille sur le site et 100 m3 de copeaux. A plusieurs reprises, tout ou une partie des parkings ont dû rester fermés.
En raison de la météo maussade, les ventes de boissons sont en léger recul, de l'ordre de 10%. Les recettes des bars et restaurants comptent pour 20% dans le budget de la manifestation qui avoisine les 24 millions de francs.
Les organisateurs ne s'attendent pas à une augmentation de la masse de déchets abandonnés par les festivaliers, comme à Frauenfeld.
L'année prochaine, Paléo fêtera ses 40 ans. "Ce sera l'occasion de faire la fête et de dire merci à nos collaborateurs, au public et à la ville de Nyon", a expliqué le patron du festival et syndic de Nyon.
Pour la programmation, rien n'a encore filtré. On sait juste que le Village du Monde aura pour thématique l'Extrême-Orient.
Les spectateurs sont venus en nombre ce week-end à Nendaz (VS) assister au Valais Drink Pure Festival. La fréquentation du festival international de cor des Alpes est jugée "bonne" dimanche par les organisateurs qui attendaient 12'000 visiteurs durant trois jours.
"La météo capricieuse n’aura pas eu raison de cette 13e édition". La fréquentation a quand même été bonne", déclare dans un communiqué le président du comité d’organisation Jacques-Roland Coudray. Avec une centaine de participants, les joueurs de cors des Alpes ont, eux aussi, répondu présents à l’appel.
Le président s'est réjoui du niveau de plus en plus élevé des participants en provenance de Suisse romande et alémanique ainsi que de France. Les gagnants du premier prix toutes catégories sont d'ailleurs trois Français, fidèles du festival. Le Trio Coralpin, d'Annecy en est, en effet, à sa dixième participation.
A noter l’excellente deuxième place du Nendard Benjamin Devènes, hors catégorie, une classe réservée aux solistes ou formations ayant déjà obtenu d’excellents résultats lors des éditions précédentes.
Durant toute la durée de la compétition, le jury a délibéré à l’aveugle, précisent les organisateurs. Ce procédé est, selon eux, unique en Suisse.
Le cor des Alpes est "un symbole national fort qui fascine tout un chacun, quel que soit son âge", se félicitent les organisateurs qui apprécient le caractère intergénérationnel du festival. Le plus jeune participant a 13 ans et l'aîné tout juste quatre-vingts.
Bercé par la musique du cor des Alpes, le public a pu assister à de nombreuses prestations folkloriques et découvrir d'autres traditions comme celles perpétuées par les lutteurs, les yodleurs, les sonneurs de cloches ou autres claqueurs de fouets.
On peut être passionné par les coutumes helvétiques et apprécier les traditions étrangères. Pour preuve le succès qu'a connu un groupe de cinq Roumaines qui ont participé au concours fun en jouant du tulnic, un instrument cousin du cor des Alpes. Tous deux se ressemblent par leur origine à la nuit des temps, parce qu'ils sont fabriqués en bois et qu'ils étaient utilisés à la base comme moyens de communication.
En montagne, avec le vent comme allié, les sons peuvent porter jusqu'à 10 kilomètres. Ce n'est que vers 1880 que le cor des Alpes a pris sa forme actuelle. Aujourd'hui en Suisse, on compte environ 4000 instrumentistes, dont 150 en Valais et une dizaine à Nendaz.
Les meilleurs danseurs de salsa de Colombie se sont réunis dans la ville de Cali pour le 9ème Festival mondial de salsa. Les concurrents s'affrontent dans les catégories suivantes: couples, couples cabaret, couples style Cali, groupes réunis et groupes cabaret. Durée: 01:50
En 2013, les rappeurs sénégalais Xuman et Keyti ont lancé "le journal télé rappé", où ils mettent l'information en rythme et en rimes. Un programme diffusé chaque vendredi sur une télévision locale et une chaîne YouTube dédiée, comptant aujourd'hui près de 12.400 abonnés. Durée: 01:36
Le cinéma libanais reste hanté par la guerre civile qui a déchiré le pays pendant 15 ans, les réalisateurs ressentant le besoin d'exorciser les démons de ce conflit aux séquelles enracinées dans la société. Durée: 02:21
Impressionnisme. Il est des expositions qui s’accordent avec la saison en cours. Présenter l’œuvre de Renoir en plein été, comme le fait la Fondation Gianadda, c’est mettre en résonance la chaude palette du peintre avec celle de la nature environnante. Après Degas, Manet, Gauguin, Van Gogh ou Monet, la fondation valaisanne complète avec Auguste Renoir (1841-1919) son offre des rétrospectives consacrées aux grands peintres impressionnistes. En une centaine de toiles et deux sculptures, le parcours s’amorce avec un Arlequin en 1861, alors que le jeune peintre s’apprête à entrer dans l’atelier parisien du Vaudois Charles Gleyre. Il s’achève peu avant la disparition de Renoir avec des pins évanescents au bord de la Méditerranée. La sélection proposée, en provenance du monde entier, abonde en œuvres rarement vues, où le meilleur (scènes de genre, natures mortes, paysages, portraits) côtoie de trop nombreux nus opulents et bébés roses. Pas une raison, toutefois, de bouder ce spectacle unique, où la lumière se révèle encore plus charnelle que les corps.
Fondation Gianadda, Martigny,
jusqu’au 23 novembre. www.gianadda.ch
Fameux en Suisse alémanique, Markus Raetz (73 ans) l’est un peu moins en Suisse romande. A tort: l’œuvre multidimensionnelle de l’artiste bernois est aussi légère que profonde. Ses estampes et sculptures étaient récemment montrées au Musée des beaux-arts de Berne, selon une approche thématique. Le Musée Jenisch de Vevey reprend une partie de cette rétrospective et ajoute des œuvres pour suivre une autre piste, plus linéaire mais surprenante.
L’exposition nous convie au spectacle de la naissance de la forme chez Markus Raetz, du carnet de dessins à la gravure ou à la sculpture finales. C’est un bon moyen de pénétrer le cœur d’une pratique faite de hasard, de jeu, d’humour, de multiplications des points de vue et d’interrogations sur la perception visuelle. La sculpture du bonhomme aux jumelles qui se dresse à l’entrée du musée donne le ton: tout est ici oculaire et spéculaire. Grâce à des miroirs, des mots s’inversent avec malice ou un lapin rend hommage à Magritte. Les sculptures ont l’air de dessins, mais le contraire est aussi vrai. La pensée raetzienne est fondamentalement réflexive. Dans le sens des miroirs qui réfléchissent mieux que chez beaucoup d’artistes, mais aussi dans le sens de la réflexion sur les techniques utilisées, surtout celle de l’estampe.
Timbre humide en caoutchouc, linogravure, xylographie, eau-forte, aquatinte, sérigraphie, pochoir, burin: Markus Raetz fait feu de tout bois pour trouver les procédés qui rendront au mieux justice à ses idées. Non sans dérouter la course des processus par des imprévus, des repentirs, des halte-là-laissons-les-choses-en-l’état. C’est dire si ces devenirs formels sont semblables à des destins humains, ces petites lignes qui vont de la naissance à la mort en prenant des chemins toujours imprévus, en croyant voir des choses qui ne sont pas ou qui sont autres, et en gardant dans le meilleur des cas une capacité d’émerveillement sur les mystères de la création, quelle qu’elle soit.
«Markus Raetz, SEE-SAW». Vevey, Musée Jenisch. Jusqu’au 5 octobre.
www.museejenisch.ch
Trajectoire. Première victime militaire de la Grande Guerre, avec son ennemi le sous-lieutenant prussien Albert Mayer, Jules André Peugeot a été tué le 2 août 1914 à Joncherey, tout près de la frontière avec l’Ajoie. Quelques heures avant l’embrasement généralisé.
Le village de Joncherey, dans le Territoire de Belfort, rend hommage le samedi 2 mai aux deux premiers militaires tués lors de la Première Guerre mondiale: le caporal français Jules André Peugeot et le sous-lieutenant allemand Albert Mayer. La cérémonie est placée sous le signe de l’amitié franco-allemande. Un symbole de réconciliation qui tranche avec l’inscription du monument dédié au caporal Peugeot à Joncherey: «Plus de trente heures avant qu’elle ne déclarât la guerre à la France, l’Allemagne impériale et royale a répandu le premier sang français.»
Cet épisode méconnu de la Grande Guerre, survenu il y a un siècle exactement, est intéressant à double titre. Il trahit l’atmosphère explosive de l’été 1914, où l’accumulation des provocations réciproques – comme la mort de deux soldats à Joncherey – allait aboutir à la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France le 3 août dans la soirée. L’escarmouche fatale, d’autre part, concerne la Suisse de près.
L’abbé-historien
Situé à deux kilomètres de Boncourt, dans le canton du Jura, le petit village franc-comtois de Joncherey était habité par des Suisses, dont Louis Daucourt et sa famille. Il s’avère que le frère de cet Ajoulot était l’abbé Arthur Daucourt, fondateur du Musée jurassien d’art et d’histoire de Delémont. Egalement historien, l’abbé Daucourt a relaté dans son journal la vie de la région pendant la guerre. Il a aussi recueilli nombre de reliques et de témoignages du conflit pour son musée, dont le bois d’un arbre transpercé par une des balles du sous-lieutenant Mayer, remis par son frère, Louis Daucourt. Le premier grave incident de cette guerre, qui allait faire 8 millions de morts et 20 millions de blessés, s’est en effet joué dans la cour de la maison du Suisse le 2 août 1914, en milieu de matinée.
Obéissance de cadavre
Ce jour-là, sur ordre du commandement allemand, une patrouille à cheval franchit la frontière française depuis l’Alsace. Elle est menée par le sous-lieutenant Albert Mayer, 22 ans, excellent cavalier originaire de Magdebourg, en Prusse. Simple reconnaissance des troupes ennemies? Provocation voulue par les troupes du Kaiser? Plus personne ne le sait avec exactitude. Comme plus personne ne discerne pourquoi le sous-lieutenant Mayer, pourtant pacifiste, espérant jusqu’à la veille de sa mort que l’Allemagne et la France trouveraient un terrain d’entente, a attaqué avec tant de brutalité l’escouade du caporal Peugeot postée dans la maison de Louis Daucourt. Un cas d’obéissance aveugle, appelée Kadavergehorsam (obéissance de cadavre), par les Allemands à l’époque?
Instituteur âgé de 21 ans, Jules André Peugeot est originaire d’Etupes, dans le Doubs. Il a sans doute des ancêtres communs avec la famille d’industriels franc-comtois Peugeot. Comme Albert Mayer, il est protestant, réfléchi, bien éduqué et plutôt doux de nature. Le 2 août 1914, il a quatre hommes sous ses ordres, avec pour mission de surveiller les chemins qui mènent à la frontière allemande. Le jour d’avant, il a envoyé l’un de ses soldats chercher du sucre à l’épicerie de Boncourt. Les douaniers suisses ont laissé passer le militaire français sans problème.
«Voilà les Prussiens!»
Vers 10 heures, la fille de la maison, Adrienne Nicolet, sort chercher de l’eau à une source proche. Elle aperçoit soudain dans les champs de blé des casques à pointe. Elle revient en criant: «Voilà les Prussiens!» La sentinelle du poste de surveillance voit arriver sur elle les militaires allemands au galop, avec à leur tête le sous-lieutenant Mayer, sabre au clair. Celui-ci charge la sentinelle française, sans toutefois la blesser. Puis, avec un revolver dans son autre main, il se dirige avec ses six cavaliers vers la cour de la maison, où l’attend le caporal Peugeot, genou à terre, en position de tir. Les coups partent à peu près en même temps. Deux balles d’Albert Mayer se perdent, l’une dans un arbre, l’autre sur la façade de la maison. La troisième atteint Jules André Peugeot à l’épaule droite, lui sectionnant l’aorte. Le caporal s’avance vers la porte d’entrée et s’écroule, mortellement atteint. Albert Mayer reçoit sans doute une balle du caporal Peugeot à l’aine gauche. Il continue sa course folle. Deux cents mètres plus loin, il est touché par une autre balle, peut-être tirée par un soldat de la patrouille française qui cheminait sur la route proche. Le projectile entre derrière l’oreille, à la hauteur de la tempe droite, tuant le sous-lieutenant. Les autres cavaliers allemands s’enfuient par la forêt qui couvre ces contreforts des Franches-Montagnes. L’un d’entre eux, blessé dans la bataille, se constitue prisonnier.
Les première et deuxième victimes de la Grande Guerre sont amenées à Joncherey, dans une grange, où elles passent quelques heures côte à côte «réconciliées dans la paix et le silence de la mort», comme l’écrira plus tard un médecin de la région. Le caporal Peugeot sera enterré à Etupes, le sous-lieutenant Mayer à Joncherey avant que sa dépouille ne soit transférée à Illfurt, dans le Haut-Rhin, lors de la création de la nécropole allemande.
Cette triste histoire est notamment racontée dans un ouvrage de Marc Glotz paru en 2012 à Ridisheim (Haut-Rhin). Elle sera aussi détaillée dès le 12 septembre dans l’exposition Traces de guerre, 14-18: regards actuels proposée par le Musée jurassien d’art et d’histoire de Delémont. Grâce au fonds constitué par son fondateur, Arthur Daucourt, l’institution restituera l’empreinte profonde de la guerre mondiale dans le Jura. Les tableaux-reliquaires sous verre de l’abbé Daucourt, où sont présentés divers objets (dont le morceau d’arbre troué par la balle d’Albert Mayer), seront montrés. Ainsi que le journal en plusieurs volumes du fondateur du musée. L’exposition posera surtout la question de l’intérêt actuel en Suisse pour la Première Guerre mondiale, alors que le pays n’a pas participé au conflit. Une manière de lire cette tragique page d’histoire en fonction des préoccupations du présent.
«Traces de guerre, 14-18: regards actuels». Musée jurassien d’art et d’histoire. Du 12 septembre 2014
au 2 août 2015. www.mjah.ch
Entre autres atrocités, les djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant crucifient leurs opposants. Comme ici ces hommes suppliciés fin juin à Dayr Hafir, près d’Alep en Syrie. Il s’agirait de membres d’un groupe rival, jugés «trop modérés» dans leur adhésion à l’islam. L’EIIL sait que ce genre d’images est propre à heurter l’opinion occidentale: la représentation en croix appartient à la plus ancienne iconographie chrétienne. Elle est encore omniprésente dans notre culture. La crucifixion conserve, malgré les siècles, son pouvoir choquant, fait de pitié et
de révulsion devant le martyre des sacrifiés.
Match spécial vacances, cette semaine: prise d’une cosse estivale irrésistible, je renonce à conseiller à mes lecteurs ce qu’ils devraient lire. Je vais au contraire lire ce qu’ils lisent sans que personne ne le leur ait vraiment conseillé. C’est simple: depuis trois mois, tout le monde lit Une autre idée du bonheur de Marc Levy et Muchachas de Katherine Pancol, qui caracolent en tête des meilleures ventes depuis respectivement le 24 avril pour lui et fin février pour elle, le 1er tome de Muchachas ayant été rejoint en avril puis en juin par les tomes 2 et 3 au nirvana des best-sellers. A mon tour!
Femmes, femmes, femmes. Les lecteurs sont le plus souvent des lectrices, Levy comme Pancol le savent bien, qui ont pensé à moi et déroulent deux histoires de filles 100% sentiments garantis. Une autre idée du bonheur raconte l’évasion d’Agatha loin de la prison où elle croupissait injustement depuis trente ans, puis son road-trip à travers les Etats-Unis avec Milly, une automobiliste de vingt ans sa cadette. Muchachas suit le destin de Stella, une jeune mère qui élève seule son fils, et de sa mère, Léonie, battue par son mari. Pour contrebalancer cette intrigue à la Cosette, on retrouve par ailleurs l’univers glamour de l’héroïne précédente de Pancol, soit Hortense Cortès, à New York.
Démago. Langage simple, dialogues simplissimes, personnages simplement élaborés: c’est la littérature anti-exclusion. Kifkif bourricot? Que nenni. Si on aime la passion fidèle, on ne se plaint pas de traînasser avec Pancol le long des 1438 pages gentiment délayées des trois tomes des Muchachas. Mais qui trop embrasse mal étreint: à force de vouloir tout mettre dans ses histoires à étages, la vie, l’amour, la mort, l’ambition, la pauvreté, la richesse, la résilience, le bonheur, le malheur, la trahison et des personnages par dizaines, dont certains repiqués de sa trilogie précédente, on s’y perd, ou on s’ennuie, parfois les deux. Levy, focalisé sur le tandem Agathe-Milly et sur le thème de la liberté et de la remise en question personnelle, ne prend le risque ni de lasser ni d’ennuyer. Sage précaution.
Des jeunes filles élevées dans la forêt par des loups-garous sont prises en charge par des religieuses. Des enfants désœuvrés s’amusent à faire prendre un bain de mer à un albinos malade mental phobique de l’eau. Dans un palais des neiges artificielles, les hommes semblent retomber en enfance dans les bras d’une Lady Yeti. Enfin, dans un EMS flottant, un unijambiste décati tombe amoureux d’une jeune délinquante fascinée par son moignon… C’est un échantillon des neuf textes fantasques que Karen Russel, 33 ans aujourd’hui, figure de la nouvelle génération d’écrivains américains, a publié alors qu’elle en avait 25.
On pourrait craindre une brocante kitsch. Mais ces textes sont, pour la plupart, habités, et rarement bavards. Le farfelu n’y est pas gratuit, mais marque durablement. Chez Karen Russell, il y a ce folklore américain du parc d’attractions plus ou moins à l’abandon, cet amour pour le fantastique de pacotille et la ruine. On est à la fois dans le prosaïque, le prolétaire et le merveilleux. Il y est souvent question de mer aussi, de plages où les tortues viennent pondre, de fantômes et de jeux qui tournent mal. De l’angoisse, enfin. Car ses personnages ressentent tous une «atroce solitude» et peinent à s’insérer dans leur communauté. Derrière la déco chatoyante, qui parfois étouffe l’émotion du lecteur, il y a l’interrogation devant l’invisible: «Au large, la mer bascule dans la nuit. Il y a quelque chose dans l’air, comme si le monde entier retenait son souffle.»
On devrait dire «chapeau bas», mais bon: c’est rapport à la série des Gendarmes… M6 a en effet décidé de rediffuser une nouvelle fois, à raison de deux films par semaine dès ce jeudi, l’inusable série des aventures du maréchal des logis Ludovic Cruchot à Saint-Tropez, courant après nudistes ou extraterrestres.
C’est un double anniversaire. D’abord, le centenaire de la naissance de Louis de Funès, décédé en 1983, dont la vivacité et le timing comique miraculeux commencent enfin à être réévalués par les anciens snobs et les nouveaux bobos. Et ensuite le cinquantenaire du Gendarme de Saint-Tropez, daté de 1964, premier opus d’une série qui se terminera n’importe comment en 1982 avec Le gendarme et les gendarmettes.
C’est la poule et l’œuf, ce triomphe: sont-ce ces films qui sont si increvables? Ou la télé qui fait œuvre de conservateur-promoteur du patrimoine de Funès, réimprégnant à intervalles réguliers rétines et zygomatiques? On ne sait pas trop. Mais en 2008, lors du dernier passage des six films sur M6, les audiences ont été encore une fois sidérantes: entre 3 et 4 millions de téléspectateurs à chaque fois. Au total, de Funès (120 millions d’entrées en salle durant sa carrière) en serait aux alentours de 370 millions de téléspectateurs avec les rediffusions cumulées de tous ses films. Et l’on ne vous parle même pas des coffrets DVD: dans le nouveau concernant les Gendarmes qui sortira fin août, il y aura même un képi en bonus. Képi très bas, donc, j’insiste.
Pour sa 11e édition, le festival consacré au piano et niché dans le cloître romano-gothique de la cité des bords du Doubs a choisi comme clé de voûte Jean-Sébastien Bach. Il y a eu, par le passé, la Fantaisie, l’Impromptu, le couple Schumann, la musique russe, Debussy… Cette fois, c’est l’incarnation de l’équilibre qui répond aux colonnes ancestrales des lieux. Le festival ne manque toutefois pas de proposer en contrepoint d’autres compositeurs phares du répertoire pour clavier (Rameau, Liszt) ainsi que des créations, notamment lors de l’hommage au compositeur jurassien Abner Sanglard décédé en 2012. Organisateur de l’événement, Crescendo propose également Piano à Porrentruy, manifestation annuelle axée elle aussi sur la proximité entre artistes et public dans des lieux à grande valeur culturelle ajoutée.
A l’affiche de Saint-Ursanne, l’organiste Gabriel Wolfer, les pianistes Pascal Godart, Nima Sarkechik (finaliste Clara Haskil 2009), Dana Ciocarlie, Christiane Baume-Sanglard, François-Xavier Poizat, le Quintette de la Philharmonie de Berlin associé au clarinettiste Frédéric Rapin et à la pianiste Cathy Krier ainsi qu’une Tribune de jeunes artistes qui se succéderont de 11 h à 17 h (ve 8). La manifestation se clôt par une Nuit du concerto où se répondent, à travers Bach et Ernest Chausson, des solistes et l’Orchestre international de Genève dirigé par Nicolas Farine.
Saint-Ursanne. Cloître de la collégiale.
Du sa 2 au ma 12 août. www.crescendo-jura.ch
Bande dessinée. La Genevoise Léonie Bischoff vient de réaliser pour Casterman l’adaptation de «La princesse des glaces», célèbre roman noir suédois. Portrait d’une jeune auteure qui monte.
Erik Freudenreich
Pour préparer son troisième album de bande dessinée, Léonie Bischoff n’a pas hésité à braver le froid hivernal de Fjällbacka. La petite ville suédoise n’a pourtant pas très bonne réputation. Depuis quelques années, une vague de crimes sans précédent s’est abattue sur cette paisible cité balnéaire: viols et meurtres sordides s’y enchaînent à vitesse grand V. Heureusement, ces crimes ne sont que de papier: la responsabilité en incombe à Camilla Läckberg, la reine du roman policier scandinave. Les polars de cette économiste de formation, qui se déroulent tous à Fjällbacka, s’arrachent aujourd’hui dans le monde entier. Traduit en plus de trente langues, La princesse des glaces, premier volet des enquêtes policières menées par l’écrivaine Erica Falck et l’inspecteur Patrik Hedström, vient d’être retranscrit avec brio en bande dessinée grâce au coup de crayon de Léonie Bischoff.
De Lancy à Bruxelles
L’histoire de Léonie débute à Lancy, dans le canton de Genève. Sa vocation pour la BD est née tôt: les dimanches de pluie de son enfance, elle les passe avec un album ou une feuille de dessin entre les mains plutôt que devant la télévision. «Mes parents m’ont transmis le goût de la lecture et du dessin, grâce aux illustrations qu’ils réalisaient pour accompagner les histoires racontées à ma sœur et à moi-même», se rappelle la jeune trentenaire. En 2002, après sa maturité artistique, elle intègre la section bande dessinée de l’Institut Saint-Luc à Bruxelles, ville qu’elle a définitivement adoptée avec son compagnon, également dessinateur BD, avec qui elle a cofondé l’atelier Mille. A la fin de sa formation, elle traverse un moment «difficile». «Mon dessin n’était pas encore suffisamment professionnel et je n’étais pas préparée aux démarchages nécessaires pour trouver un éditeur.»
A force de persévérance, la Genevoise finit par rejoindre l’aventure Manolosanctis. Cette petite maison d’édition parisienne, précurseur de la bande dessinée sur l’internet, lui donne l’occasion de participer à des ouvrages collectifs et de sortir un premier album en 2010, Princesse Suplex, l’histoire d’une secrétaire bien tranquille qui se transforme en catcheuse le week-end venu… Les personnages féminins au fort caractère constituent le fil rouge de la carrière de la dessinatrice.
Léonie Bischoff se voit ensuite donner carte blanche par le directeur de la collection KSTR de l’éditeur belge Casterman. Le résultat: Hoodoo darlin’, l’aventure d’une apprentie sorcière vaudoue, Adèle, qui emmène le lecteur aux fins fonds des bayous de la Louisiane. «Je m’intéresse aux histoires de vaudou et de possession depuis mon adolescence. Je redoutais la critique car mon scénario n’était pas si original, mais les échos dans la presse spécialisée ont été plutôt positifs!»
de Bruxelles à Fjällbacka
La talentueuse dessinatrice enchaîne avec l’adaptation du premier roman La princesse des glaces, parue en janvier de cette année, tirée à 20 000 exemplaires, également chez Casterman, et réalisée en collaboration avec le scénariste français Olivier Bocquet. C’est avec lui qu’elle a sillonné la Suède, en hiver: «Après quelques silences gênés pendant le trajet en voiture, nous nous sommes heureusement découvert plein de références communes», sourit la jeune femme. La visite de la ville natale de Camilla Läckberg s’est révélée déterminante. «Fjällbacka est un lieu à l’atmosphère très particulière. Ressentir le froid et les lumières de l’endroit nous a permis de nous approprier l’univers du roman.»
Camilla Läckberg a laissé une liberté d’adaptation complète à Léonie, se contentant de faire une remarque concernant les traits des visages des personnages, jugés «trop marqués» dans une première version. L’adaptation sera suivie l’année prochaine par un deuxième tome, Le prédicateur. Pour l’heure, une trentaine de planches sont déjà finalisées: «L’ambiance sera très différente du premier volet car l’histoire se déroule en plein mois d’août. Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de retourner en Suède mais j’ai profité de l’adaptation du livre réalisée par la télévision suédoise et des prises de vue de Google Street View pour me documenter.» Un troisième tome est déjà à l’agenda pour 2016.
Leur première, et seule, rencontre à ce jour a eu lieu ce printemps à l’occasion du festival Quais du polar, à Lyon. Camilla a trouvé le livre «très beau, très suédois».
«La princesse des glaces».
De Léonie Bischoff et Olivier Bocquet. Casterman, 128 p.
Portrait. Acteur fétiche de François Truffaut, dont il n’aime pas parler tant la douleur de sa disparition demeure vive, le comédien français reçoit un Léopard d’honneur à Locarno.
En remettant un Léopard d’honneur à Jean-Pierre Léaud, 70 ans, c’est plus qu’un parcours de comédien que le Festival du film de Locarno salue. C’est tout un pan de l’histoire du cinéma qu’il célèbre à travers celui qui a débuté à 14 ans dans Les quatre cents coups, de François Truffaut, et dont la projection à Cannes, en 1959, a marqué la naissance publique de la Nouvelle Vague. Ce film fondateur, l’un des plus beaux jamais réalisés sur l’enfance, la manifestation tessinoise le projette sur sa mythique Piazza Grande un jour avant son ouverture officielle.
Durant le festival, on pourra revoir un autre Truffaut, Les deux Anglaises et le continent (1971), mais aussi un Godard, Masculin, féminin (1966), Le pornographe de Bertrand Bonello (2001) et, enfin, La maman et la putain (Jean Eustache, 1973), un des longs métrages les plus importants de la filmographie de Jean-Pierre Léaud: quelque 80 titres à ce jour, et une impressionnante alignée de réalisateurs majeurs.
Deux films en un
Mais qui est vraiment Jean-Pierre Léaud? Existe-t-il un Dr. Jean-Pierre et un Mr. Léaud? La question n’est pas anodine, tant elle suscite de réponses discordantes, avec d’un côté ses thuriféraires et de l’autre des moqueurs qui raillent un jeu ampoulé et ne supportent pas sa diction, parfois à la limite de la récitation. Mais la vérité est ailleurs. Ou plutôt Jean-Pierre Léaud est ailleurs. Il est en quelque sorte à côté. A côté des autres comédiens, comme s’il appartenait à un autre espace-temps. Le sien.
Jean-Pierre Léaud ne ressemble à personne, si ce n’est à Jean-Pierre Léaud, même si ses performances souvent très physiques, où la gestuelle a une grande importance, peuvent parfois le rapprocher des stars du muet ou des grandes figures du burlesque, Buster Keaton en tête. Bonello, dans le portrait Léaud l’unique, réalisé par Serge Le Péron en 2001, dit quelque chose de très juste: «Quand on fait un film avec Jean-Pierre, on fait deux films. On fait son film à soi, dans son coin, et on continue un film commencé il y a quarante ans. Ça ne veut pas dire que les films avec Jean-Pierre sont des documentaires sur lui. C’est plus compliqué et plus intéressant que cela. On fait un autre film de fiction, qui est le film de Jean-Pierre, et auquel on rajoute quelques heures.»
Voix tremblante
Pour mieux entretenir l’aura mystérieuse, quasi mystique, qui l’entoure, Jean-Pierre Léaud ne parle quasiment jamais à la presse, dit-on. La vérité, ici encore, est ailleurs: il ne joue pas à la diva, il est tout simplement aussi introverti et timide à la ville qu’il est volubile et grandiloquent à l’écran. Ses rencontres avec les journalistes sont ainsi faites de rendez-vous ratés, de dérobades soudaines et de brèves réponses lorsqu’il consent, une ou deux fois par décennie, à tenter de se livrer.
Mais, grâce au travail des bonnes fées qui veillent sur le Festival de Locarno, il a, à notre grande surprise, accepté de parler à L’Hebdo. Premier contact téléphonique, un vendredi après-midi: «Que puis-je faire pour vous?» La voix est posée, reconnaissable entre toutes, mais hésitante, presque tremblante. On lui explique notre désir de réaliser une interview sur sa carrière et en particulier les films projetés à Locarno. Il accepte, mais précise: «Je ne parle jamais de François.» On lui demande si on peut venir le voir à Paris. «Je ne veux pas vous déranger, faisons cela par téléphone.» Soit.
Quatre jours plus tard, on le rappelle. «J’ai un problème, glisse-t-il d’emblée. Je ne peux pas faire l’interview aujourd’hui.» Peut-on lui parler un autre jour? Long silence embarrassé. «Je ne suis pas amateur du tout d’interviews, ça me fout le trac.» On le rassure en lui disant que c’est son choix, qu’on le comprend. «Vous êtes très gentil, je préfère en effet qu’on y renonce, je ne suis pas très doué pour ça. Je me réjouis bien sûr d’être invité à Locarno, mais je ne veux pas faire comme un bilan ou je ne sais quoi. Vous allez quand même écrire quelque chose sur moi? Alors ça, je vous en suis extrêmement reconnaissant. Ce que je voudrais simplement dire, c’est que je suis content que mes choix d’acteur m’amènent à cette reconnaissance, que le Festival de Locarno salue une sorte d’œuvre comme on le ferait avec un écrivain ou un metteur en scène. Excusez-moi.»
Être et ne pas être
Pour tenter de comprendre Jean-Pierre Léaud, il faut donc se contenter de ses films. Ce qui frappe avant tout, c’est que l’inoubliable interprète d’Antoine Doinel, ce personnage qu’il a joué à cinq reprises pour Truffaut entre Les quatre cents coups et L’amour en fuite (1979), est une théorie du jeu de l’acteur à lui seul. La façon qu’il a d’être son personnage tout en gardant avec celui-ci une certaine distance, est unique. A l’extrême inverse de la méthode Strasberg développée au sein de l’Actors Studio, il n’essaie jamais de totalement disparaître, de se faire oublier. Il est et il n’est pas à la fois. Ses personnages sont un subtil mélange entre le rôle tel qu’il a été écrit par le metteur en scène et ses scénaristes, et son moi profond.
Ceux qui l’ont côtoyé expliquent qu’avant de tourner, il apprend son texte de manière très précise et qu’il passe des heures à le répéter en boucle, comme s’il récitait des mantras, jusqu’à trouver sa musicalité profonde et à en oublier quasiment le sens. Une fois sur le plateau, il aime les premières prises, il adore surprendre, trouver un geste, ajouter quelques mots ou en supprimer. Apporter sa touche. Ses partenaires à l’écran, comme les réalisateurs qui le dirigent, vont avec lui de surprise en surprise. Olivier Assayas se souvient que, lors du tournage d’Irma Vep (1996), il avait caché une bouteille de Coca afin de pouvoir soudainement l’empoigner et en boire une gorgée au beau milieu d’une scène.
Qu’est-ce que le cinéma?
Dans Le pornographe, il joue un réalisateur de films pour adultes très avertis qui ne comprend plus l’époque qui l’entoure. Bonello semble avoir lui aussi cette idée qu’il vit dans son propre espace-temps, qu’il est constamment perdu. Dandy début de siècle dans les années 60, il ressemble dès les années 90 à un intellectuel post-soixante-huitard. Un intellectuel, voilà d’ailleurs comment il souhaite être perçu, avouait-il y a deux ans à la revue So Film, le seul média à avoir réussi, probablement après de longues semaines de subtiles négociations, à le faire réellement parler.
A Cannes, en 2001, il pose devant les photographes avec à la main Qu’est-ce que le cinéma?, un ouvrage théorique signé André Bazin (1918-1958), un des pères de la critique cinématographique. Quand, à 14 ans, on se retrouve à fréquenter la rédaction des Cahiers du Cinéma et que Truffaut vous présente Godard, Rohmer et Rivette, forcément, ça vous marque. Profondément. D’autant plus lorsqu’on devient alors l’un des visages les plus connus de la Nouvelle Vague, dont on restera à jamais l’une des plus vives incarnations.
On imagine que Jean-Pierre Léaud doit avoir des choses passionnantes à dire sur le cinéma, son histoire et sa grammaire, sur le romanesque chez Truffaut ou le politique chez Godard, ou encore sur la façon singulière qu’il a de s’amuser littéralement avec la caméra et d’irradier l’écran. Dommage qu’il n’arrive pas à les extérioriser. A Locarno, il devrait évoquer sur la Piazza sa première rencontre avec Truffaut, ce père spirituel et de substitution dont il n’est jamais arrivé à faire le deuil… A suivre.
Mythe. Héros helvète par excellence, Guillaume Tell occupe une place de choix dans notre inconscient collectif. A l’occasion de la nouvelle traduction du cinglant «Guillaume Tell pour les écoles» de Max Frisch, son préfacier, l’écrivain Bernard Comment, s’interroge sur notre rapport à la mythologie nationale.
Bernard Comment
La Suisse est un pays hautement mythologique, si l’on entend par mythologie un objet ou un récit capable de rassembler une communauté, de la façonner et de lui donner des repères rassurants. Considérez le cervelas, par exemple. Ce beau cervelas luisant, arqué, solide, qu’on retrouve avec une joie profonde, sans doute liée à l’enfance, lors des mi-temps de matchs sportifs (avec une épaisse tranche de pain et de la moutarde posée sur un carton blanc rectangulaire), ou lors de tout pique-nique familial digne de ce nom, pouvant en ce cas aller jusqu’à un étrange retour mimétique vers l’animal d’origine: lorsqu’on cuit au bout d’une baguette le cervelas entaillé en quatre à chacune de ses extrémités, une convulsion presque instantanée lui fait prendre la forme du pied de cochon. On se souvient que, dans un passé récent, les autorités fédérales n’ont pas hésité à mettre en place une task force lorsque l’utilisation du boyau protecteur a été remise en cause et même interdite par Bruxelles, pour des raisons hygiéniques qui ne faisaient pas le poids face à la perte de saveur occasionnée. Car la peau du cervelas, avec son odeur fumée, est constitutive du plaisir qu’on prend à le manger. Le slogan, à l’époque, était clair: qu’on nous laisse notre cervelas, dans toutes ses caractéristiques, même si les boyaux étaient désormais importés d’Amérique du Sud: on le sait, le mythe par nature dépasse les contradictions.
Il y a aussi, bien sûr, le chocolat, et tout particulièrement le Toblerone. Je me souviens de mon enchantement, lors d’une visite de l’usine il y a environ quinze ans, à découvrir le troupeau de vaches qui jouxtait opportunément et bucoliquement le site de production où de petites mains aux visages masqués veillaient au bon déroulement des tapis automatisés. Une image d’Epinal? Non, simplement une illustration du modèle suisse, soucieux des détails.
On garde en mémoire la remarque blessante d’Orson Welles dans le Troisième homme, quand il dit que la civilisation florentine, construite à coups de guerres intestines, d’assassinats, de trahisons sanglantes, avait produit les chefs-d’œuvre de la Renaissance, alors que la Suisse, paisible et neutre, n’avait inventé que l’horloge coucou. Pourtant, cette longue tradition du comput des heures jusqu’au plus infime fragment de seconde continue d’alimenter une industrie prestigieuse et prospère. La montre suisse a survécu à tous les ersatz de précision bas de gamme (le quartz…) et continue de briller au firmament des objets de luxe les plus convoités.
On pourrait y ajouter les banques, certes malmenées depuis quelques années dans le chahut mondial, mais offrant une qualité de service incomparable avec la médiocrité des voisins français ou italien.
Et puis, il y a l’ordre, la propreté. Et la discipline. Et la solidité durable (on en veut pour preuve les constructions architecturales du dernier demi-siècle, dont la résistance au temps est bien différente en Suisse que chez ses voisins, à l’exception éventuelle de l’Allemagne).
Bref, il y a chez tout Suisse un certain nombre de signes d’excellence (je n’oublie évidemment pas le couteau), qui peuvent parfois engendrer un sentiment de supériorité. «Il n’y en a point comme nous.» Mais ce sentiment est doublé d’un autre, qui tient à la petitesse du territoire et de la population. Face aux grandes nations qui l’entourent, la Suisse ne peut se rêver qu’en David face à Goliath. Et c’est le rôle que l’histoire lui a en effet donné.
Sur le chemin de l’état fédéral
Depuis le nouveau Pacte fédéral de 1815 et le traité de Versailles, elle jouit du fameux statut de neutralité active et doit coûte que coûte défendre ses frontières (comme ce fut le cas en 1871 à la suite de la défaite de l’armée Bourbaki à Héricourt, quand l’armée française de l’Est put finalement franchir la frontière à Verrières à la condition de déposer toute arme au préalable: on peut en éprouver le vibrant souvenir en allant voir le panorama Bourbaki de Lucerne, et cette résistance à l’armée extérieure est aux fondements d’un autre mythe, la «Mob», mobilisation des troupes aux frontières, avec notamment le dispositif de défense antichar où l’on retrouve le chocolat Toblerone qui a donné sa forme aux éléments coulés dans le béton, une forme empruntée à l’éternel Cervin dont les faces parfaitement taillées semblent tout droit sorties d’une usine de montres).
En 1848, la Suisse est sortie d’une guerre civile (le Sonderbund) par le triomphe du radicalisme. Cette révolution radicale avait échoué partout ailleurs en Europe (Allemagne, France, Italie) et engendré un fort afflux de réfugiés politiques. L’Etat fédéral allait pouvoir se mettre en place. Il produira alors une architecture, une administration, un réseau ferroviaire souvent spectaculaire. Mais il lui manquait un mythe, une profondeur historique.
C’est à cette époque (celle de la constitution des nations et, disons-le, des nationalismes) qu’apparaît un impressionnant arsenal de mythes et légendes: la civilisation lacustre, les Alpes comme mère originaire, un petit traité d’intérêt local parmi d’autres entre les cantons d’Uri, Schwyz et Unterwald institué en acte fondateur de la Suisse, un 1er Août d’invention récente à la demande des Suisses de l’étranger, et toutes sortes de folklores réactivés ou partiellement inventés pour les besoins de l’appartenance identitaire. Et c’est là que Guillaume Tell, variante rocailleuse et musculeuse, voire taiseuse, de David, acquiert toute sa dimension. Il est le fier-à-bras excellent tireur qui prend son courage à deux mains, et quelles mains, pour braver l’autorité inique et même cynique (selon la tradition officielle) de l’occupant habsbourgeois.
La figure protectrice
Depuis, sa puissance mythologique n’a cessé de gonfler. Souvent représenté avec une barbe hiératique et un corps sculpté dans le gneiss, il est aussi parfois réduit à son emblème, l’arbalète, dont on a fait depuis des lustres le sigle même de l’excellence et du «made in Suisse». On ne trouve sans doute pas d’équivalent à Guillaume Tell dans d’autres cultures, du moins européennes. Les Français ont dû inventer Astérix. Et les Belges Tintin. Mais Guillaume Tell, nous dit-on, a quant à lui bel et bien existé. Il est le père absolu de la nation, ou plutôt, de la Confédération. C’est la figure protectrice, rassurante. La valeur refuge. Il est celui qui, par son nom même, dit la qualité d’opprimé (un petit peuple) et de révolté (un peuple qui s’approprie son destin). Ce n’est pas un hasard s’il est la figure la plus répandue du pays, et le symbole auquel on a eu régulièrement recours dans les moments de crise (notamment la crise monétaire et numéraire de la Première Guerre mondiale).
En racontant avec une apparente innocence l’histoire de Guillaume Tell sans rien changer des éléments narratifs, mais en adoptant un point de vue extérieur (avec une certaine compréhension pour Gessler, souffrant de migraines, allergique au fœhn, affaibli par une crise de foie, en but aux provocations locales de cette Suisse centrale assez âpre et rugueuse, et impatient, ô combien impatient, de rentrer à Vienne pour y retrouver tous les raffinements de la vie de cour), en entrelardant par ailleurs son récit de considérations philologiques soulignant les emprunts, les flous et les contradictions du mythe, Max Frisch posait mine de rien une véritable petite bombe dans l’imaginaire suisse. Ce livre, malicieusement intitulé Guillaume Tell pour les écoles, est un chef-d’œuvre de littérature et d’intelligence. Il honore pleinement le rôle dévolu par Roland Barthes à l’intellectuel, à savoir établir en toutes circonstances une distance entre une société et ses convictions ou ses croyances.
On a qualifié l’auteur, à l’époque et entre autres gentillesses, d’unschweizerisch (non suisse) ou de Nestbeschmutzer (celui qui crache sur son nid). Il est au contraire celui qui me semble permettre de vivre au mieux la suissitude, avec connaissance, distance et humour. A ce titre, il faut remercier vivement l’éditeur Héros-Limite (un nom prédestiné) de rééditer enfin ce livre formateur et stimulant. Max Frisch était architecte de formation, son Guillaume Tell est un petit bâtiment étrange et solide qui traversera les siècles. Tout bon citoyen suisse se doit de l’avoir chez lui.
Bernard Comment
Ecrivain, éditeur, traducteur, il est l’auteur de nombreux ouvrages et a reçu plusieurs distinctions, dont, en 2011, le prix Goncourt de la nouvelle pour le recueil intitulé Tout passe. Directeur de la collection Fiction au Seuil.