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Marcheurs des Alpes

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Jeudi, 10 Avril, 2014 - 05:56

Alors que Claude Reichlerpropose une histoire du regard, Antoine de Baecque s’est lancé sur la route du GR5.

Antoine de Baecque est Parisien. Historien du cinéma, il a dirigé les Cahiers du cinéma et les pages culture de Libération. Claude Reichler est Fribourgeois. Professeur honoraire de l’Université de Lausanne, où il a enseigné le français et l’histoire de la culture, il est un spécialiste reconnu du roman libertin. Mais aussi de la littérature de voyage et de l’histoire du paysage. Notamment des Alpes, auxquelles il a consacré l’automne dernier un petit volume, Les Alpes et leurs imagiers - Voyage et histoire du regard.

A priori, Claude Reichler n’aurait pas dû croiser la route d’Antoine de Baecque. Si ce n’est que ce dernier est lui aussi fasciné par les Alpes, au point de se lancer en 2009 sur le GR5, 650 km entre Saint-Gingolph et Nice. Une expérience qui valait bien un livre, entre carnet de route et réflexions sur le paysage: La traversée des Alpes - Essai d’histoire marchée. L’occasion aussi, pour le Français et le Suisse, de se rencontrer et de parler montagne. Cela se passera lors du prochain Salon du livre de Genève.

Reste que, si Antoine de Baecque s’inscrit dans la longue tradition des écrivains marcheurs, Claude Reichler se dit incapable d’accomplir un tel exploit – entre sept et neuf heures de marche par jour durant un mois. «Les Alpes sont pour moi un espace de randonnée et de ressourcement, car j’adore la marche en montagne, mais mes ambitions sont modestes, souligne-t-il. Comme chercheur et historien de la culture, j’ai surtout découvert dans les Alpes un territoire inépuisable de problèmes passionnants, d’approches diverses, de questionnements qui touchent à la culture passée et actuelle.»

Le professeur est en train de lire l’ouvrage du cinéphile. «Faire se côtoyer le récit de voyage et l’essai historique est un bel enjeu littéraire, qui appuie la recherche sur l’expérience et le concret, qui donne au récit un ancrage dans un riche passé», analyse-t-il. De son côté, il parle, dans Les Alpes et leurs imagiers, de l’attraction que la montagne exerce sur l’homme, en particulier les artistes, depuis la Renaissance. «Quelques lettrés et savants protestants, habitant les villes suisses, se passionnent pour les Alpes dès le début du XVIe siècle. Ils y font des excursions, s’intéressent aux paysages et aux populations alpines. Les premiers ouvrages de géographie et d’histoire comprennent tout de suite du texte et des images. Celles-ci sont présentes comme un aspect essentiel pour deux raisons: la communication du savoir sur la nature et sur les hommes, ainsi que l’attrait pour les paysages, qui va alors susciter les voyages.»
C’est ainsi du double rôle de l’iconographie – «connaissance et attirance» – que parle Claude Reichler. Tout en montrant son envers, «l’effroi et l’illusion, car l’image est toujours porteuse d’ambiguïtés». Aujourd’hui encore, la représentation des Alpes est très importante, mais aux crayons et pinceaux des artistes d’autrefois se sont substitués les gadgets numériques des touristes. Lorsque, dans son livre, le Fribourgeois parle de Zermatt, il évoque ces gens qui «vont faire l’aller-retour en une journée. Cinq à sept heures de train pour manger des pommes frites à 3000 mètres d’altitude.»

Invention de la tradition. Le sociologue valaisan Bernard Crettaz stigmatise depuis longtemps ce qu’il appelle la «disneylandisation» des Alpes. Ce n’est pas Claude Reichler qui va le contredire: «Il a eu le grand mérite de comprendre et de décrire ces mouvements sur le plan sociologique et culturel.» Une transformation de la montagne en espace de divertissement qui a eu lieu dans les années 60-70 sous l’influence croissante de l’industrie du tourisme.

«La création des grandes stations de ski, avec leur économie spécifique, destructrice sur le plan écologique, a été accompagnée d’une “invention de la tradition”, comme l’a dit un historien, qui a déplacé et réutilisé les fêtes et les coutumes alpines, ainsi que certains aspects de la culture matérielle, comme les chalets, dans la consommation touristique. Aujourd’hui, l’enjeu s’est modifié: il ne s’agit plus, pour l’industrie touristique, de faire adopter des comportements par tous, mais de faire croire à chacun que son comportement est unique. D’où l’instance des images actuelles sur l’extrême, l’individuel, la performance.»

«La traversée des Alpes - Essai d’histoire marchée». D’Antoine de Baecque. Ed. Gallimard/Bibliothèque des Histoires, 432 p.
«Les Alpes et leurs imagiers - Voyage et histoire du regard». De Claude Reichler. Presses polytechniques et universitaires romandes/Le savoir suisse, 144 p.
«Marcheurs des Alpes», rencontre au Salon du livre et de la presse de Genève, La place du voyage, mercredi 30 avril à 14 heures.

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Sarah Mabel Emery «The Matterhorn, seen from the Schwarzsee»,1901
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