Dessinateur historique de «Charlie Hebdo»,le provocateur néerlandais expose à la galerie Humus, à Lausanne, où il vernit également un nouveau livre.
Au début des années 70, Charlie Hebdo offrait à ses lecteurs de quoi satisfaire tous les goûts contestataires du moment. Il y avait le gentil Grand Duduche de Cabu, l’écologie avant-gardiste de Fournier, l’anarchisme utopiste de Gébé, le roi des cons de Wolinski, la radicalité politique de Siné, l’inconvenance radicale de Reiser… Et il y avait les drôles de dessins d’un drôle de type: Willem. Une ligne claire pas très claire – c’est-à-dire subversive – au service d’un propos sans compromis ni concession. C’était troublant, ça l’est resté.
Aujourd’hui, Willem demeure toujours l’un des meilleurs dessinateurs de presse de l’Hexagone; il dessine encore pour Charlie Hebdo, mais également pour Siné Mensuel et Libération. Il expliquait récemment dans une émission de France Culture qu’«être féroce est le propre du dessin politique». «Si j’ai des choses vraiment dégueulasses, je les publie dans Siné Mensuel, un peu moins dégueulasses dans Charlie Hebdo, et je suis plutôt civilisé dans Libération.» Mais même «civilisés», les dessins de Willem restent forts de café.
Les œuvres qu’il expose à Lausanne, à la galerie Humus, ont pour la plupart été publiées dans Siné Mensuel. Un chien d’aveugle sodomise son maître, deux pédophiles boivent une bière, un militaire mange les yeux d’une de ses camarades tandis que celle-ci déguste ses testicules, un curé introduit le vit du marié dans le vagin de la mariée… Des dessins en couleur, sans légende, qui, comme un tableau de Bosch ou de Brueghel, disent crûment le monde qui nous entoure. La plupart de ceux montrés à Lausanne se retrouvent également dans Libido-bizarro, un livre édité par Humus.
Bio provo. Bernhard Willem Holtrop est né aux Pays-Bas en 1941 d’un père résistant, arrêté, torturé et envoyé en camp de concentration. Etudiant aux Beaux-Arts, Willem participe au mouvement libertaire et contestataire provo. En 1966, il fonde un journal satirique, saisi après la publication d’un dessin de la reine Juliana en prostituée. Mai 68: Willem vient à Paris, il dessine dans L’Enragé, puis dans l’Hebdo-Hara-Kiri qui deviendra Charlie Hebdo. Il vit désormais sur une petite île bretonne, d’où il a répondu à quelques questions par e-mail.
«Cogner là où ça fait mal.» Sur la présence récurrente d’urine, de tripes et de matière fécale dans ses dessins: «Je ne trouve pas que j’en fais excessivement usage, vu la place que ces choses ont dans notre vie quotidienne (combien de fois par jour le Français moyen dit-il «merde»?). En plus, il y a trop de choses dont il ne convient pas de parler de manière convenable. Cela dit, il faut trouver le bon dosage: trop de caca tue le caca.»
Sur la bien-pensance actuelle: «Le politiquement correct fait des ravages, surtout dans le cinéma. Pour le dessin, on a encore un peu de liberté; un dessinateur peut faire figure du fou du roi, sans aller trop loin. Moi, je trouve qu’il faut cogner là où ça fait mal, tirer sur les ambulances, montrer qui sont les criminels et, si possible, pourquoi ils le sont, avec un dessin qui doit être compréhensible en deux secondes.»
En 2013, au festival de la bande dessinée, Willem a reçu le Grand Prix de la Ville d’Angoulême. Ça ne l’a pas assagi. C’est un irréductible.
«Libido-bizarro», Ed. Humus, 69 p.
L’exposition Willem a lieu du 12 avril au 28 juin, à la galerie Humus, à Lausanne. Le 11 avril dès 18 heures: vernissage en présence de l’artiste.
Le 13 avril à 16 heures: rencontre-discussion avec Willem, en collaboration avec le Festival BD-Fil de Lausanne.