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Citizen Jobin

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Jeudi, 27 Mars, 2014 - 06:00

A la tête du FIFF depuis 2012, l’ancien journaliste Thierry Jobin fait le bonheur des cinéphiles avides de découvrir un cinéma invisible dans les salles suisses. Rencontre.

Il ressemble de plus en plus à Orson Welles, non? Lorsqu’on fait part à Thierry Jobin de cette remarque d’un collègue, il se marre. «J’essaie de faire attention, mais c’est vrai qu’on a en commun de bonnes joues… La comparaison me va, je préfère ressembler à Orson Welles plutôt qu’à Jean-Marie Poiré!»

A quelques jours de l’ouverture du 28e Festival international de films de Fribourg (FIFF), manifestation qu’il dirige pour la troisième fois, le Jurassien a une certitude. Il va pleurer. Souvent. Une première fois lorsqu’il découvrira avec le sentiment du devoir accompli des salles pleines. «Quand vous voyez que le public vous fait confiance, c’est un peu comme lorsqu’un de vos enfants chante dans le spectacle de Noël. Je suis papa trois fois, donc, même si ce n’est pas exactement la même chose, je sais de quoi je parle.» Puis il y aura ces moments précieux qui verront des cinéastes de nationalités diverses se rencontrer et «partager la folie de faire du cinéma, ce médium dont on constate tous les jours qu’il repose sur un support tellement fragile et qui coûte tellement cher». Et il y aura aussi les projections scolaires – 10 000 élèves du canton verront cette année un film. Ou comment former le regard du public de demain, le confronter à d’autres façons de raconter des histoires. Et si on touche les plus jeunes, pourquoi ne pas s’adresser aux seniors, s’est dit Thierry Jobin? C’est ainsi que, cette année, deux EMS se rendront au FIFF. «On m’a dit que certains pensionnaires assisteront à la première séance de cinéma de leur vie», glisse l’ancien critique du Temps, les yeux déjà humides.

Passion, émotion. Si on devait résumer en deux mots le rapport qu’entretient Thierry Jobin avec cet art consistant à faire bouger une succession d’images immobiles, ce serait ceux-ci. La passion, il en faut forcément. Chez lui, elle est née en 1979. Il avait 10 ans. Emerveillé par le cinéma depuis sa vision de La flûte à six schtroumpfs, dont il s’amuse à rappeler qu’il s’agit également du premier film vu par le réalisateur danois Nicolas Winding Refn, il découvre cette année-là, la même semaine, Duel de Spielberg et La nuit américaine de Truffaut. Le choc est total. Il essaie depuis, à chaque fois qu’il visionne un film – environ 2500 par année, quand même – de se projeter dans la peau de cet enfant, de retrouver cette excitation originelle.

Les tripes avant le cerveau. Quand, après huit films ratés – «et comme disait Truffaut, un mauvais film populaire sera toujours moins ennuyeux qu’un mauvais film d’auteur» –, il en découvre un qui tient la route, que cela soit au fin fond de l’Asie ou devant son ordinateur, il trépigne. Et s’imagine le public fribourgeois en train de le découvrir à son tour. Il se souvient, autre épiphanie, du regard de son père, le lendemain de sa découverte d’Apocalypse Now. «Il était labouré par le film, forcément. J’ai alors remarqué qu’on parlait du cinéma différemment que des autres choses. Il y a une dimension plus profonde, et c’est cela que j’ai envie de toucher, plus que leurs cerveaux, chez les spectateurs.» Un cinéma tripal plutôt que cérébral. La définition lui plaît.

Le septième art selon Thierry Jobin, ce serait donc cela: des films qui, d’abord, se vivent. Mais qui racontent également quelque chose. Lorsqu’en 2011 il décide de tenter le coup et envoie sa candidature au comité du FIFF, il propose de créer des sections récurrentes, comme les rubriques d’un journal. Un réflexe d’ancien journaliste, qui sait qu’il est difficile de parler d’un festival lorsque sa programmation ressemble à un fourre-tout sans grande cohérence. Outre la vitrine qu’est la compétition officielle, ces sections s’intitulent «cinéma de genre», «décryptage», «diaspora» ou encore «nouveau territoire».

Raconter le monde. Cette année, elles seront occupées par des films catastrophe, des productions parlant de la survie et de la débrouillardise en temps de crise, des longs métrages russes sélectionnés par l’ancien hockeyeur Slava Bykov et des productions malgaches. Plus une rétrospective iranienne composée – brillante idée – d’œuvres choisies par une quinzaine de cinéastes indigènes, et aussi une carte blanche aux frères Dardenne, pour mieux comprendre d’où ils viennent. «Au final, tous ces films racontent un état du monde», s’enthousiasme Thierry Jobin, intarissable quand il évoque la richesse des cinémas iranien et sud-coréen, les inquiétudes liées au succès des écoles de cinéma argentines, un documentaire chinois de trois heures et demie dans un hôpital psychiatrique ou encore une fiction indienne sur la catastrophe de Bhopal.

Le directeur du FIFF connaît bien Fribourg pour y avoir vécu durant ses études de lettres. Le festival, il l’a couvert pour la première fois en 1987. «J’avais réalisé une interview pour Fréquence Jura, mais on ne l’a pas diffusée tellement j’avais la voix qui tremblait.» Actif dans le journalisme cinématographique dès l’âge de 16 ans, il parlera plus tard de la manifestation dans les colonnes du Nouveau Quotidien, puis du Temps. Pas toujours en bien. Comme certains de ses confrères, il reprochait au FIFF une programmation tiers-mondiste, où le contenu primait sur le contenant.

Jovialité et entregent. En 2008, c’est déjà un ancien critique, Edouard Waintrop, qui avait pris les rênes du FIFF et l’avait remis sur les rails de la cinéphilie. Sans les quatre années que le Français passera à Fribourg, Thierry Jobin n’aurait probablement pas pu imposer sa vision. Aujourd’hui, le FIFF est un festival qui compte, comme ceux de Locarno et de Nyon. On y accueille des grands noms (Eric Cantona et Charles Aznavour l’an dernier, les Dardenne et Jerry Schatzberg ces prochains jours), mais «pour de bonnes raisons et sans les payer pour qu’ils acceptent notre invitation», souligne Thierry Jobin, dont la jovialité et l’entregent font merveille. Le festival a de la chance de pouvoir s’appuyer sur un vrai cinéphile, et qui s’avère aussi à l’aise tant dans les cocktails que face aux médias ou aux décideurs. Il ne serait pas étonnant qu’on le retrouve un jour à la tête d’un grand festival. Pourquoi pas du côté du Tessin, voire ailleurs en Europe. Le FIFF a de la chance et, heureusement, semble en être conscient.

Festival international de films de Fribourg.
Du 29 mars au 5 avril. www.fiff.ch

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Thierry Porchet
FIFF
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