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Christophe: «Je suis en faille tout le temps»

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Jeudi, 20 Mars, 2014 - 05:56

Avec «Intime», Christophe sort un ovniqui ne ressemble ni à un concert, ni à un best of, ni à un rendez-vous amoureux: un peu les trois à la fois, et c’est génial. Rencontre à Paris.

Dans son appartement de Montparnasse, on est un peu comme au milieu de bondieuseries foutraques, engloutis de souvenirs que l’on partage avec ces gens étranges que l’on n’a jamais rencontrés. Une photo de Bogart, l’affiche de Lou Reed à Berlin, des jukebox, de la peinture, de la couleur, des filles nues et bouleversantes en même temps, une pochette de Presley, un disque de Charlie Parker près du frigo, des traces, des griffures sur l’âme, un blues haut perché dans la voix. C’est la nuit, déjà et forcément, parce qu’il ne sort que la nuit. Christophe se lève vers 16 heures, fout la Callas à fond, et se couche aux premiers rayons du matin suivant. C’est comme cela depuis des années. On le sait, puisqu’on nous l’a mille fois raconté avant de venir, et l’on ressent alors comme un honneur d’alcôve, une fraternité des ombres, un rien de bleu et de rouge dans les lumières, quand on entre chez lui pour faire partie du décor durant une heure ou deux.

Piano amour. Il y un piano noir dans la pièce et il le regarde comme une femme. Il le regarde comme un séducteur heureux, qui a pu approcher un rêve enfin, et qui serait encore dans l’euphorie d’une baise que l’on attend de recommencer. «Le piano est quelque chose de très compliqué. J’ai commencé à en jouer sérieusement en septembre dernier. C’est un peu grâce à lui que j’ai fait Intime. Je reste dans l’expérimental par rapport à ça. J’essaie. Je suis assez inconscient parfois, la preuve: je fais un disque tout seul au piano alors que je ne suis pas pianiste. A la guitare aussi, je joue un peu comme les bluesmen, avec plein d’erreurs. Mais j’aime bien.» Veste pied-de-poule chic, jeans, boots, lunettes de soleil aux reflets bleus, il est total look, Christophe, et ça sonne vrai.

Il sort donc un disque de chansons livrées solo piano, ou guitare sur trois titres. C’est une merveille. Des refrains flottant en écorché absolu, la réverb dans le timbre et dans le studio, au milieu des amis. «C’est né d’une rencontre, comme souvent, avec la bande de chez Capitol. Ils m’ont proposé cette idée, on a fait vite.»

Le chanteur avait commencé à tourner un Intime Tour dans les salles de France: juste lui et le piano-guitare. Pour le disque, il s’est agi de recréer cette magie au studio Davout, en décembre dernier. «Le dimanche, on a envoyé des textos à des amis, des journalistes, etc. Rendez-vous demain ou mardi.»

Ce public complice assiste à un drôle de truc. Vers 22 h 30, Christophe commence, mais ce n’est pas un concert. Plutôt un partage de chansons, sans filet, qui ne s’achève les deux fois que vers 5 heures du matin. «J’ai enregistré 70 chansons. J’avais l’impression d’être dans un film, on avait fait des choses belles avec la lumière. Bon, ensuite je me suis retrouvé aphone durant quinze jours.»

De ces heures de musique, quatorze chansons ont été extraites. Des tubes: J’lai pas touchée, Paradis perdus, Señorita, Les marionnettes, Les mots bleus, Petite fille du soleil… Mais aussi des choses plus récentes ou rares: Lita, Dolce vita, l’Alcaline de Bashung, ou La non-demande en mariage de Brassens.

Il les chante avec l’abrasion dans le chuchotement de celui qui les a tournées un million de fois dans sa bouche, mais il parvient quand même à les lâcher comme des perles nouvelles, inédites. C’est beau à pleurer, c’est sublime à faire silence.

Aline blues. Il dit: «Je suis en faille tout le temps, j’aime quand c’est bancal, comme le blues. Lightnin’Hopkins, Hooker, ces gars-là.» On parle un peu de Chet Baker, ou du son de Stan Getz, d’une phrase d’Elvis dans King Creole. Et puis Aline: «Je l’ai créée en 64 comme un morceau de blues. Et puis c’est devenu une enveloppe plus ouverte. C’est pour cela que le texte est ciselé, pour essayer de faire du son, trouver une résonance des mots: pleurer, crier, ces choses-là.» Il parle comme un peintre, par touches, un art dont il a vécu plusieurs années. «Là, je viens de m’y remettre, quelque temps à Tanger.»

Quand on lui dit qu’il est maniaque, il répond: «Non, passionné.» Quand on lui dit qu’il est culte, il dit: «Je suis influencé par ce public de jeunes qui me court après.» Quand on lui parle d’Intime, il dit: «Je n’écoute pas mes albums. Je pense déjà au suivant.» Quand on lui dit chansons, il répond ambiance, gimmick, techno: «J’aime la culture instinctive, émotionnelle. Mais c’est la technologie qui me fait avancer. Vous connaissez l’OP-1, la tendance suédoise?» A la fin, il vous montre son nouveau polaroïd numérique. Il fait une photo du piano noir et vous la tend. C’est tard, il veut aller sur le boulevard manger chinois. En sortant, il passe devant le jukebox, presse une touche et envoie Parker’s Mood. Il ne dit que des choses intimes.

«Intime», Christophe, 1 CD Capitol/Universal, sortie le 31 mars.

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Lucie Bevilacqua
Christophe
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