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Peter Doherty: rock'n'roll artidude

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Jeudi, 13 Mars, 2014 - 05:58

Les rockeurs ne font pas de bons peintres, à preuve les «œuvres» de Peter Doherty exposées à Genève. Mais leur travail plastique a un mérite: éclairer leur créativité. 

Bien sûr, la critique est facile. Les peintures du rockeur britannique Peter Doherty, exposées à Genève, oscillent entre l’atroce et le passable. Toutes surjouent la posture de l’artiste en proie à ses noirs démons: sang à la place de l’encre, autoportraits «Qui suis-je?», portraits de suicidés, mises en croix, drogues, alcools, amours perdues, titres éplorés comme «Nobody Save Me». Le tout avec des techniques mixtes, un style néo-trash-expressionniste et des prix entre 1500 et 21 000 euros. Si Antonin Artaud dirigeait aujourd’hui un cours d’art-thérapie, voilà en gros quel serait le résultat.

Passons. L’intéressant, ici, c’est le contexte. L’exposition des peintures et dessins de Peter Doherty n’est pas organisée dans une galerie ou un musée, mais dans une dépendance de la demeure du banquier Thierry Lombard à Conches, non loin de l’ancienne annexe du Musée d’ethno­graphie. Cet espace est dédié à la culture. Il accueille les éditions rares de Jules Verne collectionnées par Thierry Lombard, ainsi que les cours d’écriture menés par Philippe Djian, à l’initiative de l’épouse du banquier, France Lombard-Beche.

Fascination lucide. Pour la première fois, les deux niveaux de cet espace proposent une exposition, d’ailleurs impeccablement mise en scène. L’idée a surgi de la rencontre entre France Lombard-Beche et Géraldine Beigbeder, écrivain, scénariste, pour l’occasion curatrice des œuvres de son ami Peter Doherty.

Toutes deux tiennent le même discours admiratif devant la rage expressive de Peter Doherty, passé de la poésie au rock (The Libertines, Babyshambles, en solo) et à la peinture, sans compter la prison et les premières pages des tabloïds. Leur fascination pour le turbulent rockeur est sincère. Mais aussi lucide sur les qualités inégales d’une œuvre en devenir à défaut d’être maîtrisée. A les entendre, il faut prendre l’artiste d’un bloc, dans ses multiples expressions, de l’écrivain à l’acteur (Confession d’un enfant du siècle, récent film tiré de l’œuvre de Musset), du dandy posant pour une campagne de The Kooples au people ex-amant de Kate Moss.

Bon point. Les peintures des stars du rock’n’roll sont souvent moquées (cf. début du texte) avec un argument imparable. Jamais de telles œuvres n’auraient été exposées, médiatisées et vendues si elles n’avaient été signées Ronnie Wood (Rolling Stones), Bob Dylan, David Bowie, Paul Simonon (ex-bassiste des Clash), Paul McCartney, Kim Gordon (Sonic Youth), Joni Mitchell ou Beck. Même constat pour les photographies de Lou Reed, Bryan Adams et Patti Smith. La célébrité ferait vendre n’importe quoi à n’importe qui.

Il est plus intéressant de prendre le problème à l’envers. Et d’examiner comment, au-delà de la pose «Je suis un génie protéiforme comme Jean Cocteau», un travail pictural vient enrichir la compréhension de l’œuvre d’un musicien, tels les visages de Bob Dylan, récemment exposés à la National Portrait Gallery de Londres. Certes, il n’y a pas grand-chose à chercher du côté de Ronnie Wood, à part la preuve du mauvais goût graphique qui a toujours accompagné les Rolling Stones. Paul McCartney a très bien fait d’arrêter d’exposer ses peintures kitschissimes.

Mais cantonner des artistes dans le seul registre qui a nourri leur célébrité, c’est se priver d’admirer les étranges photos du cinéaste-musicien-peintre David Lynch, actuellement exposées à la Maison européenne de la photographie à Paris et à la Photographers’ Gallery de Londres. S’y plonger, c’est pénétrer en profondeur la psyché du maître californien, entre apocalypse industrielle et surréalisme freak. C’est aussi accepter le simple fait que des artistes peuvent être à l’aise dans plusieurs registres expressifs à la fois.

Rien ne dit que ce sera le cas de Peter Doherty, certes encore jeune (34 ans). Pour l’heure, c’est mal parti. Mais laissons-lui, comme le font les organisatrices de son exposition genevoise, la grâce d’une chance.


«Flags from the Old Regime», Peter Doherty, jusqu’au 22 mars. Le Rural, Domaine de Villette, 203, route de Florissant, Genève. Ma-sa 12 h-19 h.

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David Lynch, Courtesy Galerie Item. Paris
Carl Court, AFP
Jonathan Short, AP photo
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