«Monuments Men» évoque la spoliationd’œuvres par les nazis. Marc-André Renold, spécialiste du droit des biens culturels, l’a vu avec «L’Hebdo».
«La Seconde Guerre mondiale est un moment absolument fondamental pour le droit des biens culturels. Avant, on parlait le plus souvent en termes de butin de guerre. Les armées conquérantes ramassaient ce qu’elles pouvaient et le ramenaient dans leur pays. L’idée de restitution des œuvres commence à émerger entre les deux conflits mondiaux, et ce n’est qu’avec la Convention de La Haye, en 1954, que la notion de protection internationale des biens culturels trouve enfin un premier socle», explique Marc-André Renold. Cet avocat et professeur genevois, dont le directeur de thèse fut Pierre Lalive, est aujourd’hui un spécialiste international réputé des questions de spoliation: il est le titulaire de la récente chaire de droit international de la protection des biens culturels de l’Université de Genève, la seule du genre dans le monde. Et comme avocat, il plaide parfois pour un camp et parfois pour l’autre: «Je défends aussi bien ceux qui ont été spoliés ou leurs descendants que des musées qui souhaitent garder une œuvre acquise de bonne foi.»
Devant Monuments Men, il reste d’abord un spectateur amusé et heureux: «C’est un grand spectacle. Je vais volontiers voir les films qui traitent d’art, de tableaux volés, etc.; j’en ai une petite collection en DVD», sourit-il.
Avec un casting formidable (Cate Blanchett, Bill Murray, Matt Damon, Jean Dujardin, John Goodman, Clooney lui-même…), le film s’inspire d’événements véridiques.
Une escouade d’historiens d’art et directeurs de musée, les Monuments Men, peu rompus au combat, fut chargée par Roosevelt dans les derniers mois de la guerre d’empêcher l’armée nazie en retraite de détruire ou de cacher les œuvres d’art volées dans les musées et les églises d’Europe. Clooney en fait un film de genre: la guerre et le courage filmés très dans sa manière, un brin potache, un parfum stylistique vintage sur un sujet fort et finalement assez culotté. «Car l’histoire dont s’inspire le film est surtout connue des spécialistes, poursuit Me Renold. Notamment le rôle fondamental de Rose Valland, qui fut au moment de la guerre attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, à Paris, par où transitaient les chefs-d’œuvre pillés par les Allemands. Elle tint durant des années un registre précis, répertoriant, datant, écoutant les conversations, espionnant, donnant des renseignements à la Résistance. Tout cela pour tenter de garder trace, de savoir où filait ce patrimoine.»
Un sujet sensible. Pour le récupérer, ce fut décisif. «Environ 80% de ce qui avait disparu durant le conflit a réapparu. Les Russes ont cependant peu rendu jusqu’à présent. On n’a aucune nouvelle de certaines œuvres. Parfois aussi, de façon anecdotique, un tableau piqué par un soldat américain ici ou là réapparaît. Les démarches pour récupérer une œuvre peuvent être très longues, et coûteuses pour les ayants droit.»
Dans le film, c’est Cate Blanchett qui tient le rôle de Claire Simone, directement inspiré de Rose Valland: Clooney a pris des libertés avec les noms pour se donner celle des personnages et du romanesque. A commencer par son rôle: Frank Stokes, qu’il interprète, était en réalité George Stout, historien d’art. Le personnage de Jean Dujardin est, lui, complètement inventé.
«Mais, souligne Marc-André Renold, cela permet de faire un bon film, sur un sujet sensible qui est loin d’être simple ou réputé grand public. Je trouve qu’il pose plutôt bien et utilement la vraie et vaste question: jusqu’où doit-on aller pour sauver une œuvre d’art? Certains tableaux méritent-ils que l’on meure pour eux?»
Le film de Clooney souligne enfin un autre aspect: celui de la mémoire. Celle que veulent effacer la haine ou les idéologies liberticides. «Ne croyez pas que c’est juste un film historique, soupire l’avocat. Ces questions sont terriblement actuelles: regardez l’Afghanistan, regardez la Syrie. En tout cas, je vais demander à tous mes étudiants d’aller voir le film.»
«Monuments Men». De George Clooney. 1 h 58. Sortie le 12 mars.