Julien Burri publie «La maison» et «Muscles»,un double troisième roman. Sa voisine de bureau, Isabelle Falconnier, l’a lu en avant-première.
Cher Julien, un jour le livre était sur mon bureau. C’est tout toi: discret mais suggestif. Nos espaces de travail se touchent. Chaque matin ou presque, nous nous asseyons l’un en face de l’autre. Je peste en silence lorsque tu étends ton linge de fitness sur le radiateur. Tu empiles consciencieusement les livres à lire que nous recevons par cargaisons. Nous sommes comme un vieux couple: on ne parle pas des choses importantes. Alors de ton livre, nous n’avons guère parlé. C’est mieux: la littérature supporte mal l’ambiance Caméra Café.
Tes livres, devrais-je plutôt dire. Côté pile, Muscles, l’histoire d’un gamin malingre qui devient fort et musclé une fois grand. Las, c’est trop tard, il ne peut plus sauver sa mère, qui a allumé le gaz dans le garage pour mourir. Ni plaire à son père, qui a fui aussitôt dit, aussitôt fait. Qu’importe. Abonné aux salles de fitness, il devient un superhéros contemporain, Narcisse éperdu d’admiration pour son propre reflet, ivre de conventions sociales, convaincu que le vernis social est synonyme de bonheur. Mais plus il prend du volume, plus «cela se creuse, s’évide, au-dedans».
Côté face, La maison, une histoire d’amour qui palpite dans une maison à la campagne entourée de forêts et de volières et qui, un soir, se termine. Deux garçons l’habitent, s’aiment, cuisinent, regardent des films, bricolent dans la grange. Un jour, Jaël n’aime plus, brisant le cœur de l’autre, celui dont tu racontes l’histoire.
C’est une drôle d’idée, ces deux livres en un. Comme si tu n’avais pas réussi à choisir lequel donner au public. Et puis pourquoi deux couvertures, une entrée pile, l’autre face? J’ai tourné, retourné le livre, commencé l’une, puis l’autre. Finalement: cela fonctionne. Et, de fait, on peut lire La maison comme la version «adulte» de Muscles. Le garçon immature de Muscles qui fréquente à outrance les salles de sport, avale force anabolisants, se forge une carapace telle qu’il est incapable de ressentir le moindre amour pour sa femme, cette coque rutilante mais vide est devenue dans La maison un jeune adulte sensible, à fleur de peau, amoureux. Qui souffre mais se relèvera. Dans Muscles, le narrateur lit les poèmes qu’a laissés sa mère morte. Dans La maison, il en écrit lui-même. Dans les deux cas, l’amour, ou plutôt l’absence d’amour, la mort de l’amour, fait mal. Mais le narrateur de La maison survit. Il y a une vie après Jaël. Les muscles du narrateur de Muscles n’y pourront rien: son cœur à lui explose.
Et toi, Julien, tu t’adresses à eux directement. Tu leur dis «tu», à Monsieur Muscles comme au garçon triste d’avoir perdu son amour et sa maison: ils sont toi, tous les deux. Tu les aimes bien. Ton cœur déborde pour eux. Tu as mis tout ton talent à leur service.
Les sens et l’esprit. Cher Julien, toutes mes félicitations: après Poupée, Beau à vomir et plusieurs recueils de poésie ou nouvelles, tu sais de mieux en mieux parler de la sainte trilogie, soit de corps, de cœur et de cul. Surtout: de la manière dont les uns et les autres sont absolument liés. Ton écriture dense, parcimonieuse parfois, poétique toujours, impeccable, navigue avec subtilité entre les sens et l’esprit. Tu sais décrire la découverte de son «mulot» par un gamin, le plaisir moite de soulever de la fonte plus tard, ou de faire l’amour sur le gravier devant la maison. Tu respectes le corps autant que le cœur. C’est rare, de nos jours. Et puis ton œil impitoyable, lucide, sur les névroses familiales, celles nées dans les peurs et les abîmes de l’enfance, fait merveille dans ces deux récits. Un bon journaliste peut faire un bon écrivain, merci d’en apporter la preuve par deux.
«Muscles» et «La maison». De Julien Burri. Bernard Campiche Editeur, 360 p. En librairie le 10 mars.
