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Orsenna retourne au Mali

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Jeudi, 20 Février, 2014 - 05:58

«Mali, ô Mali» convoque à nouveau Madame Bâ,double de l’écrivain qui rêve de débarrasser sa patrie de cœur des djihadistes.

Une grand-mère malienne immigrée depuis dix ans à 95400 Villiers-le-Bel peut-elle mieux que dix essais géopolitiques nous expliquer le Mali aujourd’hui, ses guerres, sa rébellion touareg, l’opportunisme djihadiste et l’espérance malgré tout? Evidemment. Surtout si, comme Erik Orsenna, on a écrit dix essais de géopolitique avant et que l’on ne demandait pas mieux que de se remettre dans la peau de Madame Bâ, héroïne d’un roman éponyme sorti avec un beau succès en 2003. «Je savais qu’elle reviendrait. Lorsqu’on est romancier, le personnage est clé. Il est comme un bateau: lorsqu’il est bien créé, il peut explorer loin et longtemps. Comme Simenon avec Maigret: quel personnage admirable! Madame Bâ me manquait. Je n’ai pas cessé de retourner en Afrique, au Mali, ces dernières années. Je voulais qu’elle puisse raconter ce que j’y ai vu et vécu.»

Erik Orsenna a commencé Mali, ô Mali trois ans avant l’intervention française au Mali. «On voyait que tout cela allait exploser. Une vaste zone de non-droit total s’est développée de la Mauritanie au Soudan du Sud, peuplée de vrais gangsters chassés des côtes libyennes à la chute de Kadhafi. Tout se trafique: les armes, la drogue, les otages. L’affaiblissement très fort de l’Etat a mis le feu aux poudres. Là où il n’y a pas d’Etat, c’est la loi de la jungle.» Pour ce livre, il a enquêté auprès des agences de renseignements, des militaires, d’Interpol. Reporter quasi permanent de l’Unicef, il raconte les conflits, les vieilles haines, les trahisons. «Mon maître, c’est le Carré. Mais je suis un griot avant tout.» Il a passé beaucoup de temps à écouter, sur le terrain, les femmes déplacées dans les camps. «J’ai entendu beaucoup de femmes me parler de leur fatigue. Et quand une femme africaine dit qu’elle est fatiguée, c’est qu’elle est vraiment à bout.» Roman certes, mais reportage littéraire avant tout, plongée fantastique (quelle invention géniale que ce don de l’ouïe de Madame Bâ utilisée par les services secrets français!) et terriblement vivante entre Bamako, Tombouctou et le Niger, à travers la voix et le regard d’un personnage extraordinaire, truculent, subtil et sans gêne, Marguerite Bâ, et son petit-fils Ismaël qui lui sert de griot personnel, Mali, ô Mali est un livre dans le réel plus qu’un livre engagé.

Orsenna est inquiet pour le Mali. «Il y aura 6 millions d’habitants à Bamako en 2015. C’est une situation explosive. Il faut de toute urgence pousser l’éducation, le planning familial, le développement. Le Sahel est le seul endroit du monde où la démographie n’a pas bougé: toujours 6,6 enfants par femme en moyenne. On ne commence à faire moins d’enfants que le jour où l’espoir économique apparaît enfin. Pareil pour l’extrémisme islamique: quand vous n’avez aucune perspective ici-bas, il est facile d’enrôler des gens en leur promettant le paradis.»√
«Mali, ô Mali». D’Erik Orsenna. Stock, 402 p.

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