«L’inconnu du lac» est le quatrième film d’Alain Guiraudie, avec lequel il accède à la notoriété. Loin du cinéma de genre où l’on voudrait le cantonner, il touche à l’universel.
Contrairement à ce qui se dit, L’inconnu du lac n’est ni un thriller ni un film gay. C’est une tragédie à la grecque, la mise en perspective d’une problématique par le mythe. Ce qui est tout à fait subversif à une époque où la doxa ânonne partout son pauvre manichéisme.
Avec son film (Prix de la mise en scène dans la section Un certain regard du Festival de Cannes 2013), Alain Guiraudie invite au questionnement plutôt qu’à la consommation de réponses formatées. Un film qu’il est venu présenter à Genève, avec une sympathique modestie et les yeux brillants de malice: «Mon problème est toujours le même, il est vieux comme le monde: faire en sorte que le quotidien accède au mythe. Avec L’inconnu du lac, il s’agissait de prendre une réalité qui m’est familière, celle des lieux de drague homo, et de sublimer tout ça.»
Nus, au propre et au figuré. Unité de lieu, plans fixes, stricte chronologie: le parti pris formel est celui de la simplicité. Pas de chichis, pas de psychologisation à la petite semaine, les personnages ne sont que ce que l’on voit d’eux, pas ce que l’on pourrait imaginer d’eux, ils sont nus, au propre comme au figuré.
L’action se déroule au bord d’un lac, il n’y a que des hommes, cherchant et consommant du sexe. C’est donc bien gay? Non, parce qu’il pourrait tout à fait s’agir d’hétérosexuels dans un club échangiste, le propos serait le même. Il y a un assassin, ses victimes et une enquête policière. C’est donc bien un thriller? Non, car le suspense ne se situe pas là, on se fiche de savoir qui sera tué et quand, l’intrigue concerne l’existence des personnages, pas leur mort.
Trois héros. L’inconnu du lac est un film sur le désir. Sur sa dialectique, sa phénoménologie. Trois héros nous guident: Frank, qui veut cultiver le désir, le transformer en une relation amoureuse; Michel, qui jouit de ses désirs, les détruit après les avoir épuisés; Henri, qui a perdu le désir, qui a perdu même l’envie de le désirer.
«C’est un gros chantier, sourit Guiraudie. Le désir est le grand mystère qui me fait avancer, qui fait avancer le monde. Dans L’inconnu du lac, il y a d’un côté l’amour passion et sexué entre Frank et Michel, de l’autre une vraie histoire d’amour entre Frank et Henri. Mais là, il s’agit d’une histoire d’amour plus trouble, parce qu’on ne connaît pas la nature de ce désir qui ne s’assouvit pas dans le sexe. Dans un monde où l’on cherche à tout prix la satisfaction, l’insatisfaction est mon moteur.»
Mais n’allez pas croire que le film d’Alain Guiraudie soit une aride dissertation. Il est au contraire d’une grande sensualité. L’eau du lac est d’un bleu apaisant. Le vent souffle dans les arbres comme une caresse. La lumière est douce, il y a du soleil, on devine la chaleur sur la peau. Sur la plage de galets blancs, les corps nus sont alanguis; dans les buissons, les sexes bandent, les bouches les engloutissent, les fesses s’offrent. Même si l’on n’est pas homosexuel, c’est agréablement troublant. Et c’est là la force d’Alain Guiraudie, son grand talent. Malgré que l’homosexualité soit si présente dans ses films qu’ils sont parfois classés au rayon «gay», le réalisateur sait comment bousculer les genres pour toucher à l’universel. L’inconnu du lac est tout à la fois un film gai (comme le savoir) et inquiétant (comme sa quête au-delà du bien et du mal). Une passionnante et belle tragédie, la nôtre.
«L’inconnu du lac». D’Alain Guiraudie. Actuellement en salle.