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Dans la peau d’un migrant

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Jeudi, 30 Janvier, 2014 - 05:59

«L’escale», de l’Irano-Suisse Kaveh Bakhtiari,se déroule pour l’essentiel dans une cave athénienne. Interview.

L’histoire se déroule à Athènes, mais elle pourrait se passer dans n’importe quelle autre métropole européenne. Dans une cave se cachent des migrants. Ils sont Iraniens et partagent tous le même rêve: dénicher un passeport qui leur donnera la possibilité de rejoindre un autre pays, d’entamer une nouvelle vie, loin d’une terre natale où ils se voyaient sans avenir. Filmé avec une petite caméra numérique, L’escale est moins un film sur des migrants qu’un film avec des migrants. Dans le sens où la démarche immersive de l’Irano-Suisse Kaveh Bakhtiari permet au spectateur de devenir partie prenante du quotidien de ces hommes, parmi lesquels se trouve son cousin.

«Je voulais qu’il y ait une identification, admet le réalisateur. Tandis qu’ils cherchent des passeurs, j’en deviens un pour le spectateur. J’ai en quelque sorte conceptualisé mon rôle, qui est celui de quelqu’un possédant, comme n’importe quel spectateur, un passeport européen. Mais pour arriver à cela, il a fallu entreprendre un important travail de construction dramaturgique.»

D’Alcatraz à Beckett. Kaveh Bakhtiari rigole quand il entend que, pour son film, il a suivi des clandestins. «Ce verbe donne l’impression que je cours derrière eux, alors qu’on est plus dans une intériorité. Je les suis métaphoriquement, avec l’idée de faire ressentir ce qu’être un clandestin signifie. L’escale, c’est pour moi un film d’évasion. J’avais d’ailleurs comme référent le mythe d’Alcatraz, mais aussi En attendant Godot pour l’absurdité de la situation.»

La force du film vient en grande partie de la règle que s’est imposée le cinéaste: «Je ne vais pas sortir de cette cave si mes personnages ne sortent pas. De la même manière qu’ils luttent contre des frontières, je me pose une frontière dramaturgique, et je fais confiance à mon instinct et à la situation pour qu’il se passe des choses intéressantes.» De ce parti pris formel découle la tension qui sous-tend ce récit où l’espoir cède le pas à la frustration, où l’angoisse s’extériorise dans le rire. «On a l’impression d’être vraiment à leurs côtés. Quand ils sortent et qu’un policier les regarde, il nous regarde nous aussi. Le fait d’être avec ma caméra comme un personnage, cela accentue les émotions qui, dès lors, ressemblent à celles que l’on peut éprouver dans une fiction.»

Pas de militantisme. S’il y a une chose que déteste Kaveh Bakhtiari, même s’il avoue que certains le font très bien, c’est le cinéma militant. Scander des slogans à longueur de film, ce n’est pas son truc. «A la longue, ça rend sourd. Ma légitimité, c’est le cinéma. C’est avec cet outil que j’essaie de comprendre le monde qui m’entoure, et de l’interpréter de manière subjective. Réaliser un film, c’est un acte artistique. Je ne fais pas de politique ni du militantisme. Il est d’ailleurs possible de rentrer dans le film sans ne rien comprendre à l’immigration, sans posséder de clés de lecture socioculturelles.»

Reste que certains dialogues sont d’essence politique, comme lorsqu’un jeune de 16 ans raconte qu’il souhaite devenir ingénieur et qu’il pourrait apporter beaucoup au pays qui accepterait de lui offrir l’asile. Cette affirmation, forcément, résonne de manière forte à quelques jours de la votation populaire sur l’initiative «Contre l’immigration de masse» lancée par l’UDC. Laquelle, plus que de l’inquiéter, désole Kaveh Bakhtiari. «Ils vont faire quoi, après? Lancer une initiative pour la construction de murs autour de la Suisse? Dans tout cela, on oublie que les sociétés qui culturellement ont marqué l’histoire et ont amené du progrès ont été marquées par l’arrivée de gens d’autres cultures.» C’est évidemment le cas de la Grèce antique. Il y a d’ailleurs un héros grec que l’Irano-Suisse aime citer: «Ulysse, le premier des migrants.»

De Kaveh Bakhtiari. Suisse/France, 1 h 40.


Kaveh Bakhtiari

Né à Téhéran en 1979, il grandit en Suisse, où il arrive à 9 ans. Diplômé de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne, il réalise en 2007 le court métrage La valise, sélectionné par de nombreux festivals à travers le monde. Présenté en mai 2013 à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, L’escale est son premier long métrage.

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