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Musique classique: pas de duo sans amour

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Jeudi, 30 Janvier, 2014 - 05:57

Sommets musicaux de Gstaad: les duos de piano se nourrissent de liens intimes et profonds. Cette année, la somptueuse programmation bernoise met ces fascinantes identités musicales bicéphales au centre du festival.

«Faites jouer ensemble deux magnifiques pianistes, vous n’aurez pas automatiquement un bon duo!» Thierry Scherz, directeur artistique des Sommets musicaux de Gstaad, s’est pris de passion pour les ingrédients indispensables à cette discipline qui va bien au-delà du partage, aussi intense soit-il, d’une œuvre. En effet, dans la formule du duo de piano, les interprètes partagent tout, jusqu’à leurs propres univers et personnalité sonores. Ils partagent même, dans le répertoire à quatre mains, leur espace et leur clavier.

Mentionnant les sœurs Labèque, figures incontournables qu’il a côtoyées, Thierry Scherz souligne la dimension quasi magique de la complicité entre deux êtres qui «vivent, respirent, rient, pleurent, mangent ensemble». Le cycle de récitals quatre mains au programme de son édition 2014 lui apparaît ainsi comme «l’apothéose» de cette osmose musicale et humaine.

Liuben Dimitrov, membre avec son épouse du duo Genova & Dimitrov (lire encadré), porte un regard plus circonspect sur les duos issus de fratrie: «Par l’enseignement, nous en rencontrons beaucoup et je vous assure que certains développent une forte rivalité qui peut nuire à leur art! D’autres vivent effectivement en bon accord mais c’est aussi un danger parce que, pour qu’un duo fonctionne, il faut que chaque partenaire ait une personnalité de soliste, d’égoïstement soliste! C’est la mise en commun de ces ego et la profonde envie de partage qui vont créer un duo. La parenté n’est pas d’ordre génétique et familial, même si cette dimension peut être importante. Elle est d’abord du domaine de l’âme!»

«J’ai partagé mon appartement avec ma sœur lorsqu’elle est venue me rejoindre à Paris pour suivre les cours au Conservatoire, raconte Lidija Bizjak (lire encadré). Ce n’était pas facile tous les jours: on peut éprouver la lassitude de l’autre quand on partage trop! Je suis soulagée que cette période soit finie. Chacune de nous vit sa vie, travaille ses propres programmes et, bien sûr, les programmes du duo. Séparément et avec une grande confiance en l’autre. Lorsque nous nous retrouvons, c’est alors une vraie joie et la certitude aussi d’une période de travail très dense parce que rien n’est plus difficile que de jouer du piano à deux.»

La musicienne mentionne notamment la dimension percussive de l’instrument qui fait que «tout s’entend, et que rien n’est pire qu’une attaque de notes imprécise»!

Deux solistes qui font un. Liuben Dimitrov relève la différence entre un quatuor à cordes qui «doit trouver un son d’ensemble» et un duo de piano qui doit au contraire partir d’un univers commun pour le sculpter, lui donner du relief, permettre à cet «océan sonore» d’être traversé de lignes mélodiques distinctes. «Il n’y a pas de leader dans un bon duo, juste deux directeurs et deux employés, sourit le musicien. Les rôles sont sans cesse redistribués au fil de l’œuvre. Tout est en mouvement. Il n’y a pas un soliste et un accompagnateur mais deux solistes qui font un.»

Aujourd’hui encore, Lidija Bizjak s’étonne et se réjouit de l’immensité du répertoire de piano à quatre mains dont de nombreuses transcriptions de la plume des compositeurs eux-mêmes – elle cite avec délectation Ravel et Stravinski. Ces solutions «économiques» de l’époque, consistant à remplacer tout un orchestre par un seul piano, offrent des aires de jeu extraordinairement riches, complexes et variées. A parcourir toutefois dans la contrainte: «Les quatre-mains sont très gênants si on ne se connaît pas. On empiète sur le terrain de l’autre, et réciproquement, on se croise les mains, on doit trouver des solutions de doigtés mal pratiques qui tiennent compte de l’espace à disposition et de ce que joue le partenaire, on doit se répartir le travail de la pédale, confiée généralement au pianiste de gauche, on joue dans une position peu orthodoxe qui est catastrophique pour le dos…» Mais le jeu collectif en vaut la peine. Avant de retrouver avec délectation l’entier du clavier pour soi tout seul!

«Nous tenons à ce que nos étudiants travaillent d’abord chacun de son côté pour développer sa vision, ses émotions, confirme Liuben Dimitrov. La confrontation peut alors avoir lieu et nous ne sommes pas trop de deux, avec mon épouse, pour faire en sorte que les visions se complètent, s’enrichissent, et trouvent leur logique, leur évidence.»

Le couple fait de même dans son parcours humain et artistique. Il incarne avec élan, brio et bonheur le paradoxe du duo, identité fondée sur l’équilibre fluctuant entre autonomie et fusion, individualisme et partage. Si le quatuor à cordes apparaît comme «une discussion entre personnes intelligentes», le duo de piano est l’écho sonore de la formule de Saint-Exupéry: deux regards indépendants et libres tournés dans une même direction.

Les Sommets musicaux de Gstaad. Du ve 31 janvier au sa 8 février.
Concerts quotidiens dans les églises de Saanen ou de Rougemont, à 19 h 30.
Cycle des 8 récitals de piano à quatre mains: chapelle de Gstaad.
Du sa 1er au sa 8 février, 16 h. www.sommets-musicaux.ch
Récital des pianistes Bahar et Ufuk Dördüncü: Vevey, Théâtre.
Je 6, 19 h 30. www.artsetlettres.ch


Duo Lidija & Sanja Bizjak

Elles sont sœurs, pas jumelles. Une différence d’âge de douze ans ne les a pas empêchées de se retrouver à jouer ensemble, en marge de leur parcours individuel, d’abord des concertos pour deux pianos et orchestre, puis le répertoire pour deux pianos et piano à quatre mains. «Mais ce n’était pas un projet familial», insiste Lidija qui relève par ailleurs les avantages de jouer avec un proche: «Nous avons eu le même parcours d’initiation et les mêmes professeurs, ce qui nous donne une base commune et nous évite de tout discuter et remettre en question. Nous comprenons les choix de l’autre et connaissons sa manière de fonctionner et de penser. Chacune de nous partage des projets en dehors du duo. Sanja, par exemple, a fait beaucoup de musique baroque. Ces apports élargissent notre palette d’idées. Mais l’avantage principal de notre statut de sœurs est que nous osons nous parler de manière très directe, parfois même cassante. Tout est dès lors plus rapide, plus simple, plus efficace. Pas besoin d’user de diplomatie ou de mettre des gants: nous savons l’une et l’autre que, quoi qu’il arrive, nous sommes et demeurerons des sœurs.»


Duo Genova & Dimitrov

Entre conte de fées et coup de foudre, la formation de ce duo prestigieux tient du plus joli hasard. Participant aux épreuves d’un concours, en 1995, Aglika Genova et Liuben Dimitrov se trouvent dans la même salle d’échauffement. Assis chacun devant un piano, ils décident, un peu par jeu, d’interpréter en même temps la même Etude de Chopin. Le jeu se mue en révélation, ce partage inopiné leur «donne des ailes». Ils fondent bientôt leur duo qui ne va pas tarder à rafler tous les prix internationaux de la spécialité tandis que la complicité musicale se fait aussi amoureuse. Devenus couple dans la vie comme sur scène, ils partagent un goût commun pour des répertoires très vastes ainsi que pour l’enseignement qu’ils pratiquent à la Musikhochschule de Hanovre.

Invités des Sommets musicaux comme «mentors» des huit duos sélectionnés pour participer au cycle de récitals de jeunes interprètes, ils donnent également un récital à quatre mains (Rougemont, me 5) et, avec la Camerata Europeana, le Concerto pour 2 pianos de Mozart (Saanen, ve 7). La définition du duo, selon Liuben Dimitrov: «Partager un même monde sonore avec la personne en qui on a la plus absolue confiance. Une sensation incomparable!»

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Sommets musicaux de Gstaad
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