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Cinq pièces pour un monde en crise

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:59

Ce printemps en Suisse romande, la scène prend la réalité à bras-le-corps.Emouvants aux larmes, drôles, agaçants, la danse et le théâtre contemporains observent nos déflagrations intimes. Des spectacles créés à Lausanne, mais à découvrir entre Genève et Monthey.

Deux hommes font du bateau. Ils parlent de cette curieuse expérience qu’est la vie, boivent du schnaps, s’arrêtent dans une crique pour pique-niquer… L’un d’eux ne reviendra pas du voyage. Le texte du Norvégien Jon Fosse part d’apparentes banalités pour évoquer la condition humaine. Le langage est une frêle embarcation pour traverser le monde-océan. Les mots, imprécis, nous trahissent. Il y a un potentiel «tragicomique» dans Je suis le vent, texte «beckettien», mais la mise en scène ne veut pas en jouer. Comme un rouleau compresseur, elle aplatit tout, dans une caricature du théâtre d’avant-garde. Grands silences, temps morts… Tout à coup, l’un des deux personnages dit, parlant nonchalamment, comme on traînerait les pieds: «Est-ce qu’il est possible de ne rien vouloir?» Restent les acteurs méritants et un fascinant décor de brouillard aqueux, dans lequel noyer son regard…

«Je suis le vent», de Jon Fosse. Mise en scène de Guillaume Béguin. Avec Jean-François Michelet et Matteo Zimmermann. Lausanne, Arsenic, jusqu’au 19 janvier. Genève, Théâtre du Loup, du 23 janvier au 2 février. www.denuitcommedejour.ch


Néon
La fin d’une histoire d’amour

Un couple, la nuit, le désamour… Le nouveau spectacle de danse de Philippe Saire explore des terrains inédits dans son œuvre. On le savait joueur, sombre et ironique. Le voici émouvant aux larmes et plus intime que jamais. Cette histoire d’amour entre deux hommes vise à l’universel. Elle s’écrit sur des journaux lumineux rouges, des prompteurs qui diffusent les mots de l’intimité, ceux que l’on n’arrive pas à prononcer, et ceux que l’on dit machinalement, parce qu’on n’y croit plus. Les mots défilent, comme une effusion de sang s’écoule d’une blessure. «Tout est fini», «Je suis un salaud». Ils sont les seules sources lumineuses qui éclairent la scène, avec des néons manipulés par les danseurs. Philippe Saire excelle à peindre avec les ombres. Sans chercher la beauté, cette esthétique contemporaine évoque, par ricochet, l’éclairage des toiles du Caravage, ou des scènes à la bougie peintes par Georges de La Tour. Le corps est là, dans son mystère, sa fragilité, ses limites. Celui qui n’est plus aimé est rejeté, «liquidé», comme à la fin de tout amour. Le chorégraphe parvient, par une recherche plastique, à toucher les sentiments profonds. La voix mixée de la Callas, dans l’opéra Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea, n’y est pas étrangère. C’est un poème en mouvements, dur, sous tension, qui s’écrit sous nos yeux. Un anéantissement, jusqu’au dernier souffle. Alors la nuit est si triste qu’elle devient blanche…

«Néons», du 17 au 26 janvier, Théâtre Sévelin 36, Lausanne. Avec Philippe Chosson et Pep Garrigues. www.philippesaire.ch


Fureur
Implosions en famille

C’est une famille modèle. Monsieur est un écrivain reconnu. Madame un grand professeur qui œuvre pour la santé dans le monde. Le fils est inscrit dans une université prestigieuse... Mais, une nuit, tout bascule lorsque le fils tague une mosquée et commence à tenir des propos racistes. Le passé de la mère remonte à la surface et une journaliste vient semer la zizanie... La pièce aborde des thèmes politiquement incorrects, soulève de nombreuses questions perturbantes (peut-on s’accommoder du racisme de son propre fils? Jusqu’où peut-on militer pour son idéal? Peut-on cacher ses graves erreurs de jeunesse?), mais la mise en scène ne donne aucune clé au spectateur pour qu’il puisse construire son opinion. Enthousiasmé au début, on regrette, après réflexion, de ne jamais savoir où se situe le metteur en scène. Le plaisir vient de la distribution, Claude-Inga Barbey en tête, excellente aussi dans le registre tragique. Le texte se déroule à fond de train: il y a des éclats, de la fureur, mais aussi des rires.

«Fureur», de Joanna Murray-Smith. Mise en scène de Geoffrey Dyson. Avec notamment Claude-Inga Barbey, Isabelle Bosson, Carole Schafroth. Lausanne, Pulloff. Jusqu’au 26 janvier. www.pulloff.ch


Valse aux cyprès
Bagatelles pour de nouveaux massacres

Dès le début, au fond de la scène, un curseur lumineux induit une peur latente. Pour Julien Mages, le monde est une marmite prête à exploser. Le metteur en scène se fait entomologiste. Il observe ce qui pourrait pousser ses quatre personnages, deux femmes et deux hommes, des «gens normaux», au meurtre, ni plus ni moins. Et, plus généralement, il s’interroge sur le malaise social qui secoue la jeunesse d’ici et d’Europe. Il promettait une plongée dans la violence de notre quotidien, le rock’n’roll, le drame, le rire… Il tient parole. Son théâtre politique est plein de surprises, déroutant autant qu’émouvant, et même franchement drôle. La religion, la guerre, le capitalisme… On craignait qu’à trop brasser… Mais tout se tient. Et chaque acteur puise au fond de lui-même pour incarner son personnage. Athéna Poullos joue par exemple une femme de plus en plus révoltée contre les canons de la beauté et de la minceur. Son personnage, gracieux autant qu’inquiétant, laisse affleurer une cruauté sous la douceur, avant de partir en vrille. Et Diane Müller nous sert, de son côté, une BCBG coincée mais qui glisse peu à peu vers le délire, vomissant son aversion pour les femmes enceintes croisées dans le bus…

«Valse aux cyprès», texte et mise en scène de Julien Mages. Avec Frank Arnaudon, Diane Müller, Roman Palacio, Athéna Poullos. Sion, Petithéâtre, du 6 au 9 février. www.petitheatre.ch


Je pense à Yu
Souffrir avec et pour un inconnu

Un entrefilet dans un journal bouleverse la vie de Madeleine. La jeune femme, traductrice, découvre qu’un prisonnier politique chinois dont elle ignorait tout, Yu Donjyue, a été libéré après avoir purgé dix-sept ans de prison. S’il a été puni, c’est pour avoir lancé de la peinture rouge sur le portrait de Mao pendant les manifestations de la place Tiananmen en 1989. Madeleine, compulsive, collecte tout ce qu’elle trouve sur Yu. Elle s’enferme chez elle et n’y est pour personne, envoie balader la jeune Chinoise à laquelle elle donne des cours de français et son avenant voisin auquel elle plaît visiblement beaucoup. Servie par un dispositif scénique soigné, cette pièce pose des questions essentielles. Comment se sentir concerné, même à distance, par le devenir de nos frères humains? Que faire de ce qui nous touche et sur lequel on n’a pas de prise? Réjouissant et profond.

«Je pense à Yu», de Carole Fréchette. Mise en scène de François Marin. Avec Caroline Althaus, Selvi Pürro et Julien George. Monthey, Théâtre du Crochetan, du 16 au 18 janvier. Bienne, Théâtre Palace, 21 janvier. Neuchâtel, CCN Pommier, 29 et 30 janvier.

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Eugène Dyson
Erika Irmler
Steve Iuncker-Gomez
Philippe Weissbrodt
Victor Hunziker
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