Une copie des trésors de Toutankhamonattire les foules à Genève. Grâce à la Suisse, une réplique de son tombeau ouvrira bientôt en Egypte. Après Lascaux, la grotte Chauvet sera reproduite à l’identique. Plongée dans le nouveau monde des fac-similés.
«Wouf!» a soudain fait le lion. A la stupéfaction d’un petit garçon qui croyait avoir affaire au vrai roi des animaux. Dans la cage réservée au lion dans le zoo de Luohe se tenait un gros dogue du Tibet, dont la crinière rousse n’abusait même pas un enfant de 6 ans. Lequel s’est plaint du subterfuge et le zoo a été fermé. C’était en août dernier. Ainsi va la culture de la contrefaçon en Chine. Elle n’a plus de limite, au point que des institutions entières doivent renoncer à leurs activités. Comme le Musée Ji Bao Zhai, dans la province du Hebei, dont toutes les collections étaient fausses.
Cette culture est d’autant plus audacieuse que la copie n’est pas aussi stigmatisée en Chine qu’en Occident. Elle est même tournée en dérision, sur place, par le mouvement artistique du Shanzai. Celui-ci détourne les faiblesses des contrefaçons chinoises: la mauvaise qualité des matériaux et leurs erreurs, notamment de traduction. Les artistes irrévérencieux créent même des produits qui n’existeront sans doute jamais, comme des robes Apple. Voilà un a priori (copier, c’est mal) mis sens dessus dessous.
Ce phénomène de relativisation est aussi à l’œuvre du côté de Palexpo-Genève. Le fait que les objets de l’exposition Toutankhamon, son tombeau et ses trésors soient tous des répliques n’a pas beaucoup gêné les 100 000 personnes qui l’ont déjà visitée. Le statut des statues, masques, sarcophages ou bijoux est clairement posé, dès le début du parcours. Pas question de faire passer le faux pour du vrai. «Notre propos est tout autre, relève Christoph Scholz, l’organisateur allemand de cette exposition itinérante. Nous racontons l’histoire de la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922. Nos objets sont des illustrations. Ils ont une ambition éducative. Pas question de les comparer aux originaux qui sont au Caire. Rien ne remplace la valeur scientifique d’un musée.»
Réactions négatives. Lorsqu’il a mis sa présentation de fac-similés sur la route, en 2008, Christoph Scholz a reçu des réactions négatives: «Notre première exposition s’est tenue à Zurich. Elle a eu un succès populaire incroyable. Mais des spécialistes de l’Egypte ancienne nous on fait part de leur scepticisme. Certains égyptologues, comme Antonio Loprieno, de l’Université de Bâle, ont pourtant vu combien ces répliques étaient culturellement importantes. En déplaçant la présentation vers la représentation, elles transféraient aussi le savoir vers l’expérience. Et l’émotion.»
Ce changement de paradigme est aussi à l’œuvre du côté de Louxor, à l’entrée de la Vallée des Rois. Les travaux d’une réplique du tombeau de Toutankhamon ont commencé à côté de l’ex-maison de Howard Carter, le découvreur du fabuleux trésor en 1922. Le fac-similé devrait ouvrir ses portes fin avril. Sa réalisation, d’un coût de 500 000 euros, a été rendue possible grâce aux efforts de l’Université de Bâle et de la Société zurichoise des amis des tombes royales d’Egypte du professeur Theodor Abt. Mais aussi d’Adam Lowe, expert britannique de la réplique en haute définition, qui dirige la société Factum Arte à Madrid.
Dès 2009, Adam Lowe a scanné en 3D le tombeau de Toutankhamon dans la Vallée des Rois, à raison de 100 000 points par mètre carré. Puis il a réalisé des fac-similés qui rendent le moindre relief, la moindre teinte, le moindre détail des peintures originelles. «Les tombeaux de la Vallée ont été construits pour durer, pas pour être visités, note Adam Lowe. Celle de Toutankhamon a été conservée pendant 3000 ans dans de bonnes conditions. Depuis sa découverte, il y a nonante ans, elle a énormément souffert. Carter a été le premier à s’en apercevoir après l’ouverture du tombeau. Les tentatives de conservation depuis les années 80 n’ont fait qu’empirer les choses.
Notre but est d’encourager les visiteurs à découvrir à la fois le fac-similé et l’original, puis à nous communiquer leurs réactions. C’est une approche audacieuse. Mais nous sommes persuadés que dans des conditions habituelles de visite, il n’y aura pas de différences. Et nous pourrons utiliser des techniques de présentation qui ne sont plus autorisées dans la tombe originale.»
Préservation d’un patrimoine. D’une force négative, détruisant avec son flash, sa respiration, ses germes ou sa maladresse les œuvres fragiles, le visiteur est transformé en une force positive qui participe à la préservation d’un patrimoine de l’humanité. «Voulez-vous que le tombeau de Toutankhamon soit complètement détruit? s’énerve le Dr Zahi Hawass, ministre des Antiquités égyptiennes jusqu’à la révolution de 2011. Voulez-vous que celui de Sethi Ier, qui est déjà fermé, s’en aille à jamais? L’idée des répliques n’est peut-être pas la plus séduisante. Mais c’est la meilleure pour préserver les tombes. Si vous êtes mourant, et qu’un médecin vous dit que vous avez besoin d’un cœur artificiel pour survivre, qu’allez-vous répondre? Je ne veux pas vivre avec un tel artifice? Non, car autrement vous allez mourir. Les gens qui s’opposent à ces fac-similés sont des idiots. Ils ne comprennent pas l’importance de conserver les antiquités égyptiennes.»
Le même souci de préservation, mais aussi de gain d’argent, a poussé les responsables du Musée Van Gogh à Amsterdam à demander à Fujifilm de réaliser des copies parfaites des œuvres du maître. La minutie maniaque des scanners 3D s’est portée jusque sur le verso des toiles, reproduit à l’identique. Les fac-similés sont exposés dans le Musée Van Gogh, mais aussi vendus 25 000 euros pièce. L’argent ira à la construction d’une nouvelle aile pour l’institution, souvent congestionnée de visiteurs du monde entier, au péril des chefs-d’œuvre.
Les techniques de modélisation numérique, toujours plus sophistiquées, sont également au travail dans le sud de la France, à proximité des premières manifestations artistiques de l’humanité. Depuis 1983, le fac-similé de la grotte de Lascaux, édifié à 200 mètres de l’originale, attire 250 000 visiteurs par année. Lascaux 3, une réplique de réplique constituée de parois en kit, est une exposition itinérante qui attire les foules, où qu’elle s’arrête. Mais elle ne présente qu’une partie des fameuses peintures vieilles de 17 000 ans. Dès 2016, toujours à proximité de la grotte fermée dans les années 60, tant elle se dégradait, s’érigera un Centre national d’art pariétal à 50 millions d’euros. Ce supermusée proposera la réplique intégrale de la grotte, dans le respect de chaque détail et de chaque relief. Ce Lascaux 4 côtoiera un Lascaux 5, une modélisation 3D purement virtuelle, accessible par l’internet.
Un peu plus au nord, en Ardèche, s’ouvrira fin 2014 la plus grande réplique d’œuvre d’art jamais réalisée. Le fac-similé de la grotte Chauvet Pont d’Arc, dont le bestiaire fabuleux remonte à 36 000 ans, s’étendra sur 3000 m2. Tous les sens des visiteurs seront sollicités grâce à la restitution de la fraîcheur, de l’humidité, du silence, de la pénombre, des odeurs, du grain de la grotte originelle.
Là aussi, complété par un centre de découverte, le musée coûtera 50 millions aux collectivités. Au risque de le voir entrer en concurrence avec le futur Lascaux 4. Et d’émousser l’intérêt du grand public par l’accumulation de représentations. Mais l’espoir, en Ardèche, est d’attirer des touristes en hiver. Eux n’auront pas le choix de la vraie œuvre, comme à Louxor. Découverte en 1994, la grotte Chauvet n’a jamais été ouverte au public. Impossible dès lors de comparer l’aura, l’émotion, la vibration des peintures originales à côté des copies sur résine.
Mais qu’est-ce que cette aura, en définitive? Adam Lowe prend l’exemple de sa copie du gigantesque tableau de Véronèse, Les noces de Cana. La toile est au Louvre (dans la même salle que la Joconde) depuis que l’armée napoléonienne l’a dérobée au monastère de San Giorgio Maggiore à Venise. Grâce à Adam Lowe, une réplique parfaite des Noces de Cana, avec ses couleurs éclatantes du XVIe siècle, trône de nouveau dans le réfectoire du monastère, à l’endroit et dans la lumière pour lesquels le tableau a été conçu. Et l’expert britannique de s’interroger: de la fausse dans le réfectoire vénitien ou de la vraie au Louvre, quelle œuvre donne l’expérience la plus authentique?
«L’original nous émeut. La copie nous éduque»
Ministre des Antiquités en Egypte jusqu’en 2011, Zahi Hawass a donné une conférence en novembre à Genève sur Toutankhamon. Il revient sur l’histoire des répliques et leur statut particulier.
Etiez-vous pour le principe des répliques de tombeaux lorsque vous étiez ministre?
Il y a six ans, j’ai eu des discussions avec la Société des amis des tombes royales d’Egypte, basée en Suisse. Nos avis étaient convergents: si nous ouvrons au tourisme de masse les tombes de Toutankhamon, Sethi Ier et Néfertari, en moins de cent ans il ne restera rien de ces sanctuaires. Il fallait créer des répliques, puis fermer ces tombes. Nous devions avoir des copies de la plus grande qualité possible. Celle de Toutankhamon a été réalisée dès 2009 par Adam Lowe, de la société Factum Arte. Si vous n’êtes pas un spécialiste, vous serez incapable de la différencier de l’original. Mais la révolution égyptienne a eu lieu. Les gens en place aujourd’hui n’ont pas de vision historique. Ils n’ont d’abord pas montré d’intérêt pour les répliques. Mais ils ont changé d’avis. Surtout pour Toutankhamon. Je leur conseille de tailler dans la montagne de la Vallée des Rois, comme il y a trois millénaires, et d’aménager un corridor qui mènerait à cette réplique parfaite.
Est-ce d’autant plus important que les vraies pièces antiques ne sortent plus d’Egypte?
L’exposition genevoise est surtout utile pour son côté éducatif. Peu de touristes se rendent en Egypte désormais. Les trésors ne voyagent plus. C’est un problème pour mon pays. Quand l’exposition du pharaon Toutankhamon a tourné pour la première fois aux Etats-Unis en 1962, l’Egypte n’a rien eu en retour. L’argent est parti ailleurs, par exemple à l’UNESCO. Pour ma part, j’ai organisé de 2005 à 2011 une exposition itinérante de 50 petits objets du tombeau, sur un total de plus de 4000. Cette exposition a ramené 125 millions de dollars à l’Egypte.
Personne ne connaît aussi bien que vous les pièces originales du tombeau de Toutankhamon. Comment avez-vous réagi lorsque vous avez découvert leurs copies?
Soyez plutôt attentifs aux enfants qui visitent l’exposition. Ils accordent peu d’attention à ces enjeux d’originaux et de répliques. Les artistes qui ont réalisé ces copies sont si talentueux. Ils n’ont pas fait d’erreurs. Bien sûr, les originaux nous saisissent. Ils étreignent notre cœur. Leur or nous éblouit. Ils nous font penser à leur découverte, au roi lui-même. Mais les répliques sont parfaites, même si elles ne donnent pas le même plaisir à 100%. L’histoire qu’elles racontent est si extraordinaire. Pour d’autres pharaons, Ramsès II par exemple, des fac-similés auraient été moins convaincants. Toutankhamon est si célèbre que la différence entre original et copie s’en trouve atténuée. La magie opère, quel que soit le statut de l’objet. C’est pourquoi ce cas est si particulier. Vous ne pouvez pas généraliser sur les répliques à partir de lui.