La Neuchâteloise Vanaëlle Mercanton ressuscite l’esprit des foires et des «galeries de phénomènes» des années 20.Maquilleuse et spécialiste en effets spéciaux, la jeune femme a réuni 70 personnes autour d’un spectacle «monstre».
Lady Gaga a tout faux. La vraie «mère des monstres», c’est elle: Vanaëlle Mercanton. La jeune femme a mis sur pied une galerie de créatures extraordinaires, qu’elle présentera au public romand à la fin de l’année. En cinq ans, sa Foire aux monstres a pris du poil de la bête. L’équipe des 30 bénévoles des débuts, en 2008, a plus que doublé. Le public vient de plus en plus nombreux admirer «l’hydrocéphale à trois cerveaux», «l’homme sans face» ou «la femme-tronc»…
Grâce à ses talents de maquilleuse, de perruquière, de créatrice d’effets spéciaux et de sculptrice, Vanaëlle Mercanton a créé une vingtaine de tableaux vivants. Mais attention: ces monstres sont «nobles». Et ce sont un peu ses enfants. Il faut voir la délicatesse de son travail sur la poitrine de «la femme à trois seins»… Et si les vrais monstres, c’étaient nous, les spectateurs?
Un bonimenteur «sans scrupules», le Teuton Ludwig Von Grunak (campé par Matthieu Béguelin) joue les Monsieur Loyal et présente ce petit monde. Les spectateurs rajeunissent. «Ils ont tous 8 ans, ils sont dans un train fantôme» se réjouit Vanaëlle. Silence mi-gêné mi-fasciné dans la salle lorsque c’est au tour d’une femme présentant une pilosité spectaculaire, ou «hypertrichose pubienne»…
Avant ou après le spectacle, le public participe aux visites commentées d’un «cabinet des curiosités». Entre le pieu (authentique) de Dracula et le scalpel de Jack l’Eventreur, voici «Harriette». Un air de famille avec la tête momifiée de la mère de Norman Bates dans le film Psychose d’Alfred Hitchcock. «Harriette s’est suicidée parce qu’elle avait raté son brushing» glisse Vanaëlle, fascinée par le boniment et l’esprit des foires de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. «Ma belle-mère a assisté à une foire aux monstres à Neuchâtel, en 1956. C’était la dernière. Quand ces manifestations ont disparu, ces pauvres monstres se sont retrouvés sur le carreau!»
Du sang «fait maison». La maquilleuse fabrique ces créatures avec son mari, Benjamin Monnard. Après un apprentissage exigeant en bijouterie, elle s’ennuyait dans la vente. Elle avait envie de créer «des choses». Relookeuse, elle a travaillé pour des politiciens neuchâtelois, avant de découvrir le maquillage. Elle s’est formée en Suisse, puis à Strasbourg. En 2005, elle a créé l’atelier Rouge Vernis Make-Up puis monté sa foire, qu’elle porte depuis à bout de bras, en bénévole, espérant des subventions plus substantielles. Elle motive ses troupes. Décorateur, costumier, régisseur, tous du métier. Sur scène se côtoient acteurs professionnels et amateurs.
Elle nous ouvre la porte de son «antre», la fabrique extravagante. Un appartement neuchâtelois où elle vit en famille avec son époux et sa fille de 4 ans.
Julius, un (vrai) petit chien, vient nous renifler les mollets. Un œil posé sur un bureau nous fixe. A côté, voici la tête de William, un hippopotame humanoïde, en plein chantier. Benjamin explique la difficulté de créer des prothèses. «La mousse de latex est très capricieuse. Un courant d’air, et elle ne se gélifie pas!» Vanaëlle, elle, donne sa recette du meilleur sang pour les morts-vivants ou les corps tronçonnés. «De l’eau, des colorants alimentaires, du sirop. Et du café, pour le vieillir.» Rien à voir avec l’industriel. Du sang de bœuf? Jamais, déjà qu’elle se sent coupable de manger de la viande…
Droma, la femme yéti. Elle ne fait pas que du «gore». «Quel bonheur quand on me demande autre chose! Pour le théâtre, j’ai créé un homme qui se transformait en poisson. Et pour un court métrage de Nicolas Siegenthaler une femme yéti, Droma. Elle était belle. J’ai été traumatisée lorsqu’elle est morte.»
Car Vanaëlle est sensible. Hallucinée par le clip Thriller de Michael Jackson quand elle était enfant, elle se dit incapable de regarder un film d’horreur. Freaks (La monstrueuse parade en français), classique du cinéma dans lequel Tod Browning faisait tourner, en 1932, de vrais phénomènes de foire, elle n’ose pas. «En photo, ça va. Mais l’idée de les voir bouger, ce n’est pas possible.» Même E. T. ne passe pas. «Avec le recul, je me dis que si je ne peux pas visionner ce genre de films, c’est parce que je vivais avec de vrais monstres lorsque j’étais enfant. Tout art est une forme de thérapie.»
Paradoxalement, elle n’a pas hésité à mettre en scène, sous l’objectif de David Houncheringer, «des morts brutales à la sauce tragicomique». Par exemple une tuerie dans une école. «Nous avons fait une série au collège de Colombier. On a travaillé à l’arrache, c’était comme une opération commando. Mais on a tout nettoyé après! Les concierges ne se sont aperçus de rien.» Ce qui la fascine, c’est l’idée de mourir d’un coup, d’une rupture d’anévrisme. C’est ce qu’elle nous explique dans sa cuisine, en nous servant un café. Ou plutôt non, ce qui la fascine, c’est d’imaginer à quoi elle ressemblerait après. C’est ce sentiment trouble qu’elle voulait explorer dans ces mises en scène.
Mandatée par Nestlé. Elle a travaillé pour le NIFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival), le Montreux Jazz ou le Théâtre du Passage. Plus surprenant, Nestlé ou la Banque cantonale neuchâteloise ont aussi fait appel à ses services (ou sévices?) pour des soirées d’entreprise. «Un directeur m’a demandé de le maquiller comme s’il s’était fait tabasser. Je lui ai déchiré sa chemise. On lui a fait des dents cassées… Il était ravi.» Il faut imaginer que Vanaëlle, pétulante, raconte tout cela avec un sens inné du comique…
Le plus bel hommage est venu de Lloyd Kaufman, rencontré au NIFF. Le réalisateur, un mythe dans le cinéma underground américain, friand d’hémoglobine, lui a demandé de lui trancher la gorge. David Houncheringer a immortalisé la scène. Lloyd Kaufman a complimenté la maquilleuse pour sa sensibilité, et lui a dit: «Vanaëlle, tu es comme un ange. Viens travailler pour moi à New York!» Mais pas question d’abandonner sa caravane de monstres, qu’elle espère faire tourner sous chapiteau l’an prochain.
«Foire aux monstres». Théâtre du Concert, rue de l’Hôtel-de-Ville 4, Neuchâtel. Dîner-spectacle le 31 décembre et spectacle le 1er janvier 2014. Puis au Bikini Test de La Chaux-de-Fonds, les 31 janvier et 1er février. www.rougevernismakeup.com