Cédric Klapischboucle avec «Casse-tête chinois» une trilogie inaugurée il y a onze ans par «L’auberge espagnole». Rencontre.
Onze ans après, il n’en revient toujours pas. «Je n’aurais jamais pensé que ce film allait avoir autant d’impact. Cela m’a vraiment étonné. Je me suis alors posé des questions sur les raisons qui ont fait qu’il a autant parlé aux gens. Et j’ai finalement l’impression qu’il coïncidait simplement avec un moment, celui de la création de l’identité européenne, et une époque, celle où les gens commençaient à voyager de plus en plus.» Toujours est-il que Cédric Klapisch signait en 2002, avec L’auberge espagnole, un long métrage qui deviendra celui d’une génération. La génération Erasmus, celle de cette jeunesse abhorrant l’idée de frontières et partant étudier à l’étranger, histoire de se frotter à une autre culture, une autre langue.
On faisait la connaissance, dans L’auberge espagnole, de Xavier (Romain Duris), de sa copine Martine (Audrey Tautou) et de toute une cohorte de jeunes Européens – la Belge Isabelle (Cécile de France) et l’Anglaise Wendy (Kelly Reilly) en tête – avec lesquels il partagera durant une année académique un appartement barcelonais. Trois ans plus tard, on retrouvait ce quatuor joyeusement désaccordé dans Les poupées russes. Xavier rêvait toujours de devenir écrivain mais travaillait pour la télévision, ce qui lui permettra de retrouver Wendy. Isabelle était devenue journaliste économique, tandis que Martine, qui ne s’est jamais remise de sa rupture avec le jeune homme, était une jeune mère célibataire. A la fin du film, Xavier et Wendy décidaient de faire un bout de chemin ensemble. Mais, comme Cédric Klapisch aime s’inspirer de la vraie vie pour écrire ses histoires et que dans la vraie vie, tout n’est pas aussi simple que dans les contes, il a eu envie de boucler la boucle avec un troisième film. Même s’il avoue déjà qu’il ne serait pas contre un épisode de plus, dans dix ou quinze ans.
Dès la fin du tournage des Poupées russes, il savait que ce nouvel épisode allait s’intituler Casse-tête chinois, que d’une manière ou d’une autre, il parlerait donc de la Chine. Dans le temps de la fiction, il s’est passé dix ans depuis Les poupées russes. Xavier est enfin devenu écrivain, mais il est en phase de divorce. Wendy décide de partir à New York avec leurs deux enfants. Il n’en faudra pas plus pour qu’il décide de tenter lui aussi l’aventure américaine, en s’installant d’abord chez Isabelle et sa compagne, avant de trouver un logement… à Chinatown. Quant à Martine, elle est toujours célibataire, mais avec deux enfants. En bref, c’est le bordel.
Tout a commencé là. Onze ans après L’auberge espagnole, Cédric Klapisch dresse une sorte de bilan de cette génération Erasmus dont il a été malgré lui le porte-parole. Mais, pour le cinéaste, que représente la génération Erasmus? Il répond avec un exemple concret: «J’étais il y a peu à la Commission européenne, et plusieurs personnes sont venues me dire qu’elles étaient devenues Européennes grâce à Erasmus. C’est drôle de voir comment le fait d’avoir passé un an à l’étranger les a changées pour toute leur vie. Elles connaissent une langue et une culture de plus, mais elles ont surtout, à mon avis, intégré une mobilité que les autres n’ont pas forcément. Et c’est important dans ce monde où on est tout le temps en train de remettre en question les choses qu’on a faites juste avant.»
Reste que le bilan proposé par le cinéaste est sombre, désenchanté. Familles recomposées, emplois précaires, difficultés à trouver sa place en tant qu’individu dans un monde globalisé, on est loin de l’insouciance à l’œuvre dans L’auberge espagnole. «C’est vrai pour Xavier, comme c’est vrai pour l’Europe, soupire Cédric Klapisch. Car on vit un moment moins heureux qu’il y a dix ans. Au début des années 2000, il y avait quelque chose de très joyeux autour de l’idée de l’Europe en marche. Et là, tout est remis en question. La crise économique a produit beaucoup de doutes. Quant à Xavier, il traverse la crise de la quarantaine. Et s’il subit des choses déprimantes, dures, il va cependant parvenir à se réinventer une vie. On est aujourd’hui dans un tel culte de la jeunesse que beaucoup pensent qu’on est vieillissant à 40 ans alors que la vie est vraiment devant soi. A la fin de L’auberge espagnole, il disait: “Tout a commencé là.” D’une certaine manière, il pourrait dire la même chose à la fin de Casse-tête chinois.»
De cette structure en deux parties, une ouverture mélancolique puis un retour progressif de la veine comique, qui a fait le succès du premier volet de la trilogie, vient l’impression étrange que procure le film.
Réalité augmentée. Au-delà du plaisir qu’il y a à retrouver des personnages connus, quelque chose ne fonctionne plus. Mais, en habile scénariste, malgré la difficulté à écrire cette histoire en regard des précédentes qui ont jailli de manière très spontanée, Cédric Klapisch retourne la situation à son avantage à l’aide d’une subtile mise en abyme: Xavier est en train d’écrire – après le succès de L’auberge espagnole et des Poupées russes – une troisième autofiction. Ce qui lui impose de fréquents échanges avec son éditeur, qui lui explique que contrairement au drame, le bonheur n’est pas bon pour la fiction. On ne peut s’empêcher de voir, derrière ce personnage secondaire, le réalisateur tirant avec malice les ficelles de cette comédie humaine en trois actes.
«Camus disait: “Il y a un temps pour vivre et un temps pour témoigner de vivre.” Quand on est réalisateur ou écrivain, on a envie de parler de la vie, de la décrire. Mais la fiction a des nécessités différentes de la vie. On fait alors ce qu’on appelle de la réalité augmentée, qui est un terme que j’aime bien. On essaie de décaler la réalité pour en tirer quelque chose de plus joli à regarder. C’est de cela dont j’ai essayé de parler.»
«Casse-tête chinois». De Cédric Klapisch. Avec Romain Duris, Audrey Tautou, Cécile de France et Kelly Reilly. France, 1 h 57. Dimanche 8 décembre, journée Cédric Klapisch dans le cadre du Montreux Comedy Festival: projection au cinéma Hollywood, en présence du réalisateur de «L’auberge espagnole», «Les poupées russes» et «Casse-tête chinois».
www.montreuxcomedy.ch



