Quantcast
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Avracavabrac: ou l’orgasme impromptu

Jeudi, 28 Novembre, 2013 - 06:00

La bande d’improvisateurslausannois joue à guichets fermés depuis quatorze ans. Le 13 décembre, ils affrontent le public
du Métropole. Peur? Oh, oui!

Tout va très vite avec ces gens-là. La journaliste avait à peine sorti son calepin pour l’interview collective qu’un échange serré de vues la projetait sans préliminaires au cœur du sujet:

– Vincent Kucholl (les yeux au ciel): Une bonne soirée d’impro, c’est mieux qu’une bonne nuit de sexe.

– Sébastien Blanc (gaulois): Disons que l’une va assez bien avec l’autre.

– Lionel Caille (professoral): Question d’adrénaline, vous comprenez. Le comédien de Théâtre avec un grand «T» se met au service d’un texte et d’une mise en scène. Nous, on doit construire une histoire en quelques secondes, et quand ça marche, le plaisir est plus fort parce qu’on vient de plus loin. (S’échauffant): C’est ça! L’intensité de l’orgasme est proportionnelle à la mise en danger!

– Vincent Kucholl (actuellement en tournée avec sa pièce «120’’ présente la Suisse»): Pas d’accord. Au théâtre, quand ça cartonne, l’orgasme est tout aussi fort.

– Lionel Caille: Disons que ce sont deux orgasmes différents. Entre le théâtre et l’impro, il y a la même différence qu’entre faire l’amour dans un lit ou se faire prendre sauvagement dans un coin improbable. (Serviable): Vous voyez ce que je veux dire?

C’est à ce moment-là que la journaliste, ayant réussi à remettre son calepin à l’endroit, put enfin passer à la question suivante. Mais quelle était la première, déjà?

Sous le radar des critiques. L’équipe d’Avracavabrac compte actuellement onze comédiens. Le plus souvent, pour leurs «spectacles d’humour improvisé», ils sont une demi-douzaine sur la scène d’un café-théâtre comme Le Bourg à Lausanne (120 places).

Le 13 décembre, pour affronter le public de la Salle Métropole de la capitale vaudoise (1136 places), ils se déplaceront en formation quasi complète (seul absent: Pascal Schopfer). La règle du jeu sera la même que d’habitude – le public propose des thèmes, les comédiens piochent au hasard et improvisent –, le taux d’adrénaline un brin supérieur. Cet article paraît deux semaines avant la date fatidique pour donner une petite chance au lecteur intéressé de trouver un billet.

Petite, la chance: depuis quatorze ans, Avrac, de son petit nom, joue à guichets fermés, devant un public enthousiaste et fidèle. Un public différent de celui du «Théâtre avec un grand T»: plus jeune, pas très attiré par l’image de solennité que renvoie le rituel scénique traditionnel. «Au café-théâtre, c’est convivial, accessible, sans prétention: on boit un verre avec des potes et ça coûte 20 francs», résume Laurence Scheurer, chroniqueuse déjantée à Couleur 3 et rare fille de la troupe avec Cécile Collet et Virginie Lièvre.

Bien entendu, ce phénomène scénique qui vit et prospère sous le radar de la critique théâtrale suscite la méfiance du monde dit culturel. Vincent Kucholl: «On est trop populaires, c’est suspect.» Le péché de facilité, voilà le soupçon qui pèse sur les lascars d’Avrac. Eux-mêmes sont naturellement portés à l’œcuménisme, d’autant plus que la moitié d’entre eux jouent aussi au «T». Vincent Kucholl: «Prenez notre spectacle Festen, en 2006: on a mélangé les chapelles et on a réalisé qu’on croyait au même Dieu.»

Ce qui est tout de même paradoxal, c’est le reproche de facilité. Car si on peut diversement apprécier le style de l’un ou l’autre de ses membres, on doit admettre que la performance de cette joyeuse bande d’improvisateurs relève de la grande voltige. Il y faut une présence scénique, une écoute du partenaire et un sens comique rares, même chez un comédien chevronné. Régulièrement d’ailleurs, des candidats venus du «T» s’essaient à intégrer la troupe, mais abandonnent vite.

Mère de toutes les trouvailles. Avrac, c’est aussi un style d’humour particulier développé au fil des ans: volontiers politique (les spectateurs proposent facilement des thèmes d’actualité), souvent cynique et sans limites connues dans le registre graveleux. Mais jamais méchant, ce qui tranche avec le dégommage gratuit qui s’est imposé dans la satire audiovisuelle ces dernières années.

En un mot, un humour proche de celui de 120 secondes, et pour cause: l’émission phare de Couleur 3 est le fruit de la rencontre, en 1999, des six fondateurs d’Avrac et des étincelles amicalo-créatives qui se sont ensuivies. «Tous les personnages que j’interprète à la radio sont nés des impros d’Avrac», raconte Vincent Kucholl, l’un des pionniers du groupe avec Antonio Troilo, Pascal Schopfer, Sébastien Blanc, Lionel et Steven Caille.

La rencontre s’est passée au Caveau de l’Hôtel de Ville, lors de feu les soirées «scène libre» du sous-sol lausannois. Des gars montent sur scène «pour le fun». Ça colle entre eux, ils se prennent au jeu. Quatorze ans plus tard, ils y sont toujours. Vincent Kucholl: «Il n’y a pas de raison que ça s’arrête. C’est un formidable terrain d’expérimentation, mais, il faut le dire, c’est aussi une drogue dure.» Quelques filles désopilantes ont depuis rejoint la troupe, «mais on dirait que pour les femmes, c’est plus difficile d’accepter le risque d’apparaître moches et ridicules», observe Laurence Scheurer.

Et le plaisir du spectateur, direz-vous? Eh bien, sans peur des grands mots, il doit être proche de celui du public de la commedia dell’arte. On frissonne quand l’équilibriste vacille, et dans les moments magiques où tout s’emboîte, le septième ciel nous fait une place. Car il est vaste comme un immense éclat de rire.

«Avracavabrac». Lausanne, Salle Métropole. Vendredi 13 décembre, 20 h 30. Billets sur ticketcorner.ch

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Image may be NSFW.
Clik here to view.
Céline Michel / Sylvain Chabloz
Image may be NSFW.
Clik here to view.
Céline Michel / Sylvain Chabloz
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 

Viewing all articles
Browse latest Browse all 4553

Trending Articles