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Musique: Gérard Manset, l’art de l’effacement

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Jeudi, 24 Mars, 2016 - 05:58

David Brun-Lambert

Pop. Voyageur solitaire depuis quarante ans, l’auteur-compositeur français a fait de la discrétion un art total, consacré aujourd’hui par un vingt et unième album.

Ray-Ban à verres fumés, chevelure blanche brossée en arrière et baskets aux pieds: les résidents du quartier de la porte de Saint-Cloud, à Paris, sont familiers de la silhouette autoritaire de Gérard Manset. Pour autant, pas un pour courir aux trousses du septuagénaire. Et pour cause: presque un demi-siècle après la publication du bizarre Animal on est mal, l’artiste demeure la figure énigmatique de la chanson française. Boudant toujours la scène, refusant de fouler les plateaux télévisés, s’exprimant peu dans les médias, Manset avance indifférent aux canons de son temps, réservant son œuvre colossale aux seuls initiés. Alors que paraît Opération Aphrodite, nouvel album, l’intransigeant s’observe en infatigable résistant.

Entre initiés

Réduire Gérard Manset à une étiquette: on n’y songe pas! Tout à la fois auteur, compositeur, interprète, écrivain, photographe, peintre, baroudeur polyglotte et poète (à sa manière), le Parisien échappe obstinément à tout système. Secret, mais hypersollicité. Misanthrope, mais fin observateur des chaos du monde. Exigeant, mais néanmoins accessible à qui sait l’écouter: ce créateur hors norme bâtit depuis cinquante ans une œuvre cathédrale, parfois intimidante, et truffée d’énigmes. La sienne, pour commencer. Un art de l’effacement sans équivalent dans l’histoire pop hexagonale et qu’on découvre faire l’admiration tant de Jane Birkin, de Raphaël ou de Juliette Gréco que des rockeurs dEUS ou Mark Lanegan invités sur Un oiseau s’est posé (2014), double CD où se revisitaient les classiques Celui qui marche devant ou Toutes choses.

Comment aborder Manset, alors? Moins par la curiosité qu’attisent ses aventures discographiques que par l’intransigeante honnêteté dont le musicien fait preuve depuis La mort d’Orion (1970), oratorio rock symphonique barré publié alors même que crevaient les yéyés. Qu’est-il à cette époque? Un «mouton noir», de son propre aveu. Un «inquiet pathologique» grandi auprès d’un père ingénieur et d’une mère violoniste, et qu’on voit finalement échouer aux Arts décoratifs. Là, cet admirateur de Gauguin ébauche ses premières chansons, parmi lesquelles Animal on est mal composée, rapporte la légende, en quinze minutes seulement. Un temps plus tard, et c’est le bureau d’une huile de la maison de disques EMI où il arrache l’impensable: une carte blanche totale! Sa légende débute là.

Modelage

«Je suis de la vieille école, déclarait Gérard Manset durant l’un de ses rares entretiens à la presse. J’aime que tout bouge, tel un bateau ivre. Une chanson, c’est du modelage, comme en sculpture. Chez Rodin, on voit les traces de doigts et de pouces.» Ainsi, se mesurer à sa colossale discographie signifie affronter des reliefs escarpés, des sommets mélodiques, des harmonies souveraines que portent des textes mystères. Pour la facilité, repassez! La grande distribution n’est pas le genre de la maison. Tutoyer Manset, c’est plutôt se confronter à une créativité libérée du souci d’immédiateté.

Pour cette raison, l’artiste parvient aujourd’hui à accomplir ce qui relevait de l’impensable il y a encore vingt ans: fédérer sous ces obscurcissements artistiques plusieurs générations de créateurs tournés fans. On pense à Axel Bauer, à Dominique A ou à Julien Clerc (à qui l’artiste offrait trois plages de l’album Fou, peut-être en 2011). On pense à l’ami Alain Bashung invitant Manset sur Bleu pétrole (2008). Ou encore au cinéaste Leos Carax qui empruntait Revivre pour une séquence éblouie du film Holy Motors (2012).

Grand bâtisseur et dinosaure pop, créateur marginal et sage mélancolique, Gérard Manset offre à présent une suite aux clartés crues de Manitoba ne répond plus (2008). Entre tristes éclipses et justes beautés, son nouveau disque, Opération Aphrodite, emprunte cette fois à l’univers du romancier Pierre Louÿs (La femme et le pantin, 1898) et à la «fantasmagorie graphique» du dessinateur de science-fiction René Brantonne. Ainsi, dans une saga musicale et poétique où le présent n’est plus tout à fait ici se déjouent de nouveau l’usure, la limite et «la dictature de la réalité». La bête noire de Manset.

«Opération Aphrodite». De Gérard Manset (Parlophone/Warner). Disponible le 25 mars 2016. Site officiel: www.manset.fr

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