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Benoîte Groult par Catel Muller: la féministe et la dessinatrice

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Jeudi, 14 Novembre, 2013 - 06:00

Catel Muller raconte Benoîte Groult dans «Ainsi soit Benoîte Groult», un roman graphique qui mêle histoire intime et enjeux sociaux avec une rare subtilité.

C’est un coup de foudre d’amitié entre une romancière féministe parisienne qui adore la Bretagne et une dessinatrice de Strasbourg qui s’est posée à Paris. Catel Muller, née en 1964, rencontre Benoîte Groult, née en 1920, en mai 2008: le quotidien Libération lui a demandé de croquer l’une de ses héroïnes dans un reportage dessiné et Catel saisit l’occasion pour rencontrer cette idole de toujours.

En matière de bande dessinée, Benoîte s’est arrêtée à Bécassine et aux Pieds Nickelés mais tombe sous le charme de cette brunette chaleureuse qui travaille alors à un livre sur Olympe de Gouges, auteure en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Suivent cinq années de rencontres entre l’appartement parisien de Benoîte et sa maison de Doëlan en Bretagne, de discussions, de repas, d’échanges épistolaires et téléphoniques pour que prenne forme ce livre formidable de vie, de finesse et de créativité.

Ainsi soit Benoîte Groult ressemble à une commode de son père André, créateur de meubles: un livre à tiroirs multiples, tous plus engageants les uns que les autres. Il raconte les enjeux sociaux des quelques décennies où la vie des femmes, des familles, des rapports amoureux et du monde professionnel a basculé. Et Benoîte Groult – que tout le monde appelait Rosie jusqu’à ce que Benoîte revendique, l’année de son bac, ce prénom certes révélateur du garçon que ses parents attendaient mais tellement moins niais que Rosie – incarne à elle seule, par son parcours de vie, ses écrits, ses combats et sa personnalité, le basculement qu’ont représenté les années 70.

Tribus. On y découvre une femme de tribus: élevée dans celle de ses parents, le designer André Groult et la dessinatrice de mode Nicole Poiret – intime de la peintre Marie Laurencin, personnalité incontournable du Tout-Paris des années 20 version Kiki de Montparnasse, sœur du couturier Paul Poiret –, elle a créé sa propre tribu avec ses maris Georges de Caunes puis l’écrivain Paul Guimard, conseiller de Mitterand de 81 à 86, ses filles Blandine, éditrice et attachée de presse chez Phébus, Lison, artiste marque-teuse de paille, et Constance, peintre, puis ses trois petites-filles actives dans les médias.

Normal: Benoîte Groult, qui a fondé en 1978 le mensuel F Magazine avec Claude Servan-Schreiber, connaît tout le monde, artistes, éditeurs, écrivains, journalistes, et convie Catel dans son monde avec générosité.

Coulisses. Ainsi soit Benoîte Groult invente une forme d’une fluidité extraordinaire, qui navigue entre le présent – la rencontre entre Catel et Benoîte, le livre en train de se faire, l’anniversaire des 90 ans de Groult – et le passé – l’enfance, les amours, l’entrée en journalisme, en militantisme.

Auteure des textes et du scénario, Catel réussit à faire passer dans ses bulles les réflexions et combats de son héroïne sans que cela nuise à la lisibilité et à la vivacité de la narration, superposant avec ironie théorie et pratique, une conférence de Benoîte sur les combats politiques d’Olympe de Gouges à ses problèmes de garde alternée… Cette fluidité offre un sentiment de familiarité unique au lecteur, qui découvre les coulisses de la fabrique à romans graphiques de Catel: la dessinatrice se met en scène à chaque étape de l’histoire, n’éludant rien des doutes de Groult, livrant en brefs reportages leurs journées d’entretiens, les cocktails d’éditeurs où elle traîne son compagnon, Strasbourg où elle emmène son amie en visite chez sa propre mère, ses carnets de notes, leurs cartes postales.

Jeunesse. On entre ainsi par effraction dans la vie d’une femme qui a grandi en petite fille soumise, paralysée par l’impossibilité de ressembler à sa mère, en adoration devant son père qui lui a transmis sa passion de la Bretagne, et s’est découvert une conscience sur le tard pour, dès lors, ne plus se laisser confisquer sa vie.

Et se donner toutes les libertés: celle d’avorter à moult reprises, d’aimer, de divorcer, de coucher avec le frère de son premier mari, mort à 23 ans, pour tenter de lui donner une descendance posthume ou d’envoyer balader son éditeur qui l’avertit qu’elle va «emmerder» tout le monde avec ses «histoires de bonnes femmes» et d’écrire Ainsi soit-elle, à ce jour le livre le plus vendu de sa carrière. Une femme qui s’étonne que l’on soit passé de la «femme libérée» à la «femme reféminisée» du XXIe siècle. Une femme qui n’a jamais été vieille mais dont les proches ont été fauchés déjà: son premier mari Pierre, mort de la tuberculose, sa sœur adorée Flora, morte en 2001, son troisième mari Paul Guimard, mort en 2004.

Le soir de ses 90 ans, ses proches la fêtent au restaurant parisien La Cagouille. Elle y lit un poème intitulé Avec le temps, dédié à son ami Léo Ferré. «Fut un temps / J’avais un époux, un amant. / Non pas le même évidemment / Sans l’un je n’eusse pas aimé l’autre autant (…) / Vint le temps qui allait mettre fin au temps / Du moment où je pénétrai / Dans cet ailleurs des gens âgés / Où l’avenir sans lendemain / Et le passé sans survivants / Me laissaient entre deux néants.»

Deux histoires parallèles surgissent en pointillé d’Ainsi soit Benoîte Groult: celle de Benoîte et Robert, son amoureux d’avant même son premier mari, rencontré sur les bancs de l’université mais dont ses parents ne voulaient pas au vu de ses origines paysannes, retrouvé sur le tard après leur veuvage respectif. Celle de Benoîte et Kurt, un pilote américain rencontré à la Libération qu’elle a refusé de suivre en Amérique mais qu’elle a aimé toute sa vie, le rejoignant de loin en loin au gré de leurs agendas et dont elle a fait un marin de fiction dans son roman Les vaisseaux du cœur. Kurt est mort en 2004, la même année que son mari Paul. Elle garde dans son portefeuille, pliée en seize, une lettre de Kurt reçue à son décès.


Et Benoîte de pleurer dans les bras de Catel en la lui montrant. «On s’est aimés.» Une biographe, ça comprend tout. «Ainsi soit Benoîte Groult». De Catel. Grasset, 330 p.


PROFILS
Benoîte Groult
Née à Paris en 1920, journaliste, écrivaine et militante féministe. Epouse de Georges de Caunes puis de Paul Guimard, elle gagne dès les années 70 une immense popularité grâce à La part des choses, Ainsi soit-elle, Les trois quarts du temps, Les vaisseaux du coeur, puis La touche étoile, qui évoque l’euthanasie, et son autobiographie Mon évasion.

Catel Muller
Née en 1964 à Strasbourg, auteure et dessinatrice, elle publie des albums pour enfants puis pour adultes dès l’an 2000 avec la série Lucie, suivie de biographies sur des destins de femmes comme Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges ou l’actrice Mireille Balin (Dolor). Elle prépare un roman graphique sur Joséphine Baker. 



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Catel / Grasset
J-F-Paga / Grasset
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