Nabil Ayouch met en scène des prostituées de luxe dans un film nécessaire qui a poussé son actrice principale à l’exil.
Il y a dans «Much Loved» beaucoup de fesses qui se trémoussent et de décolletés qui se secouent. Noha, Randa, Soukaina et Hlima vivent à Marrakech, où elles vendent leur corps tout en faisant croire à certains clients qu’elles sont peut-être la femme de leur vie. Elles aiment les orgies qu’organisent les Saoudiens, parce que ceux-ci aiment autant la chair fraîche que l’argent liquide, dont ils les arrosent généreusement. Elles apprécient en revanche un peu moins ces Français qui, parce que leurs billets ont plus de valeur ici que chez eux, se croient tout permis.
Much Loved aurait pu tomber dans le misérabilisme et le voyeurisme. Deux pièges que Nabil Ayouch évite habilement en privilégiant les séquences longues. Ce qui lui permet, en plaçant son film dans la durée, l’étirement et la répétition d’un certain nombre de motifs, de mieux éclairer les rapports entre les prostituées et leurs clients, les premières étant montrées comme des femmes modernes et pragmatiques, tandis que les seconds sont le plus souvent des mâles au comportement machiste – colonialiste, pourrait-on dire aussi –, pour qui la domination passe par l’humiliation.
«Le sexe est fondamental dans la société arabe, notamment la frustration qu’il génère et qui laisse très peu d’espace à l’amour pour s’exprimer, aussi bien dans la sphère privée que publique. Et, en ce sens, les prostituées servent de catalyseur, encore plus qu’ailleurs», explique le réalisateur de ce long métrage saisissant qui, après une première cannoise dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, a déchaîné les passions au Maroc, alors même qu’il y est interdit pour «atteinte flagrante à l’image du royaume».
Violente agression
Ecrit à partir des témoignages de quelque 400 travailleuses du sexe, Much Loved sidère par son approche documentaire et ce qu’il dit d’une société conservatrice, mais où plus les filles sont jeunes, mieux elles vendront leurs charmes. Dans le rôle de Noha, Loubna Abidar est lumineuse. Elle voulait faire ce film parce qu’il est important. Mais elle ne s’attendait pas à être menacée, tant dans les médias officiels que sur les réseaux sociaux, avant d’être violemment agressée en novembre dernier. Elle vit dorénavant à Paris.
Alors qu’il aurait dû lancer un vrai débat sociétal au Maroc, le septième long métrage de Nabil Ayouch a simplement attisé la haine d’imbéciles aux œillères qui se sont offusqués de ses dialogues crus et de quelques scènes de nudité, sans admettre que ce film éclaire un vrai problème. Une preuve, s’il en fallait une, qu’au-delà de ses qualités esthétiques, il était nécessaire.
«Much Loved». De Nabil Ayouch. Avec Loubna Abidar, Asmaa Lazrak et Halima Karaouane. France/Maroc, 1 h 44.
Premières en présence du réalisateur: le 3 mars à Pully (CityClub, 17 h et 20 h) et le 7 mars à Genève (Grütli, 20 h 30).