Installé à Berlin, le rockeur lémanique a signé la b.o. de «L’expérience Blocher» et prépare un opéra. Portrait.
Il a un problème, et il le sait: «Je fais tout à l’arrache, comme un groupe de rock.» Alors qu’approche la création de sa relecture du mythe d’Orphée, il continue de chercher, de se documenter. Car il est comme ça, Christian Garcia. Il aime relever des défis sans forcément prendre le temps de peser le pour et le contre. Cette attitude «à la fraîche», il la doit à ses années punk, lorsque à 20 ans il décide, après une première expérience dans un groupe de hard rock, de quitter Genève pour Lausanne, où il se passe plus de choses. Ses potes l’appellent Enzo, parce que l’un d’entre eux a tagué ce prénom aux relents d’Italie sur son Perfecto.
Incompris. Quand, la trentaine arrivant, il estime qu’il est temps de laisser tomber le rock, un ami chanteur, Christophe Jaquet, des sémillants Radiateurs, le pousse à continuer. «Contrairement à nous, tu sais jouer», lui dit-il. Sa formation est en effet classique – solfège à 6 ans, puis piano, saxophone et guitare. Les deux hommes fondent alors Velma, et recrutent le batteur Stéphane Vecchione. «Je ne sais plus vraiment pourquoi, mais très vite on a eu envie d’avoir sur scène une attitude, de porter des costumes, se souvient Christian Garcia. On aimait les grands morceaux de dix-quinze minutes, de même qu’on jouait avec les silences. Au début, le milieu rock ne nous a pas compris, on nous trouvait prétentieux.»
Dès la publication de son premier album en 1997, Velma décide de mettre sur pied des spectacles où s’entremêleraient musique, danse et théâtre. Rien, même le manque de soutien financier, ne freinera ses ambitions. En 2005, Velma Superstar réunit sur scène une quarantaine de personnes. Le trio joue beaucoup, en France, en Allemagne et en Italie, mais s’épuise et décide, après un ultime spectacle créé en 2007, de se mettre en veille. Entre-temps, Christian Garcia s’est installé à Berlin avec sa compagne et leurs deux fils. Il avait envie de se frotter à une grande ville, pour voir, il y vit toujours.
Un «Orfeo» expérimental. De son travail au sein de Velma, le musicien garde un goût pour la mise en scène qui le verra en 2010 collaborer avec deux théâtres municipaux, à Berne et à Varsovie, dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Chopin. Ces deux commandes lui mettent le pied à l’étrier. En parallèle à ces projets théâtraux, il travaille pour le cinéma. Tout commence à la montagne, autour d’une fondue, lorsqu’un ami, Jean-Stéphane Bron, lui propose d’écrire une musique pour le film qu’il est en train de monter. Celui-ci s’intitule Mais im Bundeshuus et fera beaucoup parler de lui en 2003. Content du résultat, le réalisateur fera à nouveau appel au néo-Berlinois pour Mon frère se marie, Traders et L’expérience Blocher.
Pour ce film, controversé dès l’annonce de son tournage, Jean-Stéphane Bron souhaitait une partition qui ait un rôle de commentaire, qui soit sombre et angoissante. Christian Garcia a aimé travailler en pensant aux films de John Carpenter, mais il ne se considère toujours pas comme un compositeur de musique de film.
Pour l’heure, tout en souhaitant donner une suite au premier album qu’il a enregistré avec l’ex-Toboggan Valérie Niederoest sous le nom de Meril Wubslin, c’est Orphée qui l’occupe. A la fin du mois, il joue à l’Arsenic un Orfeo que l’on devine très personnel et expérimental, avant de présenter en 2014, puisqu’il avait envie d’un triptyque, Othello et Salomé. Il qualifie cela d’opéra. «Je cherche simplement à assumer ce que je fais, sourit-il. Lorsqu’on met en scène de la musique, c’est de l’opéra, non? Et pourquoi faudrait-il que ce terme soit réservé à une élite, qu’on ne puisse pas se l’approprier? Je rêverais que plus de gens issus du rock se lancent dans des performances, cherchent d’autres dynamiques.»
L’appel est lancé. Et Christian Garcia espère vraiment qu’il sera entendu.
«Orfeo». Avec Christian Garcia et Christophe Jaquet. L’Arsenic, Lausanne. Samedi 23 novembre à 21h. www.christiangarcia.ch