Entretien. Acteur de théâtre dont la carrière cinématographique a démarré tard, le Français est à l’affiche de «Baron noir», ambitieuse série politique où il incarne le président de la République.
Qui connaissait Niels Arestrup avant que Jacques Audiard ne fasse appel à lui en 2005 puis en 2009 pour De battre mon cœur s’est arrêté et surtout Un prophète? Au-delà du côté volontairement provocateur de cette question, il est indéniable qu’avant ces deux rôles marquants, qui lui vaudront chacun un césar du meilleur second rôle, le grand public ne connaissait guère cet acteur français d’origine danoise.
Joint par téléphone à quelques jours de la diffusion par Canal+ de Baron noir, une ambitieuse minisérie dans laquelle il incarne le président de la République, il s’en amuse: «J’ai commencé ce métier quand j’avais 20 ans, cela fera donc bientôt cinquante ans… J’ai ainsi de mon côté l’impression d’avoir toujours travaillé. Mais c’est vrai que j’ai fait beaucoup de théâtre, que c’est là que je suis né en tant que comédien, que je me suis développé. Et c’est là où je prends encore beaucoup de plaisir. Disons que le cinéma ne se présentait pas à moi, ou d’une façon un peu plus touristique. C’est la rencontre avec Jacques qui a été déterminante. Grâce à lui, un certain public qui n’allait pas au théâtre ou n’avait pas vu mes autres films m’a découvert tardivement.»
Redoutable efficacité
Niels Arestrup, c’est à la fois une présence et une voix, un physique et un regard. Un acteur qui se révèle particulièrement à l’aise dans les personnages troubles, inquiétants. Après avoir réalisé le drame politique Le candidat et interprété un directeur de cabinet dans le virevoltant Quai d’Orsay, le voilà à l’Elysée. Alors qu’il n’a aucune affinité élective avec le jeu politique, avouet-il. Il invoque plutôt le hasard, les circonstances, avant d’insister: la politique, il compte bien s’en dégager rapidement. Mais pour l’heure, il est bien obligé d’en parler. Et elle a ceci d’intéressant, dit-il, qu’elle nous incite à avoir recours à notre imaginaire pour voir ce qu’il y a sous la pointe de l’iceberg.
«On fantasme sur la politique, on imagine des choses, on aimerait regarder ce qu’il y a dessous. En France, on a longtemps eu beaucoup de mal à oser entrer à l’intérieur de ce milieu très particulier, alors que ça a été souvent fait aux Etats-Unis et ailleurs en Europe, en particulier dans les pays scandinaves. Je ne sais pas si vous avez vu Borgen, qui est une série formidable, magnifiquement réalisée. Baron noir nous permet de rattraper un peu notre retard. Et il s’agit d’un projet très particulier, car il a été coécrit par deux messieurs dont l’un a été conseiller d’un certain nombre d’hommes et de femmes politiques.»
Le Baron noir du titre, c’est Philippe Rickwaert (Kad Merad, stupéfiant de noirceur et de cynisme), maire de Dunkerque et ami proche de Francis Laugier, candidat de gauche à la présidentielle. Le premier épisode démarre lors du débat de l’entre-deux-tours. Tandis que Laugier voit son élection se rapprocher, Rickwaert tente d’étouffer une affaire de détournement de fonds. Ce qui va pousser le néoprésident à le laisser sur la touche, alors que tout le monde le voyait en ministre. Dès lors, Philippe Rickwaert va tout faire pour continuer à exister et contrecarrer les plans du chef de l’Etat…
Baron noir est une série d’une redoutable efficacité, où les non-dits, les mesquineries, les coups bas et les manipulations sont légion. C’est surtout une série politique qui ne quitte jamais le champ de la politique. «Oui, c’est un risque, confie Niels Arestrup. On aurait pu être davantage dans l’émotionnel, dans les relations privées. Mais le choix a été de montrer un président au travail, tiraillé par son désir de faire quelque chose qui marque l’histoire, et qui petit à petit va s’engluer dans ses problèmes personnels.»
L’homme derrière le politicien
Quand on souffle à Niels Arestrup qu’il est étonnant de voir une fiction centrée sur la gauche, alors que les scénaristes aiment plutôt prendre la droite pour cible, il répond: «Ce président de gauche pourrait être de droite. Et dans le fond, l’autonomie du pouvoir est très relative. Sa capacité d’intervention personnelle est limitée, donc qu’il soit de gauche ou de droite, ça importe peu. Et vous savez ce qu’on dit en France en ce moment: que notre président de gauche fait une politique de droite, tandis que les candidats qui vont se présenter à droite ont tendance à tirer un peu sur la gauche parce qu’ils ne veulent pas aller trop près du Front national.»
Ce qui passionne le comédien, c’est «la dimension humaine du politique, le fait que les élus sont aussi, au-delà des apparences, des hommes. Avec des difficultés, des stress et des inquiétudes.» Il se dit également fasciné par leur sens du spectacle: «Il n’y a qu’à voir le pouvoir qu’ont pris les communicants et la façon dont les politiques se présentent face au peuple. C’est du cinéma, du théâtre. Je suis né il y a assez longtemps pour avoir des souvenirs du général de Gaulle et de ses formidables conférences de presse, qui étaient des shows à part entière. C’est surtout cela qui m’a intéressé et amusé dans ce projet. Car, en tant que comédien, je suis un menteur professionnel. Alors, quand je vois des politiciens essayer de nous raconter quelque chose, j’ai tendance à regarder par mon petit bout de la lorgnette et à essayer de trouver les signes qui peuvent trahir, dans le visage ou dans les mains, un simple exercice de style.»
«Baron noir». Série créée par Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon, réalisée par Ziad Doueiri. Avec Kad Merad, Niels Arestrup et Anna Mouglalis. France, 8 x 52 minutes.
Sur Canal+, tous les lundis jusqu’au 28 mars. Sortie DVD le 4 mars.