«Too Old To Die Young», nouvel album,pose le kid dans une nouvelle dimension, et sidère par la qualité et la variété de ses compositions.
Quelque chose s’est endurci. Il a de moins en moins l’air d’un grand jeune homme heureux de ce qui lui arrive. Une sorte de solidité s’est fait jour dans son physique, une confiance en lui qui n’a rien ni de la naïveté ni de la prétention. Il a les épaules, pour dire simple. Il a 22 ans. Et il y a chez Bastian Baker une manière de puissance, désormais. Il vous dit bonjour avec de grandes claques dans le dos. Il vous donne du «man» vaguement new-yorkais à chaque coin de phrase en s’adressant à vous. La beauté lisse de sa jeunesse fait place à l’homme, plus abrasif et insolent, animal presque, barbe de deux jours.
En ce début de soirée de fin d’été, il est comme d’habitude en T-shirt blanc, bermuda gris, bonnet sur la tête, limite hip-hop dans le style. Nous sommes dans un studio du Flon, à Lausanne, et il fait montre d’une décontraction paradoxalement frénétique à l’instant de faire écouter son nouvel album. Il a l’air content de ce disque, bien sûr. Mais son talent le plus vrai est depuis ses débuts dans la griffure du doute qui zèbre d’ombre sa sincérité. Il lui reste cela du sport: on ne peut que donner le maximum, mais cela ne garantit rien, jamais.
Car Bastian Baker est attendu à mille tournants, il le sait. Des cuistres entendent le contenir et l’engluer au rang de bellâtre pop pour fillettes. Imposer sa personnalité demeure un combat. D’autres considèrent comme un coup de bol la martingale de son premier disque, Tomorrow May Not Be Better, sorti en 2011, qui s’est écoulé à 100 000 exemplaires, score incroyable pour le rookie helvète. Et puis, évidemment, il y a le bon vieux piège du deuxième album. Qu’en attendre exactement, funambulant entre redite des premiers hits et volonté d’évolution? La curiosité est énorme, la pression va avec. Il fait semblant de s’en foutre, mais l’excitation est bien là.
Cœur en morceaux. A chaque titre, il explique ce qui lui est passé par la tête. Une drôle de sensibilité affleure, il suit la batterie en martelant des mains ce qui passe devant lui, il mime les solos de guitare, s’ébahit du flow de Rootwords, rappeur invité sur Bewitched.
Côté textes, l’envie de vivre des histoires d’amour fortes, mais de ne pas s’encombrer trop vite de la conjugalité. Alors, il y a des départs, des boucles d’oreilles qui traînent sur les tables de nuit, des portes qui se ferment ou pas, une fille du Canada qui a beaucoup compté, ces derniers mois.
De l’enfance, il dit des déchirements. Dirty Thirty raconte pied au plancher ces trentenaires en train d’exploser leur couple trop vert ou fragile, et c’est le regard perdu du gosse qui en fait une tragédie ordinaire. Kids Off The Streets – un des sommets bouleversants de l’album – est venu de sa rencontre avec des enfants népalais pour une action de bienfaisance, en Suisse alémanique. Il ne voulait pas trop y aller. Et puis il les a vus courir vers lui, son cœur est parti en morceaux.
Au bout d’un moment vient à l’esprit qu’on devrait être plus attentif aux paroles des chansons de Bastian Baker. Il y glisse des secrets. Il y laisse des plaies ouvertes. Il y traîne une générosité aux faux airs fleur bleue qui prend des coups de blues. Il est parfaitement conscient qu’il n’est pas né dans la rue, que la chance – Lucky – est avec lui depuis le début. Mais il fait de sa modestie un regard, une course en avant, un désir d’être le plus vrai possible.
Angelic Studio. Du début de l’album, on retient dès lors une couleur pop-rock assez proche du premier disque, mais en bien plus abouti. Le Vaudois a pris quelques cours de chant: sa voix est nettement mieux posée, forte, présente. Il a enregistré ce disque en s’enfermant dans une ferme isolée de la cambrousse British: l’Angelic Studio, à Brackley. Avec des musiciens du calibre de Fergus Gerrand (batteur qui a croisé Sting ou Madonna), du guitariste Ken Stringfellow ou du bassiste David Levy (un ancien de chez Mike Oldfield). Surtout, le disque a bénéficié de la réalisation d’une légende, Mark Plati, qui a travaillé avec Bowie ou Bashung, rien de moins.
Rupture au milieu de l’album. En douze jours, Baker a ainsi sorti quinze titres, fabriqués presque dans les conditions du live. Car le jeune homme voulait une couleur qui fonctionne ensuite à la scène. Des titres comme You’re The One ou Follow The Line seront des tubes à la Oasis et feront lever les bras des foules, sans doute plus sûrement que 79 Clinton Street, premier single encore trop marqué par les anciens titres. Joli test en vue à Berlin le 3 octobre: Baker sera l’un des invités du Coke Festival of Happiness, où l’on attend une foule… d’un million de personnes.
Et puis – ou surtout – il y a une rupture lente vers le milieu de l’album. Un moment où ce qui pourrait n’être qu’un disque réussi décolle au-delà. Never In Your Town sonne comme du Lennon et ouvre des possibles étonnants. Prime raconte son expérience Danse avec les stars avec un sens du sarcasme absolu. Earrings On A Table est une miraculeuse chanson d’amour. Give Me Your Heart souligne son sens stupéfiant de la mélodie qui accroche du premier coup. Trois titres supplémentaires, acoustiques, seront disponibles sur certaines versions de l’album: elles sont indispensables. Plongeant l’âme nue et en avant dans les risques du vulnérable et de l’émotion crue, Baker laisse aller. On demeure alors pantois devant le talent de ces ballades folk-rock livrées nocturnes et comme en confidence.
Bastian Baker, avec Too Old To Die Young, ne confirme pas: il réussit un éblouissement. Il persiste dans le miracle. Il y a ainsi un moment où tout ce qui ressemblerait par ici à de la condescendance devient terriblement malvenu. Le kid a seulement un talent rare, et il bosse, il cherche sans cesse à toucher au cœur. Le dernier titre de ce disque s’appelle Come Home et c’est la plus belle chanson qu’il ait jamais pondue.
On n’en croit pas ses oreilles, sachant que cette petite chose folk, lâchée juste à la guitare, springsteenienne en ses crépuscules, annonce le meilleur pour les années montantes, et va vous accompagner longtemps. Vous allez monter le son à chaque fois, laissant les yeux s’embuer. C’est le propre des très grandes chansons de devenir votre meilleure amie en trois minutes, avec l’envie de la remettre au début cinq fois de file. Il faut tellement autre chose qu’une belle gueule pour faire ça. Bastian Baker n’est décidément plus un gosse talentueux. C’est un prince.
«Too Old To Die Young». Bastian Baker. Sortie le 27 septembre.