Un film en 3D de Philippe Nicolettémoigne du festival de Montreux 2012, remettant dans l’Histoire la danse ultime de son fondateur. Première à Romont le 28 septembre.
C’est un film émouvant parce que la 3D est ici plus qu’un gadget ou qu’un truc à effet. Elle apporte de la matière, des formes, de l’espace, de la vie en somme. Ceux que l’on voit sur l’écran donnent ainsi l’impression d’être un peu plus là. Surtout celui qui est mort, et qui a nom Claude Nobs.
Music Making History aurait pu être un simple documentaire musical de commande. L’idée est venue de Nobs, qui connaissait le travail et les films que Philippe Nicolet réalise en 3D depuis des années. Le journaliste (il fut l’un des créateurs de la chaîne locale TVRL, ancêtre de La Télé) et réalisateur lausannois, 60 ans, est un pionnier du genre. Passionné de vidéo dès les seventies, il en a toujours cherché les limites, possibilités et nouveautés technologiques. Entre les reportages, les grands entretiens (par exemple Trois bâtisseurs de l’Europe, avec Jacques Delors, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, en 2001), il a ainsi développé une société, NVP3D, spécialisée dans la troisième dimension des images. Cela pour rajouter de l’âme à des films où le relief amène un vrai plus: Syncope en 3D, tourné en 2011 avec le Béjart Ballet Lausanne dirigé désormais par Gil Roman, en fut un spectaculaire et réussi exemple. Et dans les mille vies de Philippe Nicolet, il y a aussi la musique. L’homme fut brièvement chanteur d’un groupe pop durant sa jeunesse, en a gardé un goût sûr pour les notes bleues qui le font chaque été repasser par Montreux.
Trouver l’argent. L’an dernier, Claude Nobs lui dit ainsi qu’il faut «absolument» tourner durant le festival qui vient un «film patrimonial». L’idée est de raconter, en suivant les concerts de la quinzaine, comment le MJF est inscrit dans l’histoire de la musique. Cela en filmant les scènes, mais aussi coulisses et alentours, en faisant témoigner des anciens et des jeunes pousses de l’année. Evidemment, c’était toujours tout de suite, avec Nobs. Et à charge pour Philippe Nicolet de se débrouiller pour trouver un financement garantissant une opération qui se budgétise tout de même à plusieurs centaines de milliers de francs. Il se souvient alors qu’il a réalisé un portrait de l’horloger Michel Parmigiani au début des années 2000. Depuis, Nicolet a toujours gardé un bon contact avec l’entreprise de Fleurier, devenue l’un des sponsors principaux du festival de Montreux. L’enthousiasme, au sein de la manufacture du Val-de-Travers, est immédiat et généreux: c’est grâce à Parmigiani que le film existe désormais. Il sera présenté en première samedi 28 septembre à Romont, au Théâtre Bicubic. C’est dans ce bel espace que Nicolet organise tous les deux ans un petit festival 3D cumulant films, démonstrations et photographies. Music Making History y sera projeté comme le clou de la troisième édition.
Emotion des témoignages. Que nous montre le film? Il s’ouvre sur la fête dans l’Auditorium Stravinski que lance Nile Rodgers avec l’imparable Le Freak. On y voit défiler aussi bien Ian «Jethro Tull» Anderson que Bastian Baker, le formidable Garland Jeffreys, Sébastien Tellier ou le kid étonnant de la pop danoise, Asbjörn: ce dernier, parmi d’autres artistes, sera aussi présent à Romont pour la projection du film. Et quand il saisit leurs prestations, Nicolet a aussi l’intelligence de faire de l’anti-MTV. On prend son temps, on s’attarde pour laisser s’installer la magie.
Cette dernière ne vient pourtant pas seulement des parties musicales. Elles sont aussi les plus classiques, même avec l’excellent effet 3D. Ce qui impressionne davantage, ce sont les moments simples que Nicolet filme autour du festival, sur les quais, avec le public, dans les trains musicaux qui parcourent la montagne, ou sur le lac au son des rythmiques brésiliennes. Et ce qui émeut fort, ce sont les témoignages, de l’impeccable Quincy Jones à une candidate du concours de piano: parce qu’ils racontent la même trace longue, un lien avec le passé, la légende en eux, à Montreux, d’une histoire et d’un demi-siècle de musiques. Le film, conçu aussi pour accompagner la marche des archives du festival vers le classement au Patrimoine mondial de l’Unesco, annoncé cette année, atteint ainsi son but: ne pas seulement montrer, mais faire comprendre une aventure incroyable. Le long métrage poursuivra sa carrière en soutien documentaire à cet honneur international, à travers événements spécialisés et promotion du MJF.
Et puis il y a Nobs, évidemment. On pourra s’interroger encore sur les signes étranges de la fin venant, son envie de ce film encore, le désir de boucler la boucle en pérennisant au mieux les choses. Bref, comme l’on disait naguère, il s’agissait pour lui de mettre ses affaires en ordre. Alors Claude Nobs raconte, monte sur scène fêter et danser, joue de l’harmonica, toujours avec ce sens du blues, de la joie qui fut sa marque. Le dernier entretien qu’il accorde à Nicolet, dans son chalet de Caux, a lieu moins de 48 heures avant la chute en forêt qui le mènera à la mort, et l’émotion prend, en trois dimensions: documentaire, historique et humaine. Dans le jardin de Caux, en juillet 2012, on écoute aussi Billy Branch, le bluesman de Chicago. Il brûle de faire le bœuf avec ses potes dans l’après-midi au soleil. C’est le paradis, et il parle de Claude, il dit ce qu’il croit alors être un simple compliment, mais qui résonne soudain comme l’hommage ultime et la vérité d’une vie: «This guy did that!»
«Music Making History», de Philippe Nicolet, 28 septembre au Bicubic de Romont. Ouverture des portes et démonstrations dès 16 h, projection à 20 h, billets par tél. au 026 651 90 51 et www.bicubic.ch