Antonio Albanese et Stéphane Bovon livrent chacun un livre qui explose tous les cadres narratifs. Jouissif.
Mon premier est un pseudo-journal intime dont chacune des 50 entrées définit un mot donné par le compositeur István Zelenka, ami de l’auteur. Il ambitionne d’être lu comme un dictionnaire du libre arbitre. Mon deuxième est une fable fantastico-alpestre dont le héros, un dénommé Shriptar Ruchet, l’unique dessinateur de bande dessinée de Gérimont, se retrouve à enquêter sur l’assassinat du typographe de la vallée sise entre «Bretaye» et «Liezun». Mon tout? Deux livres de la rentrée d’automne suisse inclassables, complexes, denses, «irrésumables». Pour tout dire: illisibles, mais qu’il faut lire pour le formidable souffle de liberté qui s’en dégage.
Antonio Albanese et Stéphane Bovon, tous deux nés Vaudois en 1970, touche-à-tout hypercréatifs dans le domaine de la musique pour l’un, de l’édition et du dessin pour l’autre, explosent les formes traditionnelles du roman, tant sur le fond que sur la forme, typographie comprise. Gérimont, publié par l’audacieux Olivier Morattel, se présente comme le premier tome d’un «cycle baroque, épique et popomoderne».
Il est question d’un petit village au milieu des sapins qui vit en autarcie et selon des règles immuables – poussant le délire ubuesque jusqu’à élire tous les cinq ans un roi tyran – jusqu’au jour où l’un des leurs est retrouvé troué d’un coup de fusil. Le commissaire de la grande ville est appelé à la rescousse, semant la zizanie dans le tableau idyllique. Le style, mélange brouillon mais savoureux d’expressions romandes, de tournures littéraires et d’humour potache, se met au service d’un contenu hétéroclite où l’on trouve de la mythologie, de la satire politique, de la science-fiction, des revendications identitaires et du cauchemar fantastique – ainsi le phénomène de zombification qui frappe les habitants qui ne font pas assez fonctionner leur cerveau.
Derrière le long titre du livre d’Antonio Albanese, Est-ce entre le majeur et l’index, dans un coin de la tête que se trouve le libre arbitre?, se cache une histoire d’amitié – celle qu’il porte au compositeur István Zelenka – et une histoire d’admiration – celle qu’il porte à un autre compositeur, John Cage, à qui il a rendu hommage l’an dernier via l’EnsemBle baBel, dont il est le guitariste. Entre le 23 août et le 12 octobre 2012, entremêlant dialogues, poèmes, citations, réflexions et souvenirs, Albanese s’est livré à un exercice d’équilibrisme intellectuel et poétique, militant pour la création d’une association pour le dépoussiérage de la langue à l’aide autant de Marcel Duchamp, Hugo, Thoreau ou Platon. Sans oublier le père Noël.