Rencontre. Organisateur d’une bourse aux disques, le Vaudois Christophe Pulfer est devenu au fil du temps un spécialiste du marché du vinyle, lequel connaît une renaissance inespérée.
Le disque compact, cette petite galette dénommée CD et permettant de stocker plus d’une heure de musique sur une seule face, allait enterrer ce bon vieux vinyle, un format d’un autre temps, disait-on au milieu des années 80. Or, voici qu’à l’heure où ledit CD meurt à petit feu, assassiné dans un premier temps par la possibilité de le copier, puis par le téléchargement et enfin par les plateformes d’écoute en ligne, le vinyle est, lui, en train de connaître une renaissance quasi inespérée, pour la plus grande joie des disquaires indépendants, qui, à l’inverse des grandes enseignes, n’ont jamais véritablement cessé de croire en lui.
Christophe Pulfer fait partie de ceux qui ont toujours acheté et écouté du vinyle, sans se soucier des modes. Aujourd’hui responsable du marché romand pour la société Swiss Addict (CD Mediacting), basée à Saint-Sulpice et spécialisée dans la fabrication de CD et DVD, et bien entendu de vinyles, ce Vaudois qui a connu les grandes heures du disque compact, lorsqu’il travaillait au sein de la major EMI, est, au fil des années passées à fureter dans les bourses aux disques et les boutiques spécialisées, devenu un spécialiste du 33 tours. Car il y a vinyle et vinyle. «Il m’a fallu dix ans pour tout comprendre des Beatles», glisse-t-il en guise d’exemple. Forcément, le Fab Four reste un groupe très recherché dans le marché de l’occasion. Mais attention, ce n’est pas parce qu’on peut lire «The Beatles» sur une pochette que le disque qu’elle contient est précieux.
Éditions suisses recherchées
Christophe Pulfer explique que les titres qui ont le plus de valeur sont les premiers pressages. Or dans les années 60-70, il arrivait qu’un album soit pressé une seconde fois quelques jours après sa sortie, puis encore un ou deux mois plus tard. Sans parler des rééditions futures. Mais seule une première édition mérite, si on simplifie, d’être vendue au prix fort. Restent les pressages originaux, comme ceux spécialement réalisés pour le marché américain, qui eux aussi sont très demandés. «Et en ce qui concerne les Beatles, les collectionneurs recherchent activement les éditions suisses, qui possédaient des pochettes différentes. Mais il n’en existe que peu de copies, qui valent donc très cher, parfois plusieurs milliers de francs.»
Christophe Pulfer, dont la passion pour la musique est un héritage paternel qu’il a ensuite affiné en travaillant comme bénévole pour le Montreux Jazz, date le retour en force du vinyle à la deuxième moitié des années 2000. Tandis qu’en Grande-Bretagne le secteur a encore affiché une hausse de 30% l’an dernier, il a généré aux Etats-Unis un chiffre d’affaires de 340 millions de dollars. Signe qui ne trompe pas, la plupart des nouveautés sont désormais disponibles en vinyle. Quant aux rééditions, elles sont légion, comme récemment une intégrale Queen, dont certains albums n’avaient jamais été repressés. Difficile, dès lors, de se repérer. Christophe Pulfer met d’ailleurs en garde les jeunes qui se lancent avec patience dans l’élaboration d’une collection: «Depuis 2008 environ, les prix ont tendance à s’envoler. On trouve dès lors de tout. Certains vendeurs profitent de l’engouement général et vendent certains albums bien trop cher. Le plus simple, avant d’acheter un disque, c’est d’aller faire un tour sur le site Discogs, qui est un bon indicateur sur les prix du marché. Il faut également toujours vérifier son état, le sortir délicatement de sa pochette afin de voir s’il n’est pas rayé.» Et en cas de doute, le meilleur moyen de savoir si vous avez bien entre les mains un premier pressage, c’est de contrôler son numéro de référence.
Marges plus intéressantes
Objet de passion, le vinyle est aujourd’hui un support essentiel pour un jeune groupe en début de carrière, estime Christophe Pulfer. Car si un CD est une carte de visite encore indispensable, un vinyle est en effet un objet qui se vend bien lors des concerts, et qui permet en outre des marges plus intéressantes. Mais attention aux délais, prévient-il, car il faut bien compter deux mois pour fabriquer un disque. D’autant plus que les unités de pressage sont devenues rares en Europe, contrairement aux Etats-Unis où chaque année il s’en ouvre de nouvelles. Et dire, comme le rappelle le Vaudois, qu’au début du XXe siècle on comptait six presses entre Yverdon-les-Bains et Grandson. «Elles étaient reconnues dans le monde entier grâce à des 78 tours dont l’épaisseur était garante d’un son extraordinaire.» Aujourd’hui, il n’existe plus aucune grande presse en Suisse.
Vouloir fabriquer son disque en Europe de l’Est est certes moins cher, poursuit Christophe Pulfer, mais il faut prendre en compte les frais de douane et de transport, sans parler des problèmes engendrés en cas de problèmes, par exemple au niveau du graphisme. «Et attention aussi au master, qui doit être différent pour un vinyle que pour un CD. Il en va de même dans le marché de la réédition. Si un vinyle est un simple transfert à partir du son d’un CD, ça ne vaut pas la peine. Il faut que la bande mère ait été retravaillée.»
Tout pink floyd
A 53 ans, Christophe Pulfer possède entre 5000 et 6000 disques, CD compris. Plus un stock constant de 2000 titres qu’il propose à la vente, comme prochainement à l’occasion de la Bourse aux disques Riviera-Chablais, qu’il organise à Villeneuve. Une manifestation très courue des collectionneurs, qui viennent parfois de loin pour tenter de dénicher l’objet de leurs désirs. Dans son stock, des raretés, mais aussi des classiques, comme le catalogue complet de Pink Floyd, qu’il aime avoir constamment à disposition. «Ce qui me réjouit, glisse-t-il, c’est de voir mes clients rajeunir. Lors de la première édition de la bourse, ils avaient la plupart entre 40 et 60 ans. Mais depuis quelques années, il y a de plus en plus de 16-25 ans, dont beaucoup de filles qui savent souvent exactement ce qu’elles cherchent. Pour beaucoup, écouter pour la première fois un vinyle a été une révélation. J’aime dire qu’au niveau du son, un MP3 est monochrome, un CD noir et blanc, tandis qu’un vinyle est proche de l’arc-en-ciel.» Ce qu’on lui demande le plus? Les standards du rock, du jazz et du blues, mais aussi du métal, du funk ou les premiers enregistrements hip-hop.
A l’heure du téléchargement à tout va et de la dématérialisation des supports, le vinyle est une sorte de valeur refuge, pourrait-on dire. En posséder, en écouter, c’est considérer que la musique est un art, et pas seulement source de divertissement. Cette grande galette noire a de beaux jours devant elle.
7e Bourse aux disques Riviera-Chablais, Villeneuve (salle du Collège du Lac). Le 22 novembre dès 9 h.
Trois raretés parmi d’autres
Un disque que Christophe Pulfer cherche encore, un deuxième qui fait sa fierté et un troisième qui est très demandé: le marché du vinyle en trois disques emblématiques.
Led Zeppelin, «Led Zeppelin» (1968). Dans son premier pressage anglais, le premier album du groupe de Robert Plant et Jimmy Page possédait un lettrage turquoise qui en fait une sorte de Graal pour les amateurs de rock. «J’ai toujours espoir de l’acquérir un jour», soupire Christophe Pulfer.
The Mothers of Invention, «Mother’s Day» (1973). Cette compilation double LP du groupe expérimental organisé autour de Frank Zappa est sortie en Allemagne uniquement, sur le label Metro. Elle est connue pour sa pochette proposant une photo réalisée par Zappa lui-même. «Il m’a fallu de nombreuses années de recherches avant de mettre la main dessus dans une bourse aux disques.»
David Bowie, «The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars» (1972). Le premier pressage anglais de cet album mythique connaît un net regain d’intérêt de la part des amateurs de vinyles. Peut-être est-ce dû, estime Christophe Pulfer, à la sortie il y a deux ans d’un nouvel album du chanteur. «Il est toutefois difficile aujourd’hui de trouver ce pressage, d’autant plus avec un album et une pochette en bon état.»