Zoom. Le Japonais poursuit son exploration de l’intime avec «Notre petite sœur». Chez lui, les émotions passent par les scènes de repas.
Christophe Pinol
S’il y a un cinéma capable de nous faire saliver, c’est bien le japonais. On se souvient des ramen de Tampopo (Juzo Itami, 1985), des repas en famille chez Yasujiro Ozu, un verre de saké toujours à portée de main, du festin qui transforme en cochon les parents de l’héroïne du Voyage de Chihiro (Hayao Miyazaki, 2001) ou, dans un autre registre, de l’œuf dur de L’empire des sens (Nagisa Oshima, 1976).
Rien de plus normal, cela reflète simplement un aspect primordial de la culture nipponne. Hirokazu Kore-eda ne fait pas exception à la règle. La nourriture a toujours été un élément essentiel de ses films, que ce soit les tempuras de maïs frit de Still Walking ou les takoyaki d’I Wish, ces boulettes de pieuvre dont se goinfraient les gamins héros du film. Mais il n’avait encore jamais poussé l’art de la table aussi loin qu’avec Notre petite sœur. Maquereaux frits ou marinés, curry de fruits de mer, toasts aux alevins ou bento avalé sur le pouce… c’est à un véritable festival de saveurs qu’il nous convie. Pour autant, il ne s’agit pas à proprement parler d’un film sur la nourriture.
On y découvre trois sœurs adultes à l’enterrement de leur père qui les avait abandonnées il y a quinze ans. Elles font alors la connaissance de leur demi-sœur, Suzu, 14 ans, et acceptent de l’accueillir dans leur grande maison familiale. Là où certains cinéastes placent des scènes d’exposition, Kore-eda préfère glisser un déjeuner ou une scène en cuisine. «J’ai conçu les repas comme des flash-back, nous explique-t-il. Manger appelle le souvenir des êtres disparus pour les sœurs. La notion du temps qui passe dans cette maison est très importante aussi. C’est la liqueur de prune, que les sœurs laissent reposer toute l’année, qui le symbolise.»
Tiré d’un Manga
Le film s’interroge ainsi avec beaucoup de grâce sur les liens qui unissent vivants et morts, les choix d’une vie, les blessures que l’on porte… Fin observateur de l’univers familial, le réalisateur de Tel père, tel fils a tiré son film d’un roman graphique, Kamakura Diary (six volumes traduits en français), où il a retrouvé ses thèmes de prédilection. Amour pour la nourriture compris. «La recette des toasts aux alevins était déjà dans le manga. Les alevins, ça se cuisine de manière très traditionnelle au Japon, pas comme ça. Je suis gourmand et cette façon de les apprêter m’intriguait beaucoup.»
Une Déesse aux fourneaux
La préparation de ce plat, comme tous ceux du film, est l’œuvre de Nami Iijima, une des meilleures stylistes culinaires du pays. Le moindre de ses livres de recettes se transforme en best-seller et elle travaille beaucoup pour la pub et le cinéma. Pour Kore-eda, elle était sur le plateau dès le petit matin, préparant avec minutie l’arrangement d’une table ou corrigeant la gestuelle d’un acteur aux fourneaux. «Tout mon travail est une affaire de timing, explique-t-elle. Au Japon, la volute des plats est très importante dans les films. C’est ce qui va faire saliver les spectateurs. Il faut donc que mes plats soient prêts exactement au moment de tourner.»
Comble du raffinement, celle qui cite volontiers Le festin de Babette comme son film favori pousse parfois le luxe jusqu’à mitonner ses plats en fonction des personnages. «Pour des onigiri, par exemple, ces boulettes de riz agrémentées d’une feuille d’algue, leur taille, leur forme ou la façon dont l’algue est enroulée autour va me permettre d’exprimer la provenance des personnages ou d’y glisser un trait de caractère.»
Mais le menu, c’est Kore-eda qui s’en occupe. En repérages, il goûte en général à toutes les spécialités locales et en garde certaines en tête pour les inclure dans le film. «Là, c’était différent, glisse le réalisateur. Le film se déroule sur une année et j’ai surtout tenu à respecter les saisons. Les aliments qui en découlent – la pêche, la floraison et la cueillette – mais aussi les états d’âme des personnages.» Résultat? Un long métrage qui donne envie de se ruer dans un restaurant japonais. Pas seulement pour satisfaire notre palais, mais aussi pour tenter de prolonger la tendresse et la douceur du film.
«Notre petite sœur». De Hirokazu Kore-eda. Avec Haruka Ayase, Masami Nagasawa, Kaho et Suzu Hirose. Japon, 2 h 08. En salle à Genève et à Lausanne dès le 11 novembre.