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«J’ai tué pour me détruire»

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Jeudi, 24 Septembre, 2015 - 05:46

Rencontre. Condamné à treize ans de prison pour avoir abattu un homme, le Genevois Tshery Capela, cousin du célèbre basketteur Clint Capela, raconte sa vie dans un livre poignant.

Sabine Pirolt

Au bout du fil, la voix est virile et calme. Le rendez-vous est pris, un mercredi après-midi d’été, à la gare de Cornavin. Tshery Capela, colosse d’un peu moins de 2 mètres, attend sagement dans le passage sous voie. Sa poignée de main est douce, l’homme est souriant et décontracté. «Je suis un physique qui peut impressionner, mais à l’intérieur c’est affectueux et très sentimental», écrit-il dans la première phrase de son livre de 362 pages* qui raconte sa vie, de son enfance à sa libération conditionnelle de prison, voilà deux ans. Condamné à treize ans de prison pour lésions corporelles graves et meurtre par dol éventuel, ce père de famille de 32 ans a finalement passé huit ans et huit mois derrière les barreaux. Son cousin n’est autre que Clint Capela, le célèbre basketteur né à Genève, qui joue en NBA pour le club texan des Rockets de Houston (voir l’encadré en page suivante).

Le récit de sa vie est poignant et fait penser, par sa forme, à du slam. Dès la première phrase du prologue, le décor est posé. «Dans une famille pauvre, je suis né. Entre les coups de père et de mère, j’ai grandi. Un modèle paternel, j’en avais un, mais je ne voulais pas être comme lui, alors je me suis formé seul.» Son intention n’est pas de se justifier. «Je ne cherche pas des excuses ou des explications. Des jeunes en galère vont peut-être se reconnaître. Si je peux en secourir un, ça suffit. Je n’ai pas besoin d’aider toute la population.» De fait, son récit est édifiant.

Le quart-monde à Genève

Né en Angola, Tshery est âgé de 3 ans lorsqu’il débarque à Genève en compagnie de sa mère. Elle a 20 ans et vient rejoindre le père de son enfant, un Angolais de quatre ans son aîné. Il boit. Très vite, les coups pleuvent, sur les deux. «C’était des gifles, des coups de ceinture, de poing, de pied, des étranglements, la tête entre les mains qu’on tape contre le mur, pour ma mère et moi, comme si nous n’étions rien.» Aujourd’hui encore, il se demande pourquoi personne ne bougeait, alors que tout le monde entendait. «Mon objectif était de lui rendre ses raclées un jour, lorsque je serais assez grand.» Le couple aura encore trois autres enfants. Pourquoi sa mère a-t-elle mis plus de vingt ans pour quitter cet homme violent? «Il la menaçait de tuer ses enfants avant de se tuer.»

Le petit Genevois grandit tant bien que mal, sans anniversaire, sans cadeaux de Noël, sans parents qui le poussent à aller à l’école, parfois sans électricité et le ventre vide. Les dix-heures, il n’en reçoit pas, alors il les chaparde dans le sac des autres. «Je n’ai pas grandi avec des bisous et des câlins. Les semaines sans problème étaient rares.» Il rencontre des inspecteurs et une juge à 11 ans, après un vol un peu plus important que les autres. L’adolescent enchaîne les larcins, les bagarres et les foyers pour mineurs. «J’ai beaucoup fugué. Quand tu pousses les éducateurs à bout, ils n’en peuvent plus et te laissent partir.» A la sortie de l’école, sa mère veut qu’il fasse un apprentissage d’électricien. Lui rêve de devenir vendeur en textile, un métier «pour les femmes» aux yeux de ses parents. Il arrête son apprentissage au bout de six mois, s’inscrit dans une école de commerce, mais cesse rapidement de fréquenter les cours.

Tshery a 16 ans lorsqu’il tombe fou amoureux de celle qu’il appelle Lucinda. Deux années passent. Le jeune couple veut un enfant. Les problèmes commencent lors de la grossesse. Le jeune homme ne travaille pas et le couple vit chez la mère de Lucinda, qui est serveuse dans un pub. Il la trompe. Le bébé naît en août 2001. Les disputes s’enchaînent comme les ruptures. Tshery voudrait être en contact avec son fils. «A 19 ans, j’habitais chez ma mère et j’attendais l’argent de l’hospice. A l’époque, je recevais 1000 francs par mois. Ça allait très bien pour vivre. Ça rend flemmard et ne pousse pas à travailler. Je ne faisais rien: je buvais des bières et je squattais avec les potes. Je ne pensais pas à l’avenir.» Quelques mois après la naissance de son fils, Tshery apprend la relation de sa copine avec l’un de ses amis, qui s’est installé chez elle. La nouvelle le détruit. «J’avais le cœur foutu, séché. J’avais tellement mal. Je ne sentais plus mes jambes lorsque je marchais.» Le Genevois boit de plus en plus, mélange alcool et drogue. «J’avais envie de tuer la souffrance en moi. J’ai même mis le feu à mes cheveux. Je voulais mourir, mais je n’y arrivais pas.»

C’est dans cet état d’esprit, proche du suicide, qu’une nuit de juin 2004, Tshery Capela est devenu le bras armé d’un copain, «Julien le Suisse», un Africain naturalisé, qui voulait se venger d’un homme qui lui avait «planté» un couteau, trois ans auparavant.

Bras armé désespéré

Cette soirée du 12 juin, ses «copains» l’invitent à aller boire des bières. «Plus tard, en lisant le dossier, j’ai appris qu’ils étaient venus me chercher pour taper sur le mec qu’ils avaient repéré dans une fête de mariage, à Renens.» C’est ce qu’il fera, avec les trois autres. «Lorsque je suis arrivé à l’endroit où ils l’ont chopé – ils couraient plus vite que moi –, il ne bougeait plus. Je lui ai quand même mis un coup de pied. Je ne pouvais pas être là et ne rien faire. C’est l’effet de groupe.»

L’histoire aurait pu s’arrêter là, les quatre hommes être condamnés pour lésions corporelles graves. Sauf qu’un autre gars, qui avait eu la mauvaise idée de passer un moment avec la victime, était dans les parages. «Julien lui reprochait d’avoir rigolé avec celui qui lui avait planté un couteau.»

Ivres, Tshery et ses copains embarquent le malheureux Africain et partent chercher une arme. Des connaissances leur prêtent un pistolet-mitrailleur. «J’ai dit à Julien: «Je suis prêt.» Je voulais me mettre en avant et j’étais excité en voyant l’arme. Je ne pensais pas aux conséquences.» Dans la voiture, ils fracassent une bouteille sur la tête de celui qu’ils ont embarqué. «C’était une connerie, il n’avait pas fait grand-chose.» C’est en le déposant devant un hôpital, à Genève, que se produit l’impensable. Alors que le blessé sort de la voiture, Tshery le vise et lui tire dessus. «J’ai fait ça pour impressionner les autres. Sur le moment, ça ne m’a pas fait bizarre. Je ne l’ai pas vu chuter, j’ai juste entendu le souffle du mec. On est partis en trombe.» Qu’a-t-il fait les heures suivantes? «J’ai ruminé sur la soirée.»

La police remontera les traces des quatre criminels grâce à des témoignages de passants et au recoupage des informations qu’ils ont déjà sur les protagonistes. Suivra l’arrestation musclée de Tshery à son domicile, son interrogatoire au poste de police, les aveux, le procès, que le Genevois décrit de l’intérieur, et enfin la prison.

Le jeune homme ne se rendra compte de la gravité de ses actes qu’une fois l’enquête terminée, en consultant le dossier. «Quand j’ai vu les photos du défunt allongé à la morgue, j’ai commencé à pleurer et à dire: «Qu’est-ce que j’ai fait?!» Aujourd’hui, il regrette tout, mais pas la prison, qui lui a permis de faire son livre. «Je l’ai écrit pour que les gens voient comment ça commence et comment ça se termine.» La prison lui a également permis de faire une pause «pour remettre [sa] vie en ordre». Il en est ressorti plus fort psychologiquement, mais ce n’est pas le cas de tous. «La haine peut détruire complètement une personne. Et, sans contacts avec l’extérieur, on est foutu.» Et le temps passe-t-il vite? «Au début, ce n’est pas long. Mais au bout de la quatrième année j’en avais marre. On peut se faire des amis en prison, mais quand ils partent, ça fait mal.»

L’auteur consacre une partie importante de son livre à sa vie derrière les barreaux. «Très vite, tout le monde sait ce que tu as fait. Celui qui a tué est tout en haut. Le pédophile ou le violeur est tout en bas.» Il séjournera dans plusieurs établissements, au fil de ses révoltes. Il garde un très mauvais souvenir de Bochuz, où «tout est fait pour te détruire psychologiquement. Dans cet établissement, certains membres du personnel se donnent le droit de nous traiter plus bas que terre. Pour sortir de la cellule d’isolement, afin d’aller à la douche ou à la promenade, les menottes dans le dos suffisent. Mais les chaînes aux pieds, dans un établissement hautement sécurisé, c’est uniquement pour rabaisser un homme.» Il aperçoit des détenus turbulents se faire administrer, contre leur gré et sur avis psychiatrique, des doses massue de neuroleptiques en intramusculaires, histoire de les rendre plus dociles. «Quand je les voyais, j’étais triste pour eux, car ils marchaient au ralenti, sans se rendre compte qu’ils se bavaient dessus.»

Dans un épisode surprenant, le Genevois décrit son amour fou pour une gardienne de 26 ans qu’il appelle C., «une femme d’une beauté éblouissante, avec des courbes généreuses, majestueuses, dignes de ce nom». Aujourd’hui encore, il n’arrive pas à comprendre comment il a réussi à la séduire.

Le pays a changé

Evidemment, les occasions de se retrouver furtivement dans les bras l’un de l’autre sont rares. «Dès que nous le pouvions, nous en profitions au maximum.» Il lui écrit de longues lettres qu’il lui donne en douce. Elle met sa voiture à un emplacement précis, pour qu’il puisse la voir depuis sa fenêtre, provoque le contact du trousseau de clé lorsqu’elle passe devant sa porte, met un peu de son parfum sur un des chouchous qu’elle lui a donnés. Leur histoire ne durera que quelques mois; Tshery est transféré aux Etablissements de la plaine de l’Orbe. Le couple continue de se téléphoner. Mais la jeune femme est bientôt aux abonnés absents. Elle ne répond même plus à ses lettres, car elle a eu des ennuis avec ses supérieurs. Désespéré par ce silence, le détenu enverra sa mère la trouver. La jeune femme confirmera les pressions subies pour couper tout contact avec lui.

La sortie de prison de Tshery Capela se fait dans la douleur: dehors, il n’a plus de repères et se sent complètement perdu. «Ça a été un choc. Le pays avait changé, la droite était en progression. Je ne connaissais pas l’UDC et, tout d’un coup, ce parti prenait de l’importance. J’ai également fait connaissance avec les smartphones. J’en étais resté au portable à clapet…»

Aujourd’hui, Tshery Capela a pardonné à ses parents. «Ils n’avaient pas la maturité pour vivre ici», glisse-t-il sans jugement. Coté cœur, il a trouvé une compagne et est père de deux garçons en bas âge. «Je suis très heureux en famille. Sans entourage, c’est la récidive à 100%.» Titulaire d’un permis C, c’est grâce à ses enfants qu’il n’a pas été renvoyé en Angola. Côté travail, la situation est plus difficile. «Quand tu as un casier, ça se ferme de partout. J’ai un gros trou dans mon CV. Je n’ai travaillé que quelques mois dans une fondation et une association. Mon rêve? Faire des travaux de jardinage: tondre des pelouses, élaguer des arbres et être un citoyen comme les autres, qui donne son opinion.»

* «Un homme emprisonné, libre de ses maux».
Ed. Mélibée.
www.tshery-capela.com
www.helm-le-livre.com


Clint Capela, basketteur surdoué

Après le Vaudois Thabo Sefolosha, le Genevois Clint Capela, 21 ans, est le deuxième basketteur suisse à avoir réussi l’exploit de jouer en NBA (National Basketball Association). Le père de Clint est le grand frère de celui de Tshery, mais les deux cousins ne sont pas proches, au dire de Tshery Capela, qui ajoute: «La famille a mon livre. Clint sait que j’étais dedans. Il ne veut pas forcément se mélanger avec quelqu’un qui a fait de la prison.»

C’est en 2014 que le sportif de 2 m 08 et 109 kg a intégré les Rockets de Houston (Texas). Comme il l’explique dans une interview télévisée, il a commencé le basket à Meyrin. Il a alors 13 ans. «C’est mon frère qui y jouait. Il a décidé de m’inscrire.» Tout va alors très vite. L’adolescent est déjà plus grand que les autres, et mobile. Au dire de l’un de ses deux grands frères, cet enfant sage est pourtant plutôt foot et jeux vidéo. Il progresse à grande vitesse et est déjà intégré à l’équipe de Suisse des moins de 16 ans lors de sa deuxième année au club genevois. Pas de doute, le Genevois a le basket dans la peau. Il est âgé de 15 ans lorsqu’il part en France pour rejoindre le club professionnel de Chalon-sur-Saône, où il séjournera en internat. Il y passe quatre ans en sport-études et une année chez les professionnels, avant de participer à un camp aux Etats-Unis, où il progresse énormément. Les Rockets s’intéressent à lui, mais dans un premier temps lui demandent de continuer sa formation durant un an encore en France. Ils se raviseront et, après le refus d’un autre joueur américain censé rejoindre leurs rangs, le club texan paiera l’indemnité de transfert maximale prévue par la NBA, soit 500 000 dollars, pour le faire venir. Après des allers et retours par la Ligue de développement (un championnat secondaire), Clint Capela a joué en finale de la Conférence ouest contre les Warriors de Golden State en mai 2015. Aujour-d’hui, le jeune homme touche un salaire de 1,189 million de dollars. «Avec le statut de NBA, il faut que je sois un modèle et que je fasse attention à mon image», expliquait-il encore lors d’un passage au Swiss Allstar Basketball Camp de Zofingue, cet été.

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