Dès octobre à Genève, il donnera un atelier d’écriture. L’occasion de parler avec lui de la place de l’écrivain, et de la manière d’enseigner la langue au centre de tout.
A partir du 7 octobre et jusqu’en décembre, Philippe Djian animera pour la première fois un atelier d’écriture à Genève. Ces cours (6 fois 4 heures, pour un tarif de 1500 euros) «hors les murs» parisiens, donnés sous l’égide des ateliers de la NRF des Editions Gallimard, avec le discret soutien du banquier genevois Thierry Lombard, démontrent aussi que, là comme ailleurs, l’offre suit la demande. Celle pour apprendre à écrire, quelles qu’en soient les motivations, ne cesse d’augmenter.
En Amérique du Nord, il est habituel qu’un écrivain ait passé par un apprentissage. En France, les muses demeurent privilégiées. Comment le ressentez-vous?
Aux Etats-Unis, c’est plus que normal, mais presque indispensable, d’être passé par un cours de creative writing. John Gardner, superbe écrivain américain, fut le professeur de Raymond Carver, qui était lui-même le prof de McInerney. Ces gens-là travaillent dans la logique de l’éveil. Attiré par l’écriture, on peut apprendre à structurer sa pensée.
Car évidemment, il ne s’agit pas simplement d’apprendre à écrire. Je ne peux pas avoir la prétention de dire: «Je vais faire de vous un écrivain.» Je peux essayer d’orienter, corriger des erreurs. Pourquoi démarrer un paragraphe comme ça? Ou faire des phrases de cinq lignes? Poser ces questions ne veut en plus pas encore dire qu’il ne faut pas le faire. Si l’on tombe sur un petit Proust, qui fait dix pages pour une phrase, il faut essayer de découvrir pourquoi ça lui convient, comment il s’exprime. La ponctuation, aussi. Comprendre que bouger une virgule change le rythme et l’équilibre. Quelle est la bonne position? Cela dépend des personnalités, et c’est presque un exercice de psychanalyse.
Mais vous, personne ne vous a appris?
Non. C’est vrai de la plupart des écrivains français, d’ailleurs. Je n’en ai jamais rencontré un qui me dise: je n’ai pas de style. Ils pensent tous qu’ils en ont un; alors que, pour nombre d’entre eux, ils n’ont aucun style, et ne se sont même jamais vraiment posé la question.
Si j’avais eu Raymond Carver devant moi, j’aurais été plus vite. Etre autodidacte est toujours plus long. Qui vous corrige? Je ne voulais pas qu’on touche à mes textes, mais c’était plus une histoire d’ego. Je me rends bien compte que j’aurais commis moins d’erreurs. Par exemple, il m’a fallu longtemps pour comprendre que c’était plutôt la langue que l’histoire qui m’intéressait.
Vous allez former des clones de Djian?
Je serais bien incapable d’expliquer à quelqu’un comment faire du Philippe Djian. Il s’agit surtout de savoir ce que les gens veulent écrire: livres? Séries télé? Chansons? Cela ne s’attaque pas de la même manière. C’est une maïeutique, en creux. On parle plus d’éliminer des défauts que d’apprendre à écrire. Et il faut y mettre de l’énergie. Si tu n’as pas le temps, ça ne vaut pas la peine.
Pourquoi de plus en plus de gens souhaitent-ils se mettre à l’écriture?
J’ai reçu déjà pas mal de lettres d’intention. Il y en a un, par exemple, qui n’a pas du tout envie d’être édité. Il veut raconter sa vie à ses enfants. D’autres veulent gagner du fric: ils s’imaginent en scénaristes télé, avec ensuite un bureau à Canal+. Tout cela m’intéresse, tout est également valable. Un gars se pointe devant moi en donnant 1500 euros, je vais chercher d’abord ses motivations. Ils doivent se révéler en tant qu’êtres humains. Pourquoi écrire? Pour être célèbre, draguer la fille d’à côté? Pour l’ego? Pour ne pas se suicider? Il faut comprendre cela, et souvent on ne sait pas, surtout au début. J’attends qu’ils me surprennent. Qu’ils me montrent des choses. Le cours s’intitule «Marcher sur la queue du tigre». Ça annonce la couleur. Si j’ai des nuls en face de moi, mon cours sera nul. Si vous êtes bon, on fera quelque chose de bien.
Professeur Djian, pour quelqu’un qui s’est longtemps mis en travers de l’establishment, ça vous donne un côté notable, non?
Nous vivons tous dans une sorte d’incommensurable farce, pas vrai (rires)? Mais j’aime ce que je fais. Ecrire, c’est tout de même mieux que spéculer sur le riz.
Avec le temps, il y a l’envie de transmettre?
Je trouve cela très important. Comme Leonard Cohen, qui dit être devenu un passeur: l’émotion de ses chansons peut désormais transiter à travers d’autres gens. Les livres, c’est la même chose. Mais on ne passe pas un style: il est condamné à vieillir. La place de l’écrivain dans la société, oui, on peut en parler, la faire comprendre. Je n’usurpe pas un rôle. J’espère transmettre une attitude.
Renseignements et contact pour l’atelier: www.ateliersdelanrf.fr/atelier-ecriture-djian.htm
ATELIER D'ECRITURE
La belle profusion de Suisse romande
Depuis quelques années, les possibilités de formation en écriture, voire en littérature, n’ont cessé de se multiplier en Suisse romande. La plus importante demeure le Bachelor of Arts en écriture littéraire de l’Institut littéraire suisse de Bienne, qui existe depuis 2006 (www.hkb.bfh.ch/fr/etudes/bachelor/baliteratur), et par laquelle une soixantaine d’étudiants sont déjà passés (quinze par volée, sur une centaine de demandes annuelles reçues). Sa directrice, Marie Caffari, ressent une évolution: «En francophonie, l’idée d’apprendre l’écriture littéraire progresse, et ce changement est plus marqué depuis un an: les ateliers Gallimard, mais aussi le master en création littéraire qui vient d’être lancé à Paris, par exemple.» Elle défend cependant la pluralité des parcours: «Certains se débrouillent très bien en autodidactes, d’autres ont des besoins différents, cela dépend aussi de l’âge: nous avons des gens qui s’inscrivent à 19 ans, mais aussi au-delà de 30 ans. Ce que nous cherchons, ce sont ceux qui souhaitent vraiment mettre l’écriture au centre. Passer du désir à la vraie pratique.»
Il existe aussi la structure d’Alchimie du verbe, menée par Sylvie Poza depuis dix ans (www.alchimieduverbe.ch), avec de nombreux cours thématiques. Enfin, beaucoup d’écrivains donnent aussi leurs propres ateliers. Citons évidemment Mary Anna Barbey (www.maryannabarbey.com). Ses origines américaines ont fait d’elle une véritable pionnière dans le genre, dès 1980. Ou aussi Nicolas Verdan (www.nicolasverdan.ch), qui propose régulièrement des ateliers cumulant les plaisirs, puisque donnés sur une île des Cyclades. «Je ne crois guère aux retraites en maison de l’écriture, dit-il, mais aux moments de rupture, et donner ces ateliers dans un cadre particulier a ainsi un sens.» Enfin, le site www.webliterra.ch regroupe encore une foule d’autres possibilités en Suisse romande, par auteurs ou thèmes particuliers.
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