Beaux-arts. Van Gogh et Munch ou Roni Horn, Klee et Kandinsky, Matisse et Picasso: l’été est aux expositions des amitiés/rivalités entre artistes. Chacun se nourrissant à sa manière de l’autre.
«C’est une manière de considérer le public comme un vrai partenaire, intelligent, actif, au lieu de le traiter comme un enfant passif devant une masse de chefs-d’œuvre», note Bice Curiger, directrice de la Fondation Van Gogh à Arles. L’ancienne curatrice du Kunsthaus de Zurich, et responsable de la revue Parkett, a toujours aimé confronter les œuvres d’artistes, histoire de mieux voir ce qui leur est propre et ce qu’ils doivent à d’autres créateurs.
Dans son institution arlésienne, ouverte l’an dernier, Bice Curiger a poussé loin cette volonté de dialogue. Les chefs-d’œuvre de Van Gogh conversent avec l’art contemporain. Pour mesurer à quel point l’audace folle de Vincent inspire toujours les créateurs d’aujourd’hui, mais aussi mieux éclairer l’art du Hollandais. Cet été, les monumentales pièces en verre (5 tonnes chacune) de Roni Horn accueillent les visiteurs de la fondation. Leur profondeur translucide, presque liquide, qui joue avec la lumière du Midi est un hommage à la fascination de Van Gogh pour le mystère de la couleur pure. Un peu plus loin, les dessins et découpages de l’artiste américaine résonnent avec les dessins du génie maudit, exposés ailleurs dans le musée. En apparence, pas de similarités entre les deux propos artistiques, séparés par plus d’un siècle. Ils convergent pourtant l’un vers l’autre dans leur force figurative, leurs tension et cohésion expressives, leur curiosité pour de nouvelles techniques qui relancent l’inspiration.
«Le Cri» de Van Gogh…
Aller plus loin que la juxtaposition de deux œuvres souvent comparées l’une à l’autre est l’ambition de plusieurs grandes expositions estivales. Prenez la réunion vertigineuse des tableaux de Van Gogh, encore lui, et Munch à Oslo. Les deux artistes sont si souvent rapprochés qu’ils sont confondus l’un avec l’autre. Une des questions le plus souvent posées au Musée Van Gogh d’Amsterdam est «Pourquoi vous ne montrez pas Le cri?» alors qu’il s’agit bien sûr de la pièce la plus connue du peintre norvégien. Le Musée Munch aurait pu se contenter de relever les habituelles ressemblances: les palettes vibrantes, les styles hautement émotionnels, les touches épaisses, les compositions non conventionnelles, les angoisses existentielles, les dépressions nerveuses, l’ombre de la mort. Or, l’exposition va plus en profondeur dans l’exploration des prémices des deux vocations, leurs influences propres, l’évolution des styles et techniques, l’élucidation des buts artistiques, les œuvres que les deux forcenés jugeaient eux-mêmes les plus importantes dans leur production.
Amis et ennemis
Cette même exigence, qui rend la visite d’autant plus stimulante, est au travail au Centre Paul Klee de Berne. Pour la première fois, les parcours créatifs de Klee et Kandinsky sont réunis dans une exposition majeure, en presque 200 tableaux. Les deux pionniers de l’art abstrait étaient amis, mais aussi rivaux. Ils se côtoient dès leur apprentissage à Munich avant la Première Guerre mondiale, se rapprochent dans le mouvement du Cavalier bleu, enseignent et habitent ensemble au Bauhaus avant d’être condamnés à l’exil par les nazis en 1933, l’un repartant dans sa région natale de Berne, l’autre trouvant refuge à Paris.
Rigoureuse, claire, l’exposition se découvre au fil de huit sections, à la fois thématiques et chronologiques, comme les débuts aux alentours de 1900, la couleur, la volonté de lier art et musique, le Bauhaus, les heures noires de la montée du fascisme. Côte à côte, les deux œuvres racontent cette aventure fondatrice de l’art du XXe siècle, montrant combien Paul Klee et Vassily Kandinsky se sont mutuellement influencés au fil de leurs intenses discussions, correspondances et travail en commun. C’est certain, Kandinsky le peintre encourage Klee le dessinateur à expérimenter la couleur, les moyens de l’expressivité picturale, la géométrie essentielle. A l’évidence, Kandinsky s’inspire de Klee en introduisant sur le tard des figures biomorphes. Les deux cherchent de concert des techniques, des motifs, des représentations du mouvement. Ils se jalousent aussi, Klee étant plus vite reconnu dans le monde l’art, des marchands et des grandes expositions que son confrère. Le premier est ouvert, souple, en quête constante de l’équilibre. Le second est fermé, dogmatique, obnubilé par la tension et le contraste. C’est à cette chorégraphie subtile de convergences et divergences que nous invite cette passionnante exposition.
La rétrospective Matisse de la Fondation Gianadda à Martigny est d’un autre ordre. Elle remet l’œuvre du maître dans son temps, évoquant les travaux de ses condisciples à ses débuts, des Fauves ou cubistes, des admirateurs de la lumière méditerranéenne.
Le choc des deux titans
Pourtant, c’est le choc avec Picasso qui reste le plus intéressant. Seules une demi-douzaine de toiles de l’Espagnol sont présentes dans l’exposition, en provenance du Centre Pompidou, comme la plupart des œuvres de Matisse. Mais, aidée par la présentation en sous-sol du film Matisse-Picasso (2002) de Philippe Kohly, la rencontre des deux titans va elle aussi au-delà du relevé des influences mutuelles. Comme dans les autres expositions évoquées ici, le constat est que les audaces et les innovations d’un grand créateur de forme nourrissent l’inspiration d’un autre artiste majeur pour que ce dernier puisse en faire autre chose, partir sur une piste différente. Comme si, entre admiration et défiance, un génie avait toujours besoin d’un autre génie pour s’élever encore davantage au-dessus de lui-même et de ses rivaux.
«Van Gogh-Roni Horn», Fondation Van Gogh, Arles, jusqu’au 20 septembre.
«Van Gogh + Munch», Musée Munch, Oslo, jusqu’au 6 septembre.
«Klee & Kandinsky», Centre Paul Klee, Berne, jusqu’au 27 septembre.
«Matisse en son temps», Fondation Gianadda, Martigny, jusqu’au 22 novembre.