«Youth». Dans son septième long métrage, tourné dans les Grisons et dévoilé en mai dernier à Cannes, le Napolitain renoue avec la virtuosité de «La grande bellezza», le cynisme en moins.
«S’il vous plaît, aucune question sur Paolo Sorrentino.» Il y a un mois, voilà l’indication qu’on nous donnait avant notre rencontre avec Cécile de France. La comédienne belge était à Locarno pour défendre Une belle saison, bouleversant mélodrame lesbien de Catherine Corsini et, franchement, on ne pensait pas lui parler du réalisateur italien. Mais voilà, celui-ci venait d’annoncer qu’elle avait rejoint le casting de The Young Pope, une série qu’il réalise pour la chaîne HBO autour de la figure du pape Pie XIII. Un projet pour l’heure entouré de mystère. Motus, donc. Bien que sur le moment incongrue, la consigne est finalement symptomatique de la manière dont travaille Sorrentino.
Tourné à l’Hôtel Schatzalp de Davos, un établissement Belle Epoque, Youth était jusqu’à sa présentation en mai dernier à Cannes tout aussi énigmatique. «Sorrentino est là, mais on ne le voit pas. Il est très concentré et ne veut pas dévoiler trop de détails sur son film, afin de ne pas affaiblir son impact», résumait le directeur du Schatzalp lorsqu’un journaliste de la RSI l’interrogeait sur le tournage du septième long métrage du Napolitain. En interview aussi, le réalisateur oscarisé de La grande bellezza, le film qui, il y a deux ans, le révélait au grand public, est peu disert.
Des airs de nabab
Au moment de parler de ce film dans lequel il livrait un portrait féroce de la bourgeoise romaine, il nous avouait d’emblée ne pas être un grand bavard, laissant ensuite son acteur Toni Servillo assurer le service après-vente. Vingt-quatre mois après cette première rencontre cannoise, on retrouvait ce printemps le réalisateur sur le toit-terrasse d’un grand hôtel de la Croisette. Affalé sur un canapé moelleux, lunettes de soleil vissées sur le nez et cigare aux lèvres, Sorrentino a des airs de nabab mais se montre accueillant et souriant, malgré une fatigue tangible au moment d’enchaîner les entretiens. Reste qu’une fois encore, on n’apprendra rien de saillant sur sa manière de travailler, si ce n’est qu’il préfère improviser plutôt que d’arriver sur le plateau avec un story-board détaillé, ou encore que s’il a choisi comme cadre les montagnes grisonnes, c’est uniquement parce qu’il n’a pas trouvé le décor qui lui convenait en Italie. Pour le reste, malgré trois bons quarts d’heure d’interview, d’abord en italien au côté d’un confrère alémanique puis au sein d’un groupe de journalistes internationaux, Sorrentino se montrera aussi peu expansif que ses films sont foisonnants.
Si La grande bellezza affichait un certain cynisme, Youth est plutôt teinté d’une douce ironie. On y découvre deux amis de longue date, un chef d’orchestre et compositeur n’aspirant qu’à profiter de sa retraite et un cinéaste rêvant de tourner un ultime film, évoquant la femme qu’ils ont tous deux naguère aimée, dissertant sur la vie et leur prostate. Autour d’eux, une Miss Univers aux formes généreuses, un acteur se préparant pour un rôle difficile, une ex-star du foot évoquant Maradona et de nombreux autres personnages plus ou moins secondaires mais tous finement écrits.
L’amour du cinéma
Youth brasse une multitude de thèmes avec une virtuosité qui, pour les nombreux contempteurs du cinéaste, n’est que du maniérisme. Sorrentino agace une partie de la critique qui ne voit en lui qu’un auteur pompier et prétentieux, là où une autre moitié – dont on fait partie – admire son sens du cadrage et les fins mouvements de caméra qu’il utilise, tout comme la musique, pour plus d’émotions.
Dans un film de Sorrentino, comme chez Fellini, chaque plan transpire l’amour du cinéma. Mais à l’exubérance de Federico, Paolo oppose une timidité dont on ignore finalement si elle est sincère ou feinte. En fin de conversation, on arrive néanmoins à lui arracher sa vision du septième art: «Le cinéma doit chercher à être réaliste, mais pas à être vrai. Car la vérité est ennuyeuse.» Ne pas ennuyer: voilà pourquoi, peut-être, il se montre sur la retenue lorsqu’il s’agit de se livrer. Mais peu importe. Youth, comme précédemment La grande bellezza et Il divo, est suffisamment fort pour qu’il se suffise à lui-même. Tenter de l’expliquer affaiblirait d’ailleurs probablement le doux vertige que l’on ressent à sa vision, comme lorsqu’on referme un roman trop dense pour être assimilé en une seule lecture.
«Youth». De Paolo Sorrentino. Avec Michael Caine, Harvey Keitel et Rachel Weisz. Italie/France/Grande-Bretagne/Suisse, 1 h 58. Sortie le 9 septembre.