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Et le nuage de la honte recouvrit la Suisse

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Jeudi, 13 Août, 2015 - 05:58

Festival du film de Locarno. L’unique film helvétique en compétition, «Heimatland», est une œuvre collective flirtant avec le fantastique pour délivrer un message sans équivoque sur l’après-9 février.

D’abord localisé au-dessus de la Suisse centrale, le voilà qui s’étend sur tout le territoire helvétique mais s’arrête à ses frontières. Menaçant et oppressant, comme le brouillard au centre de Fog, de John Carpenter, ou de The Mist, de Frank Darabont, d’après Stephen King, il annonce une tempête terrible, dévastatrice. Pour l’heure, il a l’apparence d’un nuage d’une dimension dantesque mais, qui sait, il est peut-être, plus qu’un phénomène météorologique inédit, le premier signe d’une apocalypse qui va tout simplement rayer la paisible Confédération helvétique de la carte.

L’argument de Heimatland, il faut le souligner, est excellent. Film audacieux né dans la prise de conscience de l’après-9 février 2014, lorsque à peine plus de 50% des citoyens acceptèrent l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse», ce long métrage collectif coréalisé par dix jeunes réalisateurs – huit Alémaniques et les Romands Carmen Jaquier et Lionel Rupp – fait office de jouissif exutoire à un vote qui a eu des effets dévastateurs sur les relations de la Suisse avec ses voisins européens. Le message que veut asséner cette «horde sauvage» de cinéastes en devenir est sans équivoque: la Suisse est en train de s’isoler, et elle pourrait un jour le payer.

Un didactisme pesant

Heimatland a la forme d’un film choral. On y suit en parallèle plusieurs petites histoires, chacune réalisée par un réalisateur différent mais qui s’entremêlent pour ne former qu’un seul et même récit. Forcément, on peut dès lors comparer les styles et les approches, affirmer que tel segment est plus faible que tel autre. L’histoire de ce couple de Croates se retrouvant à aider un homme d’affaires méprisant et celle de cette policière hantée par la mort d’un requérant lors d’un renvoi forcé sont par exemple plus intéressantes et abouties que celles de ce supermarché dévasté par des clients affolés par la pénurie de denrées de première nécessité ou de ce supporter de foot cherchant la bagarre.

D’autres petites histoires dans la grande sont plus ouvertement explicites, voire moralisatrices. Fallait-il montrer un groupe de fachos surexcités à l’idée de pouvoir sortir leurs fusils pour éviter des pillages forcément orchestrés par des immigrés? Franchement, non. Alors que le film se veut métaphorique, un tel manque de subtilité est une faute d’appréciation. Et que dire de cette interview de Jean Ziegler en personne qui, via un écran de télévision, y va de son analyse: le nuage qui menace la Suisse est un nuage de la honte. Il est temps de payer pour l’attitude d’une certaine partie de la classe politique envers les juifs durant la Seconde Guerre mondiale, pour le soutien au régime de l’apartheid ou pour l’or des dictateurs qui a fait la fortune des grandes banques. Le film aurait pu se contenter de flirter avec le fantastique pour faire passer son message, le voilà qui devient lourdement didactique. Dommage.

Vitrine internationale

Face à la menace de cette apocalypse géo-localisée, les Suisses prennent la fuite. Mais l’Union européenne n’est pas encline à accueillir ces détenteurs d’un passeport à croix blanche qui en 1992 ont refusé de participer à sa construction. Les vaillants Helvètes se heurtent à des barbelés et deviennent soudain des émigrés non grata alors qu’ils pensaient vivre dans le plus beau pays du monde. L’image est forte.

On ne sait pour l’heure pas quand Heimatland sera visible en salle. Une chose est sûre, en revanche, il devrait susciter de vifs débats. Tant mieux, car il n’y a rien de pire pour un objet culturel que de ne rien provoquer, ce qui est quand même le propre d’une bonne partie des films suisses. Voir une nouvelle génération de cinéastes tenter de dire quelque chose sur leur pays est aussi réjouissant, même si tous ne maîtrisent pas encore parfaitement la grammaire cinématographique, certains segments souffrant de raccords hasardeux et d’un sens du cadrage peu affûté, tandis que d’autres se révèlent parfaitement maîtrisés.

Que ce long métrage, qui a dû être extrêmement difficile à mettre sur pied, existe est un signal positif à l’heure où trop de jeunes auteurs pleurnichent en attendant de voir un de leurs projets recevoir des subventions étatiques, de même que sa présence en compétition à Locarno, alors qu’il n’a aucune chance de figurer au palmarès, était nécessaire pour la vitrine internationale qu’il lui offre.

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