C’est l’histoire d’un film tourné deux fois. En 1977 d’abord: les bobines seront ruinées au développement. Probablement un acte de sabotage contre le cinéaste russe Andreï Tarkovski. Ce dernier trouve la force de retourner son film l’année suivante, avec un budget moindre. Depuis sa sortie en 1979, peu à peu, son œuvre s’est dépliée, révélant toute sa portée spirituelle, esthétique et mystique. L’écrivain suisse Eugène et son épouse Alexandra Kaourova lui ont consacré une exposition en 2013 à la Maison d’Ailleurs, à Yverdon, invitant de Russie Rashit Safiullin, décorateur du film, pour en signer la scénographie. Le couple publie maintenant un livre par amour pour ce film obsédant.
Il faut revoir Stalker pour son attente contenue, sa densité temporelle, à rebours du cinéma industriel. Un passeur, un «stalker», pénètre dans une Zone interdite, ayant subi des radiations atomiques. L’homme conduit un professeur de physique et un écrivain vers une Chambre des désirs, où les vœux se réalisent. Ils ne reviendront pas indemnes de leur voyage. Nous non plus. Le cinéaste parvient à transformer notre perception, comme l’explique l’un des contributeurs du livre, Alexandre Nevski, «de telle sorte que les choses les plus incroyables nous semblent tout à fait naturelles et les choses les plus ordinaires paraissent illuminées par le mystère de l’Univers.» Mais pour cela, il faudra que le spectateur accepte de s’ouvrir à une contemplation active, se prépare à l’inconnu.
C’est une belle initiative de rendre hommage à ce film mystique qui nous dit que chaque instant de l’existence est unique. Car la Zone, c’est la vie. Même si la forme de ce livre collectif est peut-être un peu trop universitaire parfois. On aurait rêvé, sous la plume d’un écrivain comme Eugène, d’un projet plus personnel encore, conçu comme un voyage initiatique. Mais quel plaisir de traverser cette Zone avec ces précieux «stalker», les neuf contributeurs de cet ouvrage richement illustré! De prendre, grâce à eux, la mesure d’un film qui n’en finit pas de travailler en nous, de la puissance et de la beauté que peut atteindre parfois le cinéma.
«Phénomène Stalker». Collectif. L’Age d’Homme, 204 p.