Spécialisé dans le photomontage,l’auteur parisien est célébré par le festival lausannois. Rencontre.
Dimitri Planchon n’est pas du matin. Lorsqu’il nous ouvre la porte de son petit appartement du Xe arrondissement parisien, au cœur du quartier indien, avec ses odeurs de curry, ses vitrines où s’entassent les DVD de mélodrames made in Bollywood et ses boutiques aux couleurs chatoyantes, il sirote un café et s’excuse de n’avoir pas totalement émergé. Il est passé 11 heures et le Français démarre gentiment sa journée. Bon, il faut dire que, ce jour-là, il est seul, sans sa compagne et sa fillette de 4 ans, et qu’il n’a pas laissé filer l’occasion de s’offrir une grasse matinée. Et tant pis si le mythe de l’auteur qui se lève à 5 heures pour travailler en prend un coup.
On s’installe dans son salon. Un peu plus loin, sur les étagères d’une bibliothèque, on reconnaît des comics américains, une collection de Tardi, une anthologie de Robert Crumb ou encore un petit livre de Frédéric Pajak sur Nietzsche. Au premier coup d’œil, pas trace des quatre albums qu’il a publiés à ce jour: Jésus et les copains (Fluide glacial, 2005), ou La Passion revisitée à l’aune du capitalisme, et la trilogie Blaise (Glénat, 2009-2012), plongée très caustique au cœur d’une famille de la classe moyenne supérieure ne fonctionnant pas aussi bien qu’elle le pense. Autant de titres qui vont être décortiqués dans le cadre du festival lausannois BD-FIL, qui a décidé d’offrir à cet auteur atypique sa première exposition monographique. «Je suis évidemment flatté, concède Dimitri Planchon, même si je trouve que me consacrer une expo est un peu étrange, vu que je n’ai même pas d’originaux à proposer.» Et le Français de se souvenir de son émotion récente face à des planches originales de Franquin, bien que celui-ci ne figure pas parmi ses auteurs de prédilection. Il aime, chez les autres, s’approcher au plus près du trait originel.
Hyperréalisme. Si Dimitri Planchon ne possède pas d’originaux, c’est tout simplement parce qu’il travaille dans le photomontage. Ses personnages comme ses décors, il les crée à partir de photos qu’il découpe avant de les réassembler. «Comme j’ai un style particulier, j’ai peur qu’on ne voie que ça. Avant, je me braquais même quand on pensait que ma technique consistait simplement à presser sur les touches d’un ordinateur. Or, je sais, pour avoir dessiné, que le geste créatif est finalement le même, qu’on y met tout autant de sa personnalité, qu’il faut du savoir-faire et du talent. Photoshop n’est pas une méthode, c’est un outil comme un autre. Au début, j’aimais bien déformer mes images, changer les proportions. Je pensais être dada, alors qu’aujourd’hui je m’approche plus de l’hyperréalisme, je gomme l’aspect photomontage. On me demande d’ailleurs parfois si c’est de la peinture.»
Pour Dimitri Planchon, ses personnages sont comme des marionnettes, des pantins qu’il peut faire évoluer à sa guise, changeant en piochant dans la vaste banque de données qu’il s’est constituée un vêtement, une pupille, une bouche ou un sourcil. Sa liberté est totale du fait qu’il peut à tout moment intervenir sur ses planches, transformer une expression, inverser des cases, voire remplacer un élément par un autre. D’ailleurs, il convient, sourire en coin, qu’il retouche jusqu’au dernier moment son travail et que son éditeur a dès lors intérêt à bien relire ce qu’il lui envoie avant l’ultime validation.
Comment Dimitri Planchon a-t-il développé sa technique? Un peu par hasard, explique-t-il. Né à Paris en 1977, il grandit entouré de bandes dessinées. Sa mère est une grande lectrice et, très vite, il se plonge dans des albums pour adultes, dévore Canardo, découvre Tardi et Mandryka. «J’ai également toujours dessiné. Et, assez naturellement, j’ai su que je voulais devenir artiste. Mais pas forcément dessinateur.»
A 18 ans il part étudier les arts déco à Strasbourg, où il a notamment comme professeur l’illustrateur jeunesse Claude Lapointe et le dessinateur Joseph Béhé, dont les cours portent sur la narration. Le cursus est intéressant, mais il bloque. «Tout à coup, je me retrouvais dans un environnement où tout le monde savait dessiner. Je n’étais plus une exception. J’ai alors commencé à douter de mon dessin, je n’arrivais plus à lui trouver quelque chose d’intéressant. Je savais faire tenir debout des personnages, mais je trouvais cela banal, j’avais l’impression de ne rien arriver à dire.» En dernière année, il décide de tenter autre chose. Alors qu’il travaille sur une nouvelle de l’écrivain Julio Cortázar, il a l’idée, il ne sait plus trop ni pourquoi ni comment, de réaliser un photomontage. L’expérience est concluante; pour la première fois depuis longtemps, il est satisfait de son travail.
Retour à Paris à la fin de l’été 2001. Il s’en souvient bien, puisque ses retrouvailles avec la capitale sont marquées par l’attentat contre les Twin Towers. Il continue un temps à dessiner, avant de se résoudre, en désespoir de cause, à retenter l’expérience du photomontage. La satisfaction étant de nouveau là, il laisse tomber pour de bon ses crayons et commence en parallèle à bricoler des planches racontant la vie de Jésus, et des strips qui marquent les prémices de Blaise. A sa grande surprise, les rédactions auxquelles il envoie son travail sont emballées. Il travaille pour Les Inrockuptibles et Fluide glacial, sa technique de découpage et de montage, qu’il juge avec le recul grossière, s’affine.
Introspection. Dimitri Planchon vient d’une famille catholique. Alors que ses parents ont été marqué par Mai 68, ses grands-parents sont traditionalistes. Mais, d’aussi loin qu’il s’en souvienne, il a toujours été athée. «C’est d’autant plus fascinant, quand on ne croit pas, de voir des gens intelligents qui croient. Il y a un vrai décalage.» Si Jésus et les copains parle de la bourgeoisie de ses grands-parents, dit-il, Blaise a comme point de départ la génération de ses parents. Mais il n’y a, dans la série, rien de directement autobiographique, précise-t-il. «On pense souvent que Blaise est mon alter ego, alors que je me vois beaucoup plus dans le père et la mère… Disons que les trois personnages représentent trois aspects de ma personnalité. Blaise est une série très personnelle, qui touche à ce que je suis fondamentalement. Je ne sais pas si on peut parler de psychanalyse, mais j’ai en tous les cas assez conscience qu’il s’agit d’une série très introspective.»
Il s’agit surtout d’une trilogie à mourir de rire, qui stigmatise joliment la pensée unique, la montée de l’intolérance et le besoin de faire partie de la société, de ne pas paraître différent, en marge. Dimitri Planchon brocarde également au passage, à travers deux personnages secondaires truculents, certaines dérives médiatiques – la fabrication d’intellectuels people et le fantasme de faire de certains sportifs des saints sauveurs. Blaise est-elle une série politique? En partie, et on peut même y voir une satire des années Sarkozy. Pour l’artiste, les parents de Blaise incarnent «ces gens de gauche qui, de façon assez incompréhensible, ont tendance à pencher à droite».
Avant de prendre congé, le Parisien évoque encore ses trois années passées en famille à Shanghai et à Taipei, en précisant qu’il ne tirera pas profit du décalage culturel qu’il a pu ressentir. On quitte alors son appartement. Il termine un autre café tandis que, dehors, flottent des odeurs de poulet tandoori et de naans. Comme si l’Asie l’avait suivi. Le décalage culturel au pied de son immeuble.
BD-FIL, place de la Riponne, Lausanne. Du 13 au 16 septembre. L’exposition «Jésus, Blaise & Co.», dédiée à Dimitri Planchon, est visible à l’Espace Arlaud du 6 septembre au 6 octobre. www.bdfil.ch
Coquin: la BD, c’est aussi du cul
De La bibite à bon Dieu à Q, en passant par La planète des Vülves, la collection BD-Cul des Editions Requins Marteaux réjouit les amateurs de BD… et de cul. Pendant BD-Fil, la Librairie Humus (www.humus-art.com) accueille quatre auteurs de ces coquineries pour des dédicaces et une expo-vente de planches de certains albums, notamment du Teddy Beat de Morgan Navarro. Et le samedi 14, chaude soirée BD-Cul au Café-Théâtre Le Bourg (www.petzi.ch) avec un numéro de cabaret, des projections dessinées et un DJ set prometteur. Si on aime la BD de 7 à 77 ans, BD-Cul, c’est 18 ans révolus, et pour une fois on est content d’être adultes. PMG